Profusion pronominale

Des élèves découvrent le iPad dans un cadre scolaire.

Elle dit : «C’est bien plus facile pour l’organisation et c’est bien plus le fun d’apprendre quand tu peux vraiment toucher les affaires, lance la jeune fille. […] Tous les papiers que les gens mettaient dans leurs agendas et qu’ils pouvaient perdre, dans l’iPad, tu sais que tout va rester là.»

Lui : «C’est un peu d’adaptation parce que tu n’es pas habitué au début.»

Elle aurait pu dire — l’emploi du pronom indéfini est banal au Québec —, mais elle ne dit pas : «C’est bien plus facile pour l’organisation et c’est bien plus le fun d’apprendre quand on peut vraiment toucher les affaires, lance la jeune fille. […] Tous les papiers que les gens mettaient dans leurs agendas et qu’ils pouvaient perdre, dans l’iPad, on sait que tout va rester là.»

Lui : «C’est un peu d’adaptation parce qu’on n’est pas habitué au début.»

Elle aurait aussi pu dire, plus simplement : «C’est bien plus facile pour l’organisation et c’est bien plus le fun d’apprendre quand je peux vraiment toucher les affaires, lance la jeune fille. […] Tous les papiers que les gens mettaient dans leurs agendas et qu’ils pouvaient perdre, dans l’iPad, je sais que tout va rester là.»

Lui : «C’est un peu d’adaptation parce que je n’étais pas habitué au début.»

L’identité n’est pas une chose toujours bien établie. Le choix des pronoms le révèle.

P.-S. — Merci à @GPinsonM19 d’avoir attiré l’attention de l’Oreille tendue sur l’article du quotidien le Droit d’où sont tirées les deux premières citations.

Dictionnaire des séries 32

Roy MacGregor, Cauchemar à Nagano, 2003, couverture

Personne n’aime perdre. Perdre et mal paraître, c’est pire. Cela peut toucher un joueur en particulier ou une équipe au complet.

Les carcajous avaient gagné, mais ils n’étaient pas vraiment satisfaits de leur performance. Ils avaient mal paru en défense, alors que c’était un des aspects de leur jeu dont ils étaient particulièrement fiers (Cauchemar à Nagano, p. 109).

Le Canada a mal paru (la Presse, 4 mai 2004, p. S6).

L’expression s’emploie aussi dans d’autres sports, par exemple le football.

La défense des Falcons fait mal paraître Peyton Manning (la Presse, 18 septembre 2012, cahier Sports, p. 6).

Essayez donc de bien paraître. Ce sera tout à votre avantage.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Référence

MacGregor, Roy, Cauchemar à Nagano, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 8, 2003, 149 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1998.

À l’intérieur dedans

Faire quelque chose, quoi que ce soit, avec son enfant intérieur est banal. Les livres abondent sur le sujet : Renouez avec votre enfant intérieur (2012), Guérir son enfant intérieur (2008), 81 façons de réveiller son enfant intérieur (2005), M’éveiller à l’amour de mon enfant intérieur (2004), Au cœur de nos émotions, un enfant intérieur, «l’enfant gigogne» (2003), l’Enfant en soi : découvrir et rétablir notre enfant intérieur (2002), l’Enfant intérieur : à la rencontre de son Petit prince intérieur (2001), Reprendre contact avec l’enfant intérieur : analyse transactionnelle et psychothérapie intégrative (2001), Ni ange ni démon : le double visage de l’enfant intérieur (1995), l’Enfant intérieur, un jour à la fois (1994), l’Envol… de notre enfant intérieur (1994), Faites vivre votre enfant intérieur : jeu, dialogue et art-thérapie (1994), Retrouver l’enfant en soi : partez à la découverte de votre enfant intérieur (1992), etc.

Il y a cependant plus inattendu.

«Trouver son chien intérieur» (la Presse, 10 mars 2006, cahier Arts et spectacles, p. 8).

«Avis aux bédéistes en herbe, Christian Quesnel explique comment réveiller votre belette fouineuse intérieure : http://bit.ly/11nwAsq» (@Zonedecriture).

Nous ne sommes que des bêtes.

Dictionnaire des séries 31

«Dans cette chambre de hockey où l’alcool coulait autant que la sueur»
(Les Cowboys fringants,
«Titi Tancrède / Le reel d’la fesse», chanson, 2008)

 

Le plus souvent, les spectateurs ne voient les joueurs de hockey que sur la glace. Ils n’ont que rarement accès à leur vestiaire — à la chambre.

On entend parfois dire qu’un entraîneur a perdu sa chambre. Ce n’est pas bon signe : son autorité ne serait pas ce qu’elle devrait être.

Cela peut s’exprimer autrement : quand le message d’un entraîneur ne passe plus, on doit s’attendre à le voir perdre son vestiaire, si ce n’est déjà fait.

Ce que cela veut dire concrètement ? On ne le saura jamais, car ce qui se passe dans la chambre reste dans la chambre. (Équivalent dans la langue de Gary Bettman : What happens in Vegas stays in Vegas.)

Vous pouvez toutefois parier sur un congédiement de cet entraîneur. Il y a en effet de fortes chances qu’on lui montre la porte (de la chambre).

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

Quasi-otoflorilège

Cela n’étonnera personne : quand elle entend le mot oreille, l’Oreille tendue tend la sienne. Il lui arrive même de s’imaginer constituant, en tout bien tout honneur, un florilège de l’oreille : un otoflorilège qui aurait, en quelque sorte, valeur d’autoflorilège.

Les jours où ça ne va pas, elle citerait Tout ce que je sais en cinq minutes de Corey Frost — «Les désavantages d’avoir des oreilles» (p. 51) —, Claire Legendre — une des protagonistes de Viande est «devenue une oreille à recueillir les déchets des gens» (p. 183) — ou Diderot — «Cet organe-là que j’ai aux deux côtés de ma tête a quelque chose de bizarre» (Leçons de clavecin, dixième dialogue).

Pensant à ses lecteurs, elle se souviendrait d’une phrase de Benjamin Péret : «Chaque jour ils reçoivent une oreille […].»

Elle craindrait parfois qu’ils ne lui soient plus fidèles : «Entre les dernier Panama [sic] de l’été, tu as essayé plusieurs paires d’oreilles» (Chanson française, p. 51).

Elle souhaiterait plutôt les entendre déclarer : «Vous avez de l’oreille» (le Méridien de Greenwich, p. 133).

Puis elle se dit que ce projet d’otoflorilège n’a guère de sens, et elle l’abandonne.

 

Références

Echenoz, Jean, le Méridien de Greenwich. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1979, 255 p.

Frost, Corey, Tout ce que je sais en cinq minutes. Fictions, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 54, 2013, 184 p. Ill. Traduction de Christophe Bernard.

Legendre, Claire, Viande, Paris, Grasset, 1999, 187 p.

Létourneau, Sophie, Chanson française. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 70, 2013, 178 p.

Péret, Benjamin, «Pulchérie veut une auto», 1922.