Pauvre lui

Éric Chevillard, Démolir Nisard, 2006, couverture

Ce matin, l’Oreille tendue donnera la deuxième séance de son cours Questions d’histoire de la littérature à l’Université de Montréal.

Elle citera Désiré Nisard.

Et elle citera Éric Chevillard :

Mais comment sais-tu tout cela ? me demande Métilde. Il suffit pourtant de lire quelques lignes de ce sinistre cagot pour ne plus rien ignorer de lui et deviner d’où il vient, de quel œuf pourri, de quelle enfance contrariée il est issu. Mais, certainement, Métilde a mieux à faire que d’envoyer un bibliothécaire extraire dans les arrière-fonds poussiéreux de la réserve les quatre tomes, scellés par l’humidité et l’indifférence séculaire du lectorat, de l’Histoire de la littérature française de Nisard et laisser se faner dans ces pages quelques heures de sa jeunesse, de sa beauté fascinante. Comme je souffrirais de savoir Métilde enlisée jusqu’à mi-corps dans ce marécage ! Métilde prisonnière de la boue grise de ces volumes et Nisard tout au fond rampant comme un visqueux reptile, s’enroulant autour de ses chevilles, Nisard tapi au creux de son œuvre idéalement vide, triste construction de pâte à papier, et guettant la proie juvénile, après des décennies de solitude amère à peine troublées par la visite oblique de quelque universitaire pressé en quête d’une référence pour une note en bas de page, Nisard vautré dans sa fange avisant soudain le pied rose de Métilde, y ventousant ses lèvres flasques, Nisard dont j’ai toujours soupçonné la secrète abjection, incapable cette fois de cacher son jeu et de se dominer après une si longue abstinence, et se jetant sur elle en crachotant, l’œil fou, l’air hagard (p. 11).

 

Référence

Chevillard, Éric, Démolir Nisard. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2006, 172 p.

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