BDHQ, la suite

Shawn Sirois et Jean-François Vachon, Planète Zoockey, 2012, p. 50

Maurice «Rocket» Richard est le plus mythique des joueurs des Canadiens de Montréal — c’est du hockey.

Il a été l’objet de toutes sortes d’écrits : des articles de périodiques et des textes savants, des biographies et des recueils de souvenirs, des contes et des nouvelles, des romans et des livres pour la jeunesse, des poèmes et des pièces de théâtre. On lui a consacré des chansons, des sculptures, des peintures, des films et des émissions de télévision. Son visage a orné des vêtements, des jouets, des publicités. On a donné son nom à des lieux publics. Et il est représenté dans des bandes dessinées.

Parfois, on y évoque des moments forts de sa carrière : certaines de ses bagarres légendaires — c’est du hockey —, celles avec Robert «Killer» Dill (Ullman, 2014); un de ses buts les plus célèbres (Beaudet et Boily 2011); un match d’exception, celui du 28 décembre 1944 (Bouchard, 2014); une finale de la coupe Stanley (Achdé, 2011); ou l’émeute du 17 avril 1955, qui a joué un rôle si important dans sa carrière et sa mythification (Arsène et Girerd, 1975; Ullman 2011).

À d’autres moments, le nom de Richard apparaît sans qu’il s’agisse de rappeler un de ses hauts faits d’armes. C’est le cas chez Albert Chartier à quelques reprises, et chez Duguay, Goulet et Vaillancourt en 2010. Le Marcel Rageur de Shawn Sirois et Jean-François Vachon (2012) est évidemment inspiré du numéro 9 des Canadiens. Dans Motel Galactic. 3. Comme dans le temps (2013), de Francis Desharnais et Pierre Bouchard, l’allusion au Rocket passe par la citation d’une chanson bien connue de Pierre Létourneau, «Maurice Richard» (1970).

Rares sont les bandes dessinées biographiques sur Richard. Il n’en existe que deux, en anglais, et anciennes : celle du Babe Ruth Sports Comics de 1950, «Maurice “The Rocket” Richard. Hockey’s Battling Terror», et celle des World’s Greatest True Sports Stories de Bill Stern en 1952, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», les deux publiées aux États-Unis.

 

Bill Stern, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», World’s Greatest True Sports Stories. Bill Stern’s Sports Book, 1952, case

Ce qui nous amène à une bande dessinée que faisait paraître la Presse+, la version pour tablette du quotidien montréalais la Presse, le 3 mai dernier. Intitulée «Les gants magiques», signée André Rivest, cette histoire en dix cases raconte les prouesses inattendues du numéro 18 des Canadiens, Marcel Bonin, pendant les séries éliminatoires de 1959. On ne s’attendait pas à ce que ce joueur robuste — ce qu’on appelle aujourd’hui un policier — marque dix buts et obtienne cinq passes en onze parties.

Rivest, André, «Les gants magiques», la Presse+, 3 mai 2015

Comment a-t-il réussi cela ? En jouant avec les vieux gants de Maurice Richard, alors blessé, ce Richard qui est dans cinq des dix cases de la bande dessinée.

On ne prête qu’aux riches.

[Ce texte reprend des analyses publiées dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

[Complément du 2 juin 2016]

L’Oreille tendue vient de publier un article sur ce sujet :

Melançon, Benoît, «BDHQ : bande dessinée et hockey au Québec», dans Benoît Melançon et Michel Porret (édit.), Pucks en stock. Bande dessinée et sport, Chêne-Bourg (Suisse), Georg, coll. «L’Équinoxe. Collection de sciences humaines», 2016, p. 101-117. https://doi.org/1866/28749

 

Références

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 3. Filet garni !, Boomerang éditeur jeunesse, 2011, 46 p. Couleur : Mel.

«Albert Chartier. A Retrospective on the Life and Work of a Pioneer Quebecois Cartoonist», Drawn & Quarterly, 5, 2003, p. 116-191. Traduction de Helge Dascher. Calligraphie de Dirk Rehm.

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p. Premier et unique épisode des «Enquêtes de Berri et Demontigny».

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p.

Bouchard, Pierre, Je sais tout, Montréal, Éditions Pow Pow, 2014, 106 p.

Chartier, Albert, Onésime. Les aventures d’un Québécois typique, Montréal, L’Aurore, coll. «Les p’tits comiks», 1, 1974, [s.p.].

Chartier, Albert, Une piquante petite brunette, Montréal, Les 400 coups, coll. «Strips», 2008, 222 p. Publié sous la direction de Jimmy Beaulieu.

Chartier, Albert, Onésime. Les meilleures pages, Montréal, Les 400 coups, 2011, 262 p. Publié sous la direction de Michel Viau. Préface de Rosaire Fontaine.

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 3. Comme dans le temps, Montréal, Éditions Pow Pow, 2013, 107 p.

Duguay, Goulet et Vaillancourt, Lionel et Nooga 1. Bandes et contrebandes, Montréal, Les 400 coups, coll. «Rotor», 2010, 60 p.

«Maurice “The Rocket” Richard. Hockey’s Battling Terror», Babe Ruth Sports Comics, 1, 6, février 1950, [s.p.]. Reproduite par Paul Langan dans Classic Hockey Stories. From the Golden Era of Pulp Magazines, 1930s-1950s (Chez l’Auteur, 2021, p. 219-221).

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Rivest, André, «Les gants magiques», la Presse+, 3 mai 2015.

Sirois, Shawn et Jean-François Vachon, Planète Zoockey, Montréal, Le petit homme, 2012, 50 p. Idée originale de Bob Sirois.

Stern, Bill, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», World’s Greatest True Sports Stories. Bill Stern’s Sports Book, hiver 1952, [s.p.].

Ullman, Robert et Jeffrey Brown, «Libérez le Rocket», dans Old-Timey Hockey Tales, Volume One, Greenville, Richmond et Minneapolis, Wide Awake Press, 2011, [s.p.].

Ullman, Robert, «The Rocket vs. “Killer” Dill», dans «Old-Timey» Hockey Tales, Volume Two, Wide Awake Press, 2014, [s.p.].

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Un livre utile

Jean-Paul de Lagrave, Parlez fort !, 2015, couverture

Il arrive fréquemment à l’Oreille tendue de donner des conférences sur les nombreuses idées reçues à propos de la langue. Elle a constitué une liste de ces idées reçues à partir de ses lectures et de ce qu’elle entend autour d’elle. Dorénavant, quand elle voudra citer un ouvrage qui rassemble un grand nombre d’idées reçues, elle pourra renvoyer à Parlez fort !, l’opuscule que vient de faire paraître Jean-Paul de Lagrave. En peu de pages, on trouve là un nombre fort élevé de lieux communs, de stéréotypes, de clichés. C’est un livre nul, mais utile, par sa concentration d’autant de phrases fondées sur rien.

Passons sur la construction (bien difficile à suivre, jusqu’à une «Annexe» qui arrive comme une cheveu sur la soupe) et sur la grandiloquence de l’auteur («C’est par l’enfant que se maintient une nation et non autrement», p. 17; «C’est la terre québécoise qui assure la pérennité de la nation», p. 55) pour nous attacher à quelques-unes des idées reçues qu’on y trouve.

Les langues sont des essences.

Jean-Paul de Lagrave fait partie de ces gens qui croient que les langues ont des qualités permettant de les placer sur une échelle. Cela lui fait écrire des phrases comme «nous possédons la plus belle langue du monde» (quatrième de couverture et p. 12). Question : ça se mesure comment, la beauté ? Autre exemple : «Cette langue française, avec son cachet québécois, a quelque chose de plus qu’une autre. Il y a en elle un mélange de précision et de poésie» (p. 14). Autre question : ça se mesure comment, la précision et la poésie ?

Il n’y a, et il n’y a toujours eu, que deux langues au Québec.

C’est simple : au Québec, il y a l’anglais et le français, et rien d’autre. Même les immigrants, ces personnes dont on sent bien que ce contempteur des «accommodements raisonnables» ne veut pas beaucoup parler, pratiquent l’une ou l’autre. Quand ils arrivent au Québec, soit ils n’ont pas de langue, soit ils l’oublient instantanément pour se ranger dans un camp. (C’est contagieux : Jean-Paul de Lagrave aime beaucoup le vocabulaire militaire et l’Oreille s’y met elle aussi.) Devant «la culture franco-québécoise» (p. 18), il y le mal (l’anglophone, l’Irlandais, l’Écossais).

L’ennemi, c’est l’anglais. L’anglais, c’est l’ennemi.

Le manichéisme de l’auteur s’exprime dans des paragraphes comme celui-ci :

Le Québec est en danger aujourd’hui parce qu’il est attaqué dans son moi le plus profond. La langue anglo-américaine se faufile chez nous, telle une secte secrète. Il faut la repousser. C’est une bataille nécessaire à mener parce qu’elle est la seule réponse contre ceux qui souhaitent faire périr l’âme et l’esprit francophones. C’est une guerre contre l’agent d’une idéologie dévastatrice. La langue de la déshumanisation, la langue de l’indifférence. Celle de l’uniformisation de la pensée (p. 48).

C’est dit : il n’y a rien de bon à attendre du contact des langues.

Apprendre une deuxième langue quand on est enfant mène au bilinguisme.

«Il est toutefois essentiel de minimiser le bilinguisme à l’école primaire, lieu où l’enfant acquiert ses repères culturels et ses réflexes sociaux» (p. 50). À quoi l’auteur peut-il bien faire allusion ? Aux contacts dans la cour d’école ? Ça ne peut pas être ça : dans les cours d’école, notamment à Montréal, il y a souvent plus de deux langues; il faudrait alors parler de plurilinguisme. À l’enseignement officiel ? Aucune école publique ne donne d’enseignement bilingue au Québec. Au programme intensif d’anglais offert dans quelques écoles à la fin de dernier cycle du primaire ? Personne n’est jamais devenu bilingue uniquement en suivant pareils programmes brefs.

Il faut nécessairement penser ensemble langue et nationalisme.

Jean-Paul de Lagrave, qui ne cesse de marteler son admiration pour Camille Laurin, le ministre du Parti québécois qui a imposé la Charte de la langue française en 1977, est d’un nationalisme identitaire et d’un indépendantisme inoxydables. Ce sont ses seules grilles de lecture de la situation québécoise. La langue française est le «chef-d’œuvre de la conscience nationale» (p. 13), elle est «l’âme du peuple québécois, son essence, son identité, ce qui lui donne sa personnalité, ce qui marque sa différence» (p. 14). André Belleau a pourtant montré, il y a plus de trente ans, comment sortir de la tautologie unissant, chez plusieurs, langue et nationalisme. Il est vrai qu’il n’a pas beaucoup été entendu, ni ici ni ailleurs.

P.-S. — L’auteur consacre deux paragraphes à ce qu’il appelle le «Basic English». Le premier commence ainsi : «Ce fut le fameux Basic English qui assura à l’anglais sa force de pénétration au XXe siècle. Cet anglais élémentaire a été mis au point en 1940 pour les nombreuses populations, souvent issues d’anciennes colonies, de faible niveau intellectuel, parfois illettrées, qui allaient être appelées à servir dans les armées britannique et américaine pendant la Seconde Guerre mondiale» (p. 26). Chacun appréciera à sa juste valeur l’expression «de faible niveau intellectuel».

 

Références

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

Lagrave, Jean-Paul de, Parlez fort !, Trois-Pistoles, Éditions Trois-Pistoles, 2015, 69 p. Ill.

Commencez par celui-là

Simenon, l’Horloger d’Everton, 1954, couverture

Même les inconditionnels le reconnaîtront : dans le conteneur de romans écrits par Georges Simenon, il y a des œuvres sans intérêt.

L’Horloger d’Everton (1954), c’est autre chose. Un samedi soir, Dave Galloway, l’horloger du titre, constate que son fils, Ben, seize ans, a pris sa camionnette et s’est enfui avec sa petite amie. Ça finira mal.

Le roman que tire Simenon de ce fait divers est une exploration douloureuse tant de la paternité («Ben, c’était lui […]», p. 636) que de l’amitié (celle que se découvre Galloway père avec Frank Musak). On entre dans l’univers de la petite ville d’Everton et dans ce qu’il reste de la famille Galloway de but en blanc. Un monde s’écroule et le lecteur est emporté dès l’incipit. L’horloger trouvera une logique (héréditaire) à ce qui s’est passé. Ça le rassurera; pas le lecteur.

Voilà une excellente porte d’entrée dans l’œuvre de Simenon.

P.-S. — Il est souvent question de baseball dans ce roman. Les éditeurs — des amis de l’Oreille tendue — se sentent obligés d’expliquer des termes du lexique de ce sport. À home run — ce que les Québécois appellent coup de circuit —, ils écrivent : «Au base-ball, le “home run” est le point marqué par le batteur lorsqu’il a réussi à accomplir un tour complet de terrain en passant par toutes les bases» (p. 1580 n. 12). Non. Il manque l’essentiel à cette définition : dans la plupart des cas, si le frappeur fait ainsi le tour des buts, c’est qu’il a envoyé la balle par-dessus la clôture avec son bâton.

 

Référence

Simenon, l’Horloger d’Everton, dans Romans. II, édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 496, 2003, p. 567-691 et 1569-1582. Édition originale : 1954.

Les zeugmes du dimanche matin et de Philippe Didion

«La pierre est rongée par le temps et les parasites» (Philippe Didion, Notules dominicales de culture domestique, livraison du 15 février 2015).

Pareilles «cartes postales défraîchies […] font mon délice et mon ordinaire postal» (Philippe Didion, Notules dominicales de culture domestique, livraison du 26 avril 2015).

P.-S. — Vous ne connaissez pas les Notules ? Visite guidée ici.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’art du portrait nucléaire

Simenon, la Mort de Belle, 1952, couverture

«Cependant, quand Miss Moeller vint enfin le prier d’entrer, il y avait dans un coin un grand jeune homme aux cheveux coupés en brosse.

On ne le lui présenta pas. On fit comme s’il n’existait pas. Il resta assis dans l’ombre, ses longues jambes croisées. Il portait un complet sobre, très Nouvelle-Angleterre, avait cet air sérieux, détaché, des jeunes savants qui s’occupent de physique nucléaire.»

Simenon, la Mort de Belle, dans Romans. II, édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis, Paris Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 496, 2003, p. 307-435 et 1544-1560, p. 408. Édition originale : 1952.