Plaisir solitaire

Le 23 avril, la Presse+ titrait «Garda se départit d’une de ses divisions». Les cheveux — façon de parler — de l’Oreille tendue se sont dressés d’un coup. Non : il faut évidemment «se départ», et non pas «se départit».

Son fidèle Girodet, à départir, est formel : «Doit se conjuguer comme partir et non comme répartir […]» (p. 229). Son Petit Robert (édition numérique de 2010) ne dit pas autre chose, qui affirme que le «verbe modèle» de départir est partir.

Cela étant, l’Oreille ne se fait pas d’illusion : comme quitter est en voie de remplacer partir et que décéder a pris la place de mourir, plus personne ne tiendra bientôt compte de cette injonction de conjugaison. C’est comme ça.

Dès son édition de 1986 — et peut-être même avant —, le Bon Usage note : «On constate une tendance à conjuguer […] départir comme finir. […] cette tendance est très forte, même dans la langue littéraire» (p. 1253, § 811, rem. 2). Suivent des citations de Barrès, Proust, Schlumberger et Claude Simon.

L’Oreille survivra, (presque) toute seule dans son coin, le cheveu dressé.

P.-S. — Heureusement qu’il y a le Devoir : «RBC se départ de ses activités bancaires» (21 juin 2011). Merci.

P.-P.-S. — Avec départir, on peut faire pire.

 

[Complément du 30 octobre 2018]

Le narrateur des nouvelles de Cataonie de François Blais (2015) se distingue, notamment, par sa préciosité linguistique. Il allait donc de soi qu’il écrivît «Pris de panique mais ne me départant pas de mon masque mondain […]» (p. 82). Qui oserait le lui reprocher ?

 

[Complément du 24 juin 2019]

Ci-dessous, deux tweets qui réjouissent l’Oreille.

 

Références

Blais, François, Cataonie. Nouvelles, Québec, L’instant même, 2015, 117 p.

Girodet, Jean, Dictionnaire Bordas. Pièges et difficultés de la langue française, Paris, Bordas, coll. «Les référents», 1988 (troisième édition), 896 p.

Grevisse, Maurice, le Bon Usage. Grammaire française, Paris-Gembloux, Duculot, 1986 (douzième édition refondue par André Goose), xxxvi/1768 p.

Dictionnaire des séries 02

Tatouage, flambeau, Canadiens de Montréal

Comment reconnaître un vrai partisan des Canadiens de Montréal ? À une époque, c’était facile : il avait le CH tatoué sur le cœur.

Les artistes connaissent bien cette métaphore. Le poème «Canadien» (1991) de Bernard Pozier contient ces vers : «et cet emblème aux deux lettres entrecroisées / que l’on dit tatoué sur le cœur» (p. 11). Dans les Taches solaires (2006), Jean-François Chassay a la même formule pour caractériser un de ses «Jean Beaudry» : «le sigle du Canadien tatoué sur le cœur» (p. 345).

Clark Blaise abandonne la métaphore. Dans sa nouvelle «I’m Dreaming of Rocket Richard» (1974), le narrateur se souvient que son père s’était fait tatouer une scène de hockey dans le dos : «The tattoo pictured a front-faced Rocket, staring at an imaginary goalie and slapping a rising shot through a cloud of ice chips» («Le tatouage représentait le Rocket vu de face, dévisageant un gardien imaginaire et tirant sur lui dans un nuage d’éclats de glace», p. 69).

Aujourd’hui, si l’on doit en croire Réal Béland, cela ne suffit plus. Écoutez sa chanson «Hockey bottine» (2007) : «Tout l’monde dans l’temps avait l’CH tatoué / Ç’a ben changé / C’est dans nos mam’lons qu’i est percé.»

Autres temps, autres mœurs.

 

[Complément du 3 mai 2013]

Il existe nombre de chansons consacrées au hockey. Le jour même où l’Oreille tendue publiait le texte qui précède, Les jumeaux Tadros en lançaient une, «La game (go)». Sur YouTube, où on peut l’entendre, on affirme qu’il s’agit de «La chanson Officielle des séries éliminatoires de Hockey» (majuscules certifiées d’origine). On y trouve l’expression «le hockey tatoué su’l cœur». Le monde du hockey est petit.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Béland, Réal, «Hockey bottine», Réal Béland Live in Pologne, 4 minutes, disque audionumérique, 2007, étiquette Christal Musik CMCD9954.

Blaise, Clark, «I’m Dreaming of Rocket Richard», dans Tribal Justice, Toronto, General Publishing Co. Limited, coll. «New Press Canadian Classics», 1984, p. 63-72. Édition originale : 1974.

Chassay, Jean-François, les Taches solaires. Roman, Montréal, Boréal, 2006, 366 p. Ill.

Pozier, Bernard, Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p. Ill. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.