Protégeons nos chères têtes blondes

C’était le 12 juin 2010. L’Oreille tendue s’inquiétait du fait que l’on puisse acheter des enfants dans une grande chaîne de librairies canadienne.

Une publicité tombée dans sa boîte aux lettres cette semaine ne l’inquiète pas moins.

Clinique podiatrique, publicité, 2011

Que l’on veuille se débarrasser de ses verrues, de ses ongles incarnés, de ses oignons et orteil marteau, de ses cors et callosités, et du champignon des ongles, cela peut se comprendre. Mais soumettre ses enfants au même traitement ? Il y a des gens qui n’ont pas de cœur — et aucun sens de l’énumération.

Ouste !

Les Anglo-saxons ont un acronyme pour cela : Nimby (Not In My Back Yard). Définition de Wikipédia : «désigne une position éthique et politique qui consiste à ne pas tolérer de nuisances dans son environnement proche». L’équivalent québécois est Pas dans ma cour.

Les exemples ne manquent pas.

«Pas de pauvres dans ma cour» (le Devoir, 21 novembre 2002).

«Pas de piste cyclable dans ma cour !» (la Presse, 2 mai 2001).

«Pas dans ma cour, mon gros diesel» (la Presse, 24 octobre 2011, cahier Auto, p. 12).

«Les “trois grands” ne veulent pas de Kyoto dans leur cour» (la Presse, 2 février 2005, p. A4).

Pas dans ma cour existe aussi en plusieurs déclinaisons.

Version abrégée : «Dans la cour du voisin» (le Devoir, 28 janvier 2003).

Version rurale : «Pas dans mon champ !» (la Presse, 20 septembre 2002).

Version hexagonale : «Pas dans mon jardin» (Libération, 26 décembre 2002); «pas de ça chez nous» (Philippe Didion, Notules, no 286, 17 décembre 2006).

Version marine : «Pas dans mon port, le “bateau de la mort” !» (la Presse, 2 novembre 2003).

Version gazonnée : «Pas dans mon parc !» (la Presse, 22 juin 2011, p. A17); «Pas dans mon parc…» (la Presse, 22 septembre 2011, p. A30).

Étrangement, ce type de comportement, qu’on pourrait imaginer motivé par un simple souci environnementaliste, renverrait, chez certains, à une pathologie. Ce serait un «syndrome».

«Le maire invoque le syndrome “pas dans ma cour”» (le Devoir, 15-16 octobre 2011, p. A4).

«Le syndrome NIMBY est manifeste lorsque des populations marginalisées et discriminées sont poussées à émigrer dans d’autres lieux» (Wikipédia, 25 octobre 2011).

On peut même fondre les expressions les unes dans les autres.

«Le syndrome “pas dans mes poches”» (la Presse, 1er avril 2010, p. A7).

Que de créativité pour dire non !

 

Référence

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

Académiciens à la rescousse

Le lien se trouvait dans une chronique récente de Pierre Assouline dans le Monde des livres, «L’Académie française s’attaque à la chienlit lexicale» (21 octobre 2011, p. 6). Il renvoie à une innovation sur le site de l’Académie : «Voici la première série de cette nouvelle rubrique, Dire, Ne pas dire, qui donne le sentiment de l’Académie française sur les fautes, les tics de langage et les ridicules qui s’observent le plus fréquemment dans le français contemporain.»

Au menu de cette première livraison, quatre rubriques. «Emplois fautifs» : Sur; Après que; Pas de souci; Au niveau de. «Néologismes et anglicismes» : Impacter; Best of. «Extensions de sens abusives» : Gérer; Quelque part. «Les bonheurs et les surprises de la langue française» : Oui; Coi / quiet.

Le titre est poussiéreux. Les emplois fautifs, les néologismes, les anglicismes et les extensions de sens réputées abusives, itou.

La preuve est faite une fois de plus, et bien faite : les portes ouvertes sont les plus faciles à enfoncer.

P.-S. — L’Oreille tendue a le vague souvenir d’un livre, d’un article ou d’un chapitre de livre (belge ?) intitulé «Dites, ne disez pas». Elle aimerait fort en retrouver la référence.

Lecture assistée

Jean Rolin, le Ravissement de Britney Spears, 2011, couverture

Le Ravissement de Britney Spears (2011) est le vague récit d’une mission qui ne l’est pas moins : la chanteuse américaine du titre, rapidement délogée dans l’imaginaire pipeul du narrateur anonyme par Lindsay Lohan, est peut-être, ou pas, ciblée par une conspiration islamiste; ledit narrateur enquête, genre; tout cela n’est peut-être qu’une couverture pour une autre opération, pas plus limpide. Si le patron du narrateur, le colonel Otchakov, en sait plus, le lecteur, lui, non.

La syntaxe du roman, en revanche, est ferme, et roborative. La géographie, si tant est que l’on choisisse d’y donner créance, emballe au moins autant qu’elle est emballée, depuis les rues de Los Angeles, que le narrateur emprunte pédestrement «dans cette ville où ça ne se fait pas» (p. 181), jusqu’aux chemins de montagne du Tadjikistan (ce serait trop long à expliquer). La culture du vedettariat hollywoodien rivalise de vide avec celle du roman d’espionnage. C’est dire qu’on s’amuse chez Jean Rolin.

S’autorisant du fait que l’enquête racontée — c’est un bien grand mot — dans le roman tourne en eau de boudin, l’Oreille tendue a décidé d’y superposer la sienne, sur un seul aspect du texte : son rapport aux langues étrangères, au premier chef l’anglais. En effet, le narrateur rolinien, traducteur dans l’âme, n’hésite jamais à faire œuvre pédagogique.

La traduction des mots étrangers est parfois immédiate, dans un sens ou dans l’autre. Le passage de l’anglais vers le français est attendu : «Jim Morrison : “No one here gets out alive” (littéralement : “Personne ici ne sort vivant”)» (p. 59); «le set up (le coup monté)» (p. 83); «les bad boys, les petites frappes» (p. 86). Parfois, cela se déroule à l’envers, du français vers l’anglais : «“un tas de garçons chauds” (hot-bodied)» (p. 30); «élevée (raised)» (p. 51); «l’endroit le mieux fréquenté de Hollywood (le plus hype)» (p. 164). Page 174, les deux formes sont croisées, à propos d’«un film — un biopic — retraçant la vie» d’une personnalité. Page 204, elles se suivent : «“Girl ! Don’t party so much !” (Fille ! Fais un peu moins la fête !)»; «“trou à crack” (local crack den)».

Dans quelques cas, il vaudrait mieux parler de paraphrase que de traduction : «de succulents crackers au fromage — nacho cheese» (p. 54); «une alley — une voie réservée aux véhicules de service» (p. 150); «un marielito, c’est-à-dire un de ces Cubains, pour la plupart des repris de justice […], qui en 1980 avaient débarqué en masse sur le littoral de la Floride» (p. 212).

Le contexte, ailleurs, est ce qui permet de deviner ce que sont un «valet service» (p. 70) ou les trains «double stack» (p. 126). Pour «ride along», il y a une explication («traîner, en voiture, le long des rues») et une source : «un vocable emprunté à la police» (p. 83). S’agissant de «train wreck» pour désigner une personne, il y a trois possibilités : «“train déraillé”, à moins que le mot anglais ne désigne plutôt le déraillement lui-même, auquel cas il conviendrait peut-être de le traduire par “catastrophe ferroviaire”» (p. 94); «épave» (p. 164).

Tout n’est pourtant pas aussi simple. Il y a des cas où le narrateur hésite : «un Shepherd Mix (berger mélangé ?)» (p. 27). Il est expliqué aux lecteurs qu’«un Mexicain fraîchement débarqué» est un «“dos mouillé”», sans que soit indiqué l’équivalent anglais, «wetback» (p. 124). Une traduction est même présentée comme fautive par son auteur lui-même : «ce motel dont je ne pouvais m’empêcher de traduire le nom — El Rancho Dolores — par “la Ferme des Douleurs”, tout en sachant qu’il ne signifiait rien de tel» (p. 275).

Pourquoi ne pas traduire «car wash» (p. 48), «sex-tape» (p. 89), «“Danger ! Not a pedestrian walkway !”» (p. 115) ou «attorney» (passim) ? Tout le monde connaît-il le sens en français de la chanson de la page 194 ? On notera que l’absence de traduction est de plus en plus fréquente au fil des pages. Cela pourrait porter à confusion : quand des paparazzis crient au narrateur «Shoot them ! Shoot them !», il aurait été bon de préciser qu’il devait filmer les enfants de Britney Spears et non pas tirer sur eux (p. 251).

Les lecteurs attentifs auront aussi noté que la typographie est assez fantaisiste. Certains mots étrangers sont en italiques, d’autres entre guillemets. On les trouve tantôt encerclés de parenthèses tantôt isolés par des tirets. À la même page, une citation est traduite de l’espagnol en français dans le corps du texte, pendant qu’une citation en anglais dans le corps du texte est traduite en français en note (p. 266). (La seule autre note du roman se trouve cinq pages plus loin; elle contient aussi une traduction de l’anglais vers le français.)

Le système n’est pas au point. L’on ne peut que s’en réjouir. Faire autrement aurait été contraire à la logique même du roman.

 

Référence

Rolin, Jean, le Ravissement de Britney Spears. Roman, Paris, P.O.L, 2011, 284 p.