Ramassez-moi tout ça

Il y a des choses qui ne se font pas sur un terrain de sport.

Le 9 juillet 2006, Zinedine Zidane n’aurait pas dû donner un coup de boule à Marco Materazzi. Au football (nord-américain), il est interdit de célébrer ses exploits de façon trop appuyée; à une époque pas si lointaine, des joueurs chorégraphiaient leurs célébrations et on a décidé de les en empêcher. C’est plus rare qu’avant, mais il arrive encore que des spectateurs sautent, nus, sur les surfaces de jeu; ils ne devraient pas. Il n’est pas recommandé de se faire prendre à se doper. Dans les sports d’équipe, enfin, on punit sévèrement les bagarres — mais pas au hockey, pour des raisons évidemment «culturelles».

Tout ce qui est répréhensible en matière sportive n’est pas lié à la violence. L’Oreille tendue ouvre un de ses quotidiens et elle y lit une déclaration du quart-arrière — c’est du football — de l’équipe de son université : «Nous avons laissé beaucoup trop de points sur le terrain» (la Presse, 23 septembre 2011, cahier Sports, p. 4). Entendre : nous aurions dû marquer et nous n’y sommes pas parvenus.

Il ne faut pas laisser traîner les points n’importe où; ça ne se fait pas (et ce n’est pas propre).

Trouvez l’erreur

En 1999, Richard Desjardins et Robert Monderie lancent leur film documentaire l’Erreur boréale; il y est question, en termes peu flatteurs, de la gestion des forêts québécoises. Erreur, accompagné d’un adjectif, est alors devenu populaire.

On retrouve des expressions construites sur le même modèle en agroalimentaire — «À quand “L’Erreur porcine” ?» (le Devoir, 11 janvier 2001) —, en politique internationale — «L’erreur américaine» (la Presse, 15 février 2003) —, en musique — «L’erreur orchestrale» (le Devoir, 14 octobre 2004, p. B8) — et dans les mines — «L’erreur minérale à éviter» (le Devoir, 21 septembre 2011, p. A7).

L’Oreille tendue s’étonne de n’avoir vu nulle part erreur gazière. En cette époque de lutte contre l’exploitation des gaz de schiste, ça s’impose, non ?

P.-S. — On pouvait entendre aurore boréale dans le titre de Desjardins et Monderie; aujourd’hui, il ne reste que l’horreur.

 

[Complément du 17 avril 2023]

Question du Devoir le 11 janvier 2001 : «À quand “L’Erreur porcine” ?» Réponse du Devoir le 17 avril 2023 : «Olymel, symptôme de l’erreur porcine !»

Français 101

Des études récentes laissent entendre que la place du français, surtout à Montréal, serait menacée. C’est pour éviter ce genre de situation que le premier gouvernement du Parti québécois (PQ) avait promulgué, en 1977, la Charte de la langue française, communément appelée la loi 101.

Dès lors, il n’est peut-être pas inutile de rappeler quelques éléments liés à cette loi.

Elle a un père : Camille Laurin, le père de la loi 101. C’est une des périphrases québécoises (PQ) dont l’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de dire un mot. (C’est le même Camille Laurin qui apparaît dans le bien étrange roman la Dague de Cartier de John Farrow.)

Elle a des enfants : les enfants de la loi 101 sont nécessairement nés après son entrée en vigueur, qu’ils soient, ou pas, de souche. Camille Laurin est aussi nécessairement leur père. Il est souvent question d’eux dans l’ouvrage de Léonore Pion et Robert Vézina intitulé Le français, une langue pour tout et pour tous ?

Ces enfants forment une génération : c’est du moins l’opinion du cinéaste Claude Godbout, qui a réalisé la Génération 101 (2008).

Ils sont maintenant dans la trentaine et le temps est venu de tirer leur portrait. Isabelle Beaulieu l’a fait (2003).

Une chanson pour terminer ? Ce sera «Québécois de souche» des Cowboys fringants (2001), dont les premiers mots sont : «Je suis un Québécois de souche / Ma loi 101 faut pas qu’tu y touches / C’est pas que’j sais pas ben parler / Mais chus un colon anglicisé.»

 

[Complément du 22 septembre 2017]

Elle aurait aussi un oncle, le «mononc101». Ce «mononc»-là est un défenseur de la qualité du français au Québec.

 

Références

Beaulieu, Isabelle, «Le premier portrait des enfants de la loi 101. Sondage auprès des jeunes Québécois issus de l’immigration récente», dans Michel Venne (édit.), l’Annuaire du Québec 2004, Montréal, Fides, 2003, p. 260-265.

Les Cowboys fringants, «Québécois de souche», Motel Capri, 2001.

Farrow, John, la Dague de Cartier, Paris, Grasset, coll. «Grand format», 2009, 619 p. Pseudonyme de Trevor Ferguson. Traduction de Jean Rosenthal. L’original anglais a paru deux ans après sa traduction : River City. A Novel, Toronto, HarperCollins, 2011, 845 p.

Pion, Léonore et Robert Vézina (édit.), Le français, une langue pour tout et pour tous ? Forum des 3 et 4 avril 2009. Montréal, Montréal, Fides, Institut du Nouveau Monde et Conseil supérieur de la langue française, coll. «Supplément de l’État du Québec», 2009, 109 p. Ill.

Prière de ne pas déranger

La descendance de l’Oreille tendue est encore, et pour longtemps, sur les bancs d’école. Ladite Oreille ne risque pas manquer de grain à moudre.

Exemple récent.

Le mot «dérangeur»

Le «dérangeur» menacerait donc le «vivre ensemble». La «dérangeure» aussi. Ça ne s’invente pas, et pourtant quelqu’un l’a inventé.

Chronique de saison

Il commence à faire frisquet de ce côté de l’Atlantique. La preuve ? Le tweet suivant, de Mahigan Lepage, le 16 septembre : «allumer le calorifère (oui, le calorifère) pour la 1ère fois de la saison, entendre crépiter la poussière, sentir griller les mouches mortes».

«Calorifère», donc. En l’occurrence : au Québec, un radiateur, qu’il soit électrique ou à eau chaude. Selon le Petit Robert (édition numérique de 2010), le mot est «vieux» pour désigner un «Appareil de chauffage». On ne dit rien de son usage régional.

On ne dit rien non plus de son usage chez Simenon dans l’Affaire Saint-Fiacre : «Il ne gaspillait pas les bûches, mais se contentait d’un réchaud à pétrole, qu’il plaçait tout près de lui, pour suppléer au calorifère… disait Maurice de Saint-Fiacre» (p. 103-104).

Le mot est utilisé depuis longtemps en Amérique septentrionale. Deux exemples des années 1920.

Le premier vient des 2000 mots bilingues par l’image de notre ami l’abbé Blanchard. La légende de l’illustration numéro 13 de la page 23 est la suivante : «Calorifère, serpentin. Coil, radiator

 

Abbé Étienne Blanchard, 2000 mots bilingues par l’image, éd. de 1920, p. 23, «Serrurerie, quincaillerie, etc.»

Le second est tiré de la Beauté du verbe (Entretiens sur la langue française au Canada) d’Alfred DeCelles fils. Il s’agit alors d’expliquer une apocope mâtinée de prononciation anglaise : «Caille ou coil (calorifère). Souventes fois on intercale ce mot dans des phrases de ce genre : “Faut qu’j’aille voir à ma caille, voir si ya d’lair dedans !”» (p. 31). Le mot serait féminin; l’Oreille tendue s’étonne un brin, qui ne connaît «caille» et «calorifère» qu’au masculin.

C’est ça ou une petite laine.

P.-S. — On trouve aussi le mot dans Filles du calvaire (2011) d’Annie Rioux : «Ça fait trop longtemps, c’était à la période glaciaire où on apprenait encore à nous réchauffer les mains sur les calorifères de nos rêves.»

 

[Complément du 22 mars 2012]

En janvier 1938, rapporte l’ouvrage le Diable en ville (2012, p. 105 n. 70), le Monument-National de Montréal présente un spectacle signé Henry Deyglun. Son titre ? Il fait froid, Qu’alors y faire !

 

[Complément du 27 juin 2014]

Le Devoir du jour offre un rare exemple d’emploi adjectival : «calorifère titre de l’album du groupe ad hoc Black Dub» (p. B4).

 

[Complément du 6 août 2018]

Fidèle à ses habitudes, Jules Verne voir plus grand que tout le monde : «Ce Gulf-Stream est un vaste calorifère qui permet aux côtes d’Europe de se parer d’une éternelle verdure» (Vingt mille lieues sous les mers, p. 399).

 

[Complément du 3 février 2021]

Selon un outil très précieux (À la recherche du temps perdu – Texte intégral), Marcel Proust utilise sept fois calorifère dans la Recherche, trois fois sous la forme calorifère à eau.

 

[Complément du 15 mai 2022]

Nouvel exemple adjectival, mais romanesque celui-là, chez Alex Viens : «L’enfant rejoint prudemment son père. Il écrase sa cigarette avant de cueillir sa fille avec ses mains calorifères» (les Pénitences, p. 127).

 

Références

Blanchard, abbé Étienne, 2000 mots bilingues par l’image, Montréal, L’Imprimerie des marchands limitée, 1920, 112 p. Ill.

DeCelles fils, Alfred, la Beauté du verbe (Entretiens sur la langue française au Canada), Ottawa, Imprimerie Beauregard, 1927, 58 p.

Lacasse, Germain, Johanne Massé et Bethsabée Poirier, le Diable en ville. Alexandre Silvio et l’émergence de la modernité populaire au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2012, 299 p. Ill.

Rioux, Annie, Filles du calvaire, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Décentrements», 2011. Édition numérique.

Simenon, Georges, l’Affaire Saint-Fiacre, Paris, Librairie générale française, coll. «Le Livre de poche», 14293, 2003, 186 p. Édition originale : 1932.

Verne, Jules, Vingt mille lieues sous les mers, Paris, J. Hetzel et cie, 1871, 436 p. Illustré de 111 dessins par de Neuville.

Viens, Alex, les Pénitences. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2022, 128 p.