Il n’y a plus de sot métier

«Je me suis magasiné un emploi épanouissant […].»
Charles Bolduc, les Truites à mains nues, 2012

Le monde du travail se transforme sous nos yeux. Aujourd’hui, on le sait, n’importe qui peut devenir associé ou ambassadeur de marque. De même, quand l’employabilité est en crise, il y a de l’avenir pour les conseillers en insolvabilité. Inversement, le bougon, lui, dépenserait beaucoup d’énergie, mais pour ne pas travailler.

Ce n’est bien sûr pas tout.

Engager des employés, c’est bien. Être «conseillère principale en attraction de talent» (la Presse, 30 janvier 2013, cahier Affaires, p. 7), c’est mieux. On imagine sans peine que cette personne doit travailler de près avec «des agents de talent spécialisés en branding humain».

Plus modestement, vous aimeriez devenir «responsable de la recherche et de l’élaboration du matériel relatif à l’engagement du public, notamment des campagnes de sensibilisation et de la campagne annuelle de collecte de fonds du Carême pour l’ensemble du Canada (anglophone et francophone)» ? Vous êtes potentiellement une «Personne agente au matériel pédagogique».

À une époque, les consultants — ces intervenants bien payés, le plus souvent par des décideurs avec une vision — et les experts pullulaient. Les coachs les ont remplacés.

Il en est de toutes sortes : pour les acheteurs de voitures Cadillac (la Presse, 14 mai 2012, cahier Auto, p. 5), pour ceux qui écrivent (@Coachingecrit), pour ceux qui ont besoin «de redressement» (la Presse, 11 juillet 2009, cahier Affaires, p. 10), pour les clientes des esthéticiennes (merci à @fbon), pour les «dirigeants» (@sokallis) comme pour les artistes (Culture pour tous).

Il existe même, cela ne s’invente pas, une Fédération internationale des coachs du Québec (la Presse, 23 mai 2012, cahier Affaires, p. 7).

Le cas le plus paradoxal est celui de l’autocoaching : vous êtes votre propre coach. (C’est, peut-être, plus économique.) Il faut toutefois se méfier : s’il est un «autocoaching efficace», c’est qu’il doit en exister un qui ne l’est pas. (Vous aurez été prévenus.)

De même, le «slow coaching» suppose un «fast coaching», d’où l’idée, déplaisante, d’un «coaching à deux vitesses».

L’ampleur du phénomène du coaching n’a pas échappé à Éric Chevillard, qui publiait en 2011 L’autofictif prend un coach.

Attention. Il ne faut pas confondre sauter sa coach et sauter sa coche.

P.-S. autopromotionnel — Jadis, l’Oreille tendue a publié un long texte sur la représentation de l’expert dans la prose romanesque française de la fin des années 1990. Cela s’intitulait, tout simplement, «Notice sur la précarité romanesque ou ANPE, ASSEDIC, CDD, CV, DDASS, HLM, IPSO, RATP, RMI, SDF, SMIC et autres TUC».

 

Références

Chevillard, Éric, L’autofictif prend un coach, L’Arbre vengeur, 2011.

Melançon, Benoît, «Notice sur la précarité romanesque ou ANPE, ASSEDIC, CDD, CV, DDASS, HLM, IPSO, RATP, RMI, SDF, SMIC et autres TUC», dans Pascal Brissette, Paul Choinière, Guillaume Pinson et Maxime Prévost (édit.), Écritures hors-foyer. Actes du Ve Colloque des jeunes chercheurs en sociocritique et en analyse du discours et du colloque «Écritures hors-foyer : comment penser la littérature actuelle ?». 25 et 26 octobre 2001, Université de Montréal, Montréal, Université McGill, Chaire James McGill de langue et littérature françaises, coll. «Discours social / Social Discourse», nouvelle série / New Series, 7, 2002, p. 135-158. https://doi.org/1866/13815

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