Sondage : le niveau baisse !

Hier soir, l’Oreille tendue est allée parler de langue à l’émission de télévision BazzoTV, à Télé-Québec, à l’occasion de la parution de son plus récent livre, Le niveau baisse !

Les téléspectateurs étaient invités à répondre à une question : «La qualité du français se dégrade-t-elle au Québec ?» Trois réponses étaient possibles : «Oui», «Un peu», «Non».

Résultats : à plus de 70 %, «Oui». Bref, une très large majorité des téléspectateurs pense que le niveau baisse et elle rejoint par là un sentiment largement partagé dans la population.

Comment expliquer cela, alors qu’il y a eu au cours des dernières années, selon le Conseil supérieur de la langue française, un «progrès objectif des performances linguistiques dans la population en général» au Québec (2015, p. 4) ?

On peut offrir une première hypothèse d’interprétation : l’être humain aurait tendance à déplorer, de façon générale, le passage du temps. Le gazon était plus vert avant. La neige était plus blanche avant. Les enfants étaient mieux élevés avant. Le sel, comme l’affirmait la mère d’un ex-collègue de l’Oreille, salait mieux avant.

Cette hypothèse est évidemment insuffisante : pourquoi ce type de lamentation a-t-il cours au Québec ? Et au sujet de la langue ?

On pourrait répondre en s’appuyant sur la physiologie. Qu’est-ce qu’un francophone ? Réponse de Jean-Marie Klinkenberg dans la Langue dans la Cité (2015) :

Un Francophone, c’est d’abord un mammifère affecté d’une hypertrophie de la glande grammaticale; quelqu’un qui, comme Pinocchio, marche toujours accompagné d’une conscience impérieuse, une conscience volontiers narquoise, lui demandant des comptes sur tout ce qu’il dit ou écrit (p. 36).

Cette hypertrophie rendrait les francophones particulièrement sensibles à l’évolution (supposée, fantasmée) de leur langue. (Pour en savoir plus sur ce livre, on va ici.)

On pourrait aussi répondre aux questions évoquées ci-dessus par l’histoire. Pourquoi les francophones souffrent-ils de pareille maladie (bénigne mais embêtante) ? Peut-être parce que la langue française, contrairement à l’anglais, à l’espagnol ou au portugais, est très centralisée, encore aujourd’hui, et assez réfractaire au changement et à la différence. La variation, en français, paraît plus difficile à accepter que dans d’autres langues.

Une chose est sûre, au-delà de ces hypothèses : il va falloir encore beaucoup d’éducation pour faire comprendre au public de BazzoTV, et aux Québécois, que l’affirmation «Le niveau baisse» est bien trop générale pour signifier quoi que ce soit de convaincant. L’Oreille essaie de contribuer à la discussion, mais elle ne se fait pas d’illusions.

 

Références

Conseil supérieur de la langue française, Avis à la ministre responsable de la Protection et de la Promotion de la langue française. Rehausser la maitrise du français pour raffermir la cohésion sociale et favoriser la réussite scolaire, Québec, gouvernement du Québec, [août] 2015, iii/49 p. www.cslf.gouv.qc.ca/publications/avis207/a207.pdf

Klinkenberg, Jean-Marie, la Langue dans la Cité. Vivre et penser l’équité culturelle, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2015, 313 p. Préface de Bernard Cerquiglini.

Melançon, Benoît, Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue), Montréal, Del Busso éditeur, 2015, 118 p. Ill.

Benoît Melançon, Le niveau baisse !, 2015, couverture

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