Éloge de la varlope

Un tweet récent de Martine Sonnet a rappelé à l’Oreille tendue l’importance capitale de la varlope. (Dans le panthéon de l’Oreille, le niveau — à bulle, laser, sur fil, dans son iPhone — occupe la place la plus haute, mais la varlope n’est pas bien loin.)

@msonnet renvoyait au site de Cécile Portier, petite racine, où l’on trouve la photo d’un outil hybride — bois et métal —, surmontée du mot varlope, mais suivie d’un texte où il n’est question que de raboter.

À peu près au même moment, toujours sur Twitter, Vicky Lapointe (@vickylapointe) reproduisait l’image ci-dessous, tirée du journal le Canadien du 17 mai 1875 (p. 4), célébrant les épousailles d’un r(R)abot et d’une v(V)arlope.

Le Canadien, 17 mai 1875, p. 4

Bref : rabot ou varlope?

Selon le Petit Robert, dans la famille des mots apparentés — bouvet, doucine, feuilleret, gorget, guillaume, guimbarde, riflard, varlope —, rabot est le terme de base, le plus englobant qui soit.

Cela ne paraît pas être la position de l’abbé Étienne Blanchard. Dans son ouvrage 2000 mots bilingues par l’image, section «41—Outils divers. II», il propose l’énumération suivante :

Parmi les varlopes, on distingue : le racloir, le grattoir, le rabot à semelle, le rabot à dents, le rabot cintré, le bouvet à embrever, le bouvet à queue, le feuilleret, la mouchette à joue, le quart-de-rond, le congé[,] la noix du menuisier, le pestum, le jet d’eau, la gueuledeloup, la platebande, la doucine à baguette (p. 84).

Un peu plus bas, il y aura le rabot anglais, puis le rabot américain. Un peu plus haut, il y avait le guillaume.

Étienne Blanchard, 2000 mots bilingues par l’image, 1920, p. 84

Étienne Blanchard, 2000 mots bilingues par l’image, 1920, p. 83

Et si c’est Étienne Blanchard qui avait raison ?

P.-S. — Une dernière chose. Au Québec, on peut certes varloper une planche de bois, mais on peut aussi varloper des personnes, des idées, des projets. Il s’agit alors de s’en prendre, sans ménagement, à quelque chose ou à quelqu’un. Exemples :

«Le [musée] McCord varlope les clichés entourant la communauté montréalaise pure laine des Écossais» (le Devoir, 18-19 octobre 2003).

«Québec varlope le plan d’aide fédéral de 246 millions» (la Presse, 9 octobre 2002).

«Embraer varlope Bernard Landry et Investissement Québec» (la Presse, 20 février 2003).

 

Référence

Blanchard, abbé Étienne, 2000 mots bilingues par l’image, Montréal, L’Imprimerie des marchands limitée, 1920, 112 p. Ill.

Citation stéréotypique périfootballistique du jour, ou La salive des Bleus

Maurice Dekobra, la Madone des sleepings, 1925, couverture

On a beaucoup glosé sur l’élimination rapide de l’équipe de France de la présente Coupe du monde de football. À tort ou à raison, cela a remis en mémoire à l’Oreille tendue un roman où il est question à l’occasion, et de façon bien caustique, des Français et de leur rapport à la langue.

Exemple (c’est Lady Diana Wynham qui a la parole) : «Vous parlez fort bien, mon cher Prince. D’ailleurs, les Français sont tous un peu phraseurs… Ils ont dû inventer la salive…»

Maurice Dekobra, la Madone des sleepings. Roman cosmopolite, Paris, Éditions Baudinière, 1925, 307 p., p. 32.

 

[Complément du 23 juin 2015]

RELIEF, la Revue électronique de littérature et de culture françaises, consacre un numéro (vol. 9, no 1, 2015), sous la direction de Jan Baetens et Sjef Houppermans, au roman de Dekobra : https://revue-relief.org/issue/view/300.

D’hier à today

Ronald King, dans la Presse du 26 juin 2010 :

Dites Roger…

Vous avez peut-être remarqué, comme moi, que dans la publicité de Coca-Cola traduite dans une maison québécoise, on nous parle de Roger Milla, avec Roger prononcé à l’anglaise. Or, Milla est camerounais et francophone. À la télé française, on parle de Roger à la française.

Il s’agit d’un cas de paresse et d’ignorance crasses. On aurait pensé que quelqu’un dans la maison aurait fini par comprendre et fait la correction avant la Fête nationale du Québec. Mais non.

Colonisés…

André Belleau, dans la revue Liberté en mai-juin 1980 :

pourquoi Bernard Derome tient-il tant à montrer qu’il sait l’anglais ? Pour être plus précis, qu’est-ce qui le fait, au Téléjournal, prononcer infailliblement «Rââbeurte Enn’drusse» les mots «Robert Andras» écrits sur une dépêche ? Ou «Pi-ss-bi-dji-mm» pour P.S.B.G.M. ? Et «Aille-âre-ré» toutes les fois qu’il lit I.R.A. ? C’est à ce point que ma mère, qui ignore l’anglais, manque chaque soir la moitié du Téléjournal.

[…]

Peu importe comment on essaie d’élucider l’effet Derome, il demeure, vu son caractère général, constant, et la façon dont il modifie la relation transactionnelle émetteur-auditeur, une manifestation indubitable de colonisation culturelle (éd. de 1986, p. 109 et p. 114)

Plus ça change…

 

Références

Belleau, André, «L’effet Derome ou Comment Radio-Canada colonise et aliène son public», Liberté, 129 (22, 3), mai-juin 1980, p. 3-8; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 82-85; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 107-114; repris dans Laurent Mailhot (édit.), l’Essai québécois depuis 1845. Étude et anthologie, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «Cahiers du Québec. Littérature», 2005, p. 187-193; repris, sous le titre «L’effet Derome», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 105-112. https://id.erudit.org/iderudit/29869ac

King, Ronald, «En route vers les octavos de final…», la Presse, 26 juin 2010, cahier Sports, p. 5.

Mot-valise du jour

Extrait du Bulletin Flaubert, numéro 123, juin 2010 :

BACCALAURÉAT
(< Catriona Seth)
Le supplément «Réviser son bac avec le Monde», cahier du Monde, no 20339, daté du mercredi 16 juin 2010, contient à la page 6 une présentation des procédés de réécriture et, en guise de «Repères», l’évocation de six récritures de Madame Bovary. Pour le journaliste, ce roman est celui qui a le plus suscité de «désirs palimpsestueux», mot-valise emprunté à Gérard Genette.

Divergences transatlantiques 011

Sundae

Question existentielle : où poser la cerise ? Là : sur la gâteau. Ici : sur le sundae.

Exemples : «Bruyants, ils buvaient comme des trous et, cerise sur le gâteau : ils avaient applaudi au moment où l’avion s’était posé dans la grande ville», écrit Éric Boury, traduisant Arnaldur Indridason (p. 89-90); «Le design, c’est la cerise sur le sundae», sous-titre la Presse en 2006.

Tous les (dé)goûts alimentaires sont dans la nature.

 

[Complément du 21 février 2016]

D’où ce titre de presse, du 19 février 2016, dans le Journal de Montréal, sous la signature de Michel Girard :

Michel Girard, «La CSeries sur le sundae». le Journal de Montréal, 19 février 2016

 

[Complément du 26 février 2016]

Rebelote.

 

[Complément du 10 juin 2016]

Dans le même ordre d’idées, ceci, dans Fatigues (2014), de Pierre Peuchmaurd : «La cerise sur la charrue, le gâteau avant les bœufs !» (p. 154)

 

Références

Indridason, Arnaldur, Hypothermie, Paris, Métailié, coll. «Bibliothèque nordique», 2010, 294 p. Traduction d’Éric Boury. Édition originale : 2007.

Pierre Peuchmaurd, Fatigues. Aphorismes complets, Montréal, L’Oie de Cravan, 2014, 221 p. Avec quatre dessins de Jean Terrossian.

 

La Presse+ (Montréal), 30 avril 2015