Nouveau chantier — Écrire le Printemps érable

L’Oreille tendue, au cours des derniers mois, a écrit à plusieurs reprises sur les grèves étudiantes québécoises de 2012 (voir ici), notamment sur les pancartes brandies par les uns et les autres.

Depuis, elle se consacre à un nouveau projet : commenter les livres qui commencent de paraître sur la ggi (grève générale illimitée).

Les titres commentés sont répertoriés ci-dessous, par ordre de parution des textes sur le blogue. Les nouveaux titres seront ajoutés au fur et à mesure.

1. Nicol, Patrick, Terre des cons. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 97 p. Deuxième édition : 2018.

«Raconter le Printemps érable», 20 novembre 2012

2. Langelier, Nicolas, Année rouge. Notes en vue d’un récit personnel de la contestation sociale au Québec en 2012, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 02, 2012, 100 p. Ill.

«Suivre le Printemps érable», 21 novembre 2012

3. Collectif, Je me souviendrai. 2012. Mouvement social au Québec, Antony, La boîte à bulles, coll. «Contrecœur», 2012, 246 p. Ill.

«Se souvenir du Printemps érable», 30 novembre 2012

4. Brisson, Pierre-Luc, Après le printemps, Montréal, Poètes de brousse, coll. «Essai libre», 2012, 92 p. Ill.

«Retracer (?) le Printemps érable», 3 décembre 2012

5. Nadeau, Jacques, Carré rouge. Le ras-le-bol du Québec en 153 photos, Montréal, Fides, 2012, 175 p. Ill. Note de l’éditeur par Marie-Andrée Lamontagne. Préface de Jacques Parizeau. Postface de Marc-Yvan Poitras.

«Faire voir le Printemps érable», 5 décembre 2012

6. Collectif, Printemps spécial. Fictions, Montréal, Héliotrope, «série K», 2012, 113 p. Ill.

«Raconter le Printemps érable, bis», 14 janvier 2013

7. Chamberland, Paul, les Pantins de la destruction, Montréal, Poètes de brousse, coll. «Essai libre», 2012, 109 p.

«S’indigner devant le Printemps érable», 7 mars 2013

8. Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. La marche orange, Brossard, Un monde différent, 2012, 50 p. Bande dessinée.

«Dessiner le Printemps érable», 12 juin 2014

 

Autres titres parus (version du 20 février 2022)

À force d’imagination. Affiches et artéfacts du mouvement étudiant au Québec 1958-2013, Montréal, Lux, 2013, 400 p.

Ancelovici, Marcos et Francis Dupuis-Déri (édit.), Un printemps rouge et noir. Regards croisés sur la grève étudiante de 2012, Montréal, Écosociété, 2014, 376 p.

Beaudet, Gérard, les Dessous du printemps étudiant, Québec, Nota bene, 2013, 186 p.

Beaulieu, Jimmy, Rôles de composition, Montréal, Mécanique générale, 2016, 112 p. Bande dessinée.

Biz, la Chaleur des mammifères, Montréal, Leméac, 2017, 160 p. Rééd. : Montréal, Leméac, coll. «Nomades», 2021, 192 p.

Bonenfant, Maude, Anthony Glinoer et Martine-Emmanuelle Lapointe, le Printemps québécois. Une anthologie, Montréal, Écosociété, 2013, 360 p. Préface de Georges Leroux. Postface des Zapartistes.

Brousseau, Simon, les Fins heureuses. Nouvelles, Montréal, Le Cheval d’août, 2018, 196 p. Voir «La physique des boules de billard», p. 109-119.

Cahiers Fernand-Dumont, 2, 2013, 430 p. Dossier «L’éducation en péril».

Clermont, Stéphanie, le Jeu de la musique. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 15, 2017, 340 p. Voir surtout «Les astres», p. 52-70.

Collectif de débrayage, On s’en câlisse. Histoire profane de la grève. Printemps 2012, Québec, Québec, Éditions Entremonde et Sabotart, 2013, 288 p.

Courteau, Clément et Louis-Thomas Leguerrier, Tenir parole, Montréal, Anika Parance Éditeur, 2017, 229 p.

Denis, Mathieu et Simon Lavoie, Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, Montréal, Flammarion, 2017, 208 p. Scénario.

Fermaille. Anthologie, Montréal, Moult éditions, 2013, 223 p.

Frappier, André, Richard Poulin et Bernard Rioux, le Printemps des carrés rouges. Lutte étudiante, crise sociale, loi liberticide, démocratie de la rue, Mont-Royal, M éditeur, coll. «Mobilisations», 2012, 159 p.

Isabel, Mariève et Laurence-Aurélie Théroux-Marcotte (édit.), Dictionnaire de la révolte étudiante. Du carré rouge au printemps québécois, Tête [première], 2012, 228 p. Préface de Guy Rocher.

Labonté, Mélissa, Faire maille. L’engagement poétique de la revue Fermaille au printemps 2012, Québec, L’instant même, coll. «Trajectoire», 2017, 108 p.

Lemay, Sylvain et André St-Georges, Rouge avril, Montréal, Mécanique générale, 2022, 272 p.

Marquis, Antonin, les Cigales. Roman, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Romanichels», 2017, 232 p.

Mc Cabe, Alexandre, Une vie neuve, Chicoutimi, La Peuplade, 2017, 170 p.

Millette, Josianne, De la rue au fil de presse. Grèves étudiantes et relations publiques, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Communications», 2013, 186 p.

Nadeau-Dubois, Gabriel, Tenir tête, Montréal, Lux, 2013, 224 p.

Poirier St-Pierre, Renaud et Philippe Éthier, De l’école à la rue. Dans les coulisses de la grève étudiante, Montréal, Écosociété, coll. «Actuels», 11, 2013, 224 p. Préface de Simon Tremblay-Pepin.

Pour un printemps. Livre citoyen / Gens du Québec, Montréal, Artmour, 2012, 306 p. Ill. Une production Artmour réalisée par Jane D’Eau.

Senécal, Patrick, Malphas 3. Ce qui se passe dans la cave reste dans la cave, Québec, Alire, 2013, coll. «GF», 24, 2013, 562 p.

Senécal, Patrick, Malphas 4. Grande liquidation, Québec, Alire, coll. «GF», 31, 2014, 587 p.

Seymour, Michel, Une idée de l’université. Propositions d’un professeur militant, Montréal, Boréal, 2013, 216 p.

Simard, Marc, Histoire du mouvement étudiant québécois. 1956-2013. Des trois braves aux carrés rouges, Québec, Presses de l’Université Laval, 2013, xi/313 p.

Simoneau, Guillaume, la Commande du morse, Montréal, Éditions du renard, 2013, s.p. Ill. Suivi de «Notre année lumineuse» par Alexis Desgagnés.

Sinclair, Francine, Stéphanie Demers et Guy Bellemare (édit.), Tisser le fil rouge. Le Printemps érable en Outaouais — récits militants, Mont-Royal, M éditeur, coll. «Militantismes», 7, 2014, 272 p. Préface de Normand Baillargeon.

Surprenant, Marie-Ève et Mylène Bigaouette (édit.), Les femmes changent la lutte. Au cœur du printemps québécois, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2013, 330 p. Ill.

Theurillat-Cloutier, Arnaud, Printemps de force. Une histoire du mouvement étudiant (1958-2013), Montréal, Lux, coll. «Mémoire des Amériques», 2017, 496 p.

Tremblay, Pierre-André, Michel Roche et Sabrina Tremblay (édit.), le Printemps québécois. Le mouvement étudiant de 2012, Québec, Presses de l’Université du Québec, coll. «Innovation sociale», 2015, 230 p.

Trudel, Claude, 1960-2012. De la Crise d’octobre au Printemps érable. Parcours d’un citoyen engagé, Montréal, Québec Amérique, coll. «Biographies et idées / Dossiers et documents», 2015, 304 p. Préface de Daniel Johnson.

Turcotte, Élise, le Parfum de la tubéreuse, Québec, Alto, 2015, 128 p.

Villemaire, Yolande, le Rose des temps, Montréal, Druide, 2017, 496 p.

Yanow, Sophie, la Guerre des rues et des maisons, Montréal, La Mauvaise Tête, 2013, 70 p. Bande dessinée. Traduction de l’auteure et de Vincent Giard. Version anglaise : War of Streets and Houses, Minneapolis, Uncivilized Books, 2014, 64 p.

Retracer (?) le Printemps érable

Pierre-Luc Brisson, Après le printemps, 2012, couverture

[Quatrième texte d’une série sur les livres du Printemps érable. Pour une liste de ces textes, voyez ici.]

L’Oreille tendue est éditrice à ses heures. Elle sait que la rédaction de la quatrième de couverture d’un livre — le blurb, en anglais — est un art que tous ne maîtrisent pas. Elle n’a donc été étonnée qu’à demi en constatant que celle d’Après le printemps de Pierre-Luc Brisson ne correspondait pas au contenu de l’ouvrage. «Après le printemps retrace avec précision les événements majeurs de la crise étudiante depuis les premiers mandats de grève en février 2012 jusqu’au déclenchement des élections provinciales», écrit-on pour appâter le chaland; on promet aussi une «analyse sociocritique et historique». Or il n’est pas question de cela chez Brisson. Pour suivre l’évolution des grèves étudiantes de cette année au Québec, le lecteur aurait plutôt intérêt à lire le collectif Je me souviendrai ou Année rouge de Nicolas Langelier, quoi qu’on puisse penser de ces ouvrages par ailleurs.

Peut-on faire davantage confiance à l’introduction de l’essai ?

Je n’ai pas pour objectif de revenir sur les causes de la grève étudiante ni de tenter d’en démêler les tenants et aboutissants, bien que cette question soit en filigrane de notre réflexion. D’autres l’ont fait avant moi et il ne servirait à rien de reprendre un débat déjà largement commenté. Je n’ai pas non plus la prétention d’offrir ici une thèse complète, une vision entièrement ficelée du problème et de l’avenir du Québec. Je préfère soulever les pierres et tenter de débusquer ce qui se cache derrière les discours et les actions des uns et des autres. Je préfère poser des questions et faire entrevoir des solutions plutôt que d’asséner des vérités. C’est à cet exercice de réflexion et de remise en question que je convie le lecteur. Voici ma contribution; à d’autres de prendre le relais (p. 12-13).

Cette déclaration entraîne plusieurs commentaires. Deux ont une importance limitée : la déclaration contredit le texte de la quatrième de couverture; elle révèle un des traits stylistiques de l’auteur, un flottement entre le je et le nous. Deux sont autrement importants.

Pierre-Luc Brisson annonce qu’il va tenter de «débusquer ce qui se cache derrière les discours et les actions des uns et des autres». Or ce qu’il «débusque» en matière de «discours» et d’«actions» ne se trouve pas également chez les «uns» et les «autres». S’agissant des étudiants, il affirme, sans la moindre démonstration, que leur discours est «réfléchi» (p. 37), que leurs assemblées ont démontré «une capacité d’analyse et de réflexion […] globale» (p. 44) et que leur «démarche démocratique» était «exemplaire» (p. 76). Le lecteur est invité à croire l’auteur sur parole. En revanche, les «discours» et les «actions» des opposants à la grève sont, eux, longuement détaillés et démontés.

Le second commentaire que l’on peut faire à la lecture de ce passage de l’introduction d’Après le printemps porte sur la phrase suivante : «Je préfère poser des questions et faire entrevoir des solutions plutôt que d’asséner des vérités.» Elle n’est que partiellement vraie.

En fait, Après le printemps — c’est bien son droit — est un plaidoyer, divisé en trois parties. Dans la première, Brisson souhaite voir «rénover l’édifice démocratique du Québec» (p. 24). Il s’en prend ensuite à la concentration des médias, pour terminer par une réflexion sur le statut de l’Université au XXIe siècle au Québec. On peut reprocher beaucoup de choses à Brisson, mais pas le choix de ses objets : il s’agit de questions capitales.

Que peut-on lui reprocher alors ?

Le premier chapitre porte sur la vie démocratique. Lutter contre «la déliquescence morale du gouvernement libéral» (p. 23) ? Mettre fin à «notre inaction politique» (p. 28) ? Ces projets politiques ne peuvent avoir de sens que si l’on prend en considération l’absence d’unité des sociétés modernes. On ne peut les concevoir en utilisant des termes «génériques» comme «la population» (p. 22) ou «les citoyens» (p. 22 et p. 53). Une des leçons du Printemps érable et des élections provinciales du 4 septembre pourrait être, contre les discours généralisateurs, que le Québec est bien plus divisé qu’on ne veut généralement le reconnaître.

L’auteur n’aime guère les médias institués : il consacre plusieurs pages à contester les textes de commentateurs du Devoir, du Journal de Montréal ou de la Presse. L’éditorialiste en chef de ce journal, André Pratte, est sa bête noire (il est davantage question de lui que de l’ancien premier ministre du Québec Jean Charest), mais une petite place est quand même faite à Richard Martineau, celui que l’on reconnaît sous les traits du «Chroniqueur» dans le roman Terre des cons de Patrick Nicol. Cette critique peut se défendre, de même que l’éloge de la télévision étudiante de l’Université Concordia, CTUV. On ne suivra toutefois pas Pierre-Luc Brisson quand il croit, dans les images de CTUV, à l’existence d’une «réalité non filtrée» : toute image est un choix.

L’analyse de la situation financière des universités québécoises est marquée de la même naïveté. Un journaliste de Radio-Canada met en doute le sous-financement des universités (p. 61) ? Cela suffit à l’auteur : «En clair, non seulement nous investissons plus dans nos universités qu’on ne le fait partout ailleurs au pays […]» (p. 63). Quiconque s’intéresse à cette question sait que les choses sont bien plus compliquées.

Ce n’est pas plus convaincant quant à la conception de l’Université défendue dans Après le printemps. Que l’Université doive défendre des valeurs humanistes, nul ne saurait en disconvenir (du moins, on l’espère). En revanche, l’Université, c’est aussi de la recherche appliquée et de la formation professionnelle. Pierre-Luc Brisson le reconnaît, mais il ne se pose pas moins fréquemment des questions binaires comme celle-ci : «Doit-on chercher à transmettre des savoirs fondamentaux ou à former les nouveaux techniciens spécialisés du XXIe siècle ?» (p. 70; voir aussi p. 66-67, p. 73 et p. 80). Des trois chapitres du livre, «De l’université et de sa place dans le Québec de demain» est le moins solide et son argumentaire contre la «conception de l’université-entreprise» (p. 68) repose sur des bases factuelles approximatives.

Le «printemps» a été «engagé» (p. 14); Pierre-Luc Brisson l’est aussi (pour la gratuité universitaire, pour un «retour au dialogue social» [p. 81], pour des États généraux permanents). Il n’y a pas lieu de le lui reprocher. Cela explique ses prises de position catégoriques. Pour convaincre, il faut cependant plus que de l’engagement.

P.-S. — Le recteur de l’Université de Montréal roule en Lexus «de fonction» (p. 63), le vice-recteur aux relations institutionnelles et secrétaire général de l’Université Concordia, dans «une Lexus RX350 aux frais des contribuables et des étudiants» (p. 91-92 n. 30). La situation est peut-être plus inquiétante à l’Université Laval : celle-ci refuse «de confirmer la marque de la voiture utilisée par son dirigeant» (p. 91 n. 30).

 

Références

Brisson, Pierre-Luc, Après le printemps, Montréal, Poètes de brousse, coll. «Essai libre», 2012, 92 p. Ill.

Collectif, Je me souviendrai. 2012. Mouvement social au Québec, Antony, La boîte à bulles, coll. «Contrecœur», 2012, 246 p. Ill.

Langelier, Nicolas, Année rouge. Notes en vue d’un récit personnel de la contestation sociale au Québec en 2012, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 02, 2012, 100 p. Ill.

Nicol, Patrick, Terre des cons. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 97 p.

Citation culinaire et sibylline du jour

Joseph Chung et Pierre Fortin sont professeurs d’économie à l’Université du Québec à Montréal. Dans le Devoir du 23 novembre, ils signent un texte d’opinion : «Intégration des immigrants. La francisation seule ne suffit pas» (p. A9).

Cela se termine ainsi : «La seule politique d’intégration qui va québéciser véritablement l’immigrant à long terme, c’est celle qui va susciter chez lui l’amour du Québec. L’argent aide, mais c’est l’amour qui est déterminant. Kimchi si tu veux, mais kimchi du Québec.»

Kimchi ? Selon Wikipédia, il s’agirait d’un plat coréen. Or il n’a été question ni de la Corée ni de sa cuisine dans le texte. Pourquoi alors ce mot ?

Si peu de jours, tant de questions.