Conte de saison

 

Avenue Marlowe, 25 décembre 2014

 

C’était le matin de Noël. Le vent avait soufflé fort sur Notre-Dame-de-Grâce. Une avenue de ce quartier montréalais était devenue impraticable : de nombreuses branches arrachées recouvraient la chaussée.

Dans un de ces élans de générosité que l’on dit si rares dans les grandes villes, des voisins se sont alors rassemblés, venus de quatre maisons, pour nettoyer la rue et les trottoirs.

En quelques minutes, on pouvait de nouveau circuler librement. Les branches de toutes tailles avaient été regroupées en un tas bien impressionnant. Les quatre voisins se congratulèrent avant de rentrer chez eux.

Ce tas bouchait complètement une allée et empêchait un cinquième voisin de prendre sa voiture. Voilà de quoi rendre grâce et chanter l’esprit de Noël.

Peut mieux faire

En mars 2013, à un test intitulé «Les 8 astuces pour réussir une mauvaise photo d’écrivain», l’Oreille tendue avait eu un score parfait.

Elle a faibli depuis. Au palmarès de Paul Hiebert, «Against Promotional Author Photographs», elle n’a plus que 3,5 points sur 5.

Elle a une «photographie sophistiquée» («The Sophisticated Photograph (aka “The My-head-is-so-weighted-down-by-great-thoughts-it-requires-additional-support”)»). (Un point)

Benoît Melançon, portrait

Elle a une «photographie de bureau» («The Office Photograph (aka “The Oh-I-didn’t-hear-you-enter-please-come-in-it’s-really-no-problem”)»). (Un point)

Benoît Melançon, portrait

Elle a (presque) une «photo confo» («The Comfortable Photograph (aka “The Torso-twist-with-arm-resting-on-back-of-couch”)») : il y a la torsion du torse et la main qui se repose, mais pas sur un canapé. (Un demi-point)

Benoît Melançon, portrait

Non fumeuse, elle ne peut avoir la «photographie du fumeur» («The Smoker Photograph (aka “The You-can’t-be-bad-ass-by-doing-what’s-good-for-you-and-your-children”)»). (Aucun point)

Elle a, variation sur la première catégorie, une «photographie main / visage» («The Hand-To-Face Photograph (aka “The Face-alone-is-boring-and-therefore-not-enough”)»). (Un point)

Benoît Melançon, portrait

L’Oreille devra donc soigner ses clichés, histoire d’obtenir de meilleurs résultats. Devrait-elle se mettre à fumer ?

 

[Complément du 16 novembre 2017]

Autoportrait au menton, chez Jean-Philippe Toussaint, dans Made in China (2017) : «Chen Tong, qui fermait la marche dans le couloir, photographiait tout scrupuleusement sur son passage, la chambre des enfants, la bibliothèque, mon bureau, une photo de moi prise ce jour-là allait finir en pleine page d’un magazine chinois, un portrait où j’étais assis dans le salon, les jambes croisées dans mon fauteuil Marcel Breuer, le visage grave, les mains croisées sous le menton, l’air pensif, avec mon crâne lisse qui devait peut-être évoquer quelque figure de moine bouddhiste aux yeux asiatiques de Chen Tong (ou le Bouddha, lui-même, qui sait, avec sa cascade de bourrelets qui lui descend sur le ventre — quoique Chen Tong ne m’ait pas encore vu en maillot de bain à l’époque — et les lobes des oreilles disproportionnés, en signe de sagesse suprême, ou de virilité hors normes, tant l’alopécie révèle souvent l’excès de testostérone, ce qui explique la corrélation, à première vue énigmatique, entre la calvitie et l’ithyphallisme — ah, c’est donc ça ! me dit un jour Madeleine)» (p. 15-16).

 

Référence

Toussaint, Jean-Philippe, Made in China, Paris, Éditions de Minuit, 2017, 187 p.

Langues vivantes

Philippe Girard, la Grande Noirceur, 2014, couverture

Il est arrivé à l’Oreille tendue de s’intéresser à l’expression Grande Noirceur. Tombant par hasard sur une bande dessinée portant ce titre, celle que vient de faire paraître Philippe Girard, elle a donc fleuré la bonne affaire (lexicale).

Sur ce plan-là, elle a été un peu déçue (mais c’est de sa faute). La bande dessinée se déroule bien pendant la période que l’on appelle au Québec la Grande Noirceur, mais l’expression n’est utilisée que dans le titre. Un lecteur qui n’est pas familier avec elle risque de se demander pourquoi elle a été retenue.

En revanche, sur le plan du plaisir de lecture, aucune déception, bien au contraire.

À Québec, en septembre 1939, Anna Donati est presque renversée par une voiture. Au dernier moment, un homme la sauve; c’est lui, Albert, qui se retrouvera alité dans un couvent, inconscient. Soir après soir, Anna ira lui faire la lecture. Elle commencera par la Bible, mais elle passera rapidement à des textes moins orthodoxes : Paradise Lost (Milton), l’Éducation sentimentale (Flaubert), les Fleurs du mal (Baudelaire), Rome (Zola). Albert ne réagit pas, mais le corps d’Anna, lui, si. L’érotisme va grandissant, non seulement grâce au contenu des lectures, mais aussi par la fine reprise d’une scène muette (Anna se dévêtant avant de se mettre au lit).

Dans la Grande Noirceur s’entrecroisent plusieurs récits, celui d’Anna (et de ses rêves), celui d’Albert, celui d’un abbé bien peu orthodoxe (Marcel Logan) et d’une religieuse qui ne l’est pas moins (sœur Valérie). La chaire côtoie le bordel, comme la censure, la liberté. On passe d’un récit à l’autre sans transition et dans un ordre qui ne s’éclairera qu’à la dernière page. Au lecteur de reconstruire l’histoire.

S’y mêlent aussi les langues : le français, parfois populaire, des habitants de Québec; l’anglais des raisons sociales; l’italien d’Anna et de sa mère, en butte au racisme de deux «commères» (p. 15), ces «langues sales» (p. 83); le latin de l’Église, très fortement présent.

Le religieux est partout dans la société représentée : obligation de la confession, soumission à l’Index Librorum Prohibitorum, évocations récurrentes du diable et de l’enfer, contrôle des loisirs (un homme d’Église regarde sévèrement Anna en train d’écouter chanter La Bolduc). Malgré cela, Anna fera une découverte : «Mon père… je m’accuse d’avoir lu un méchant bon livre et d’y avoir pris plaisir !» (p. 85). Faut-il y voir le signe d’une société en train de changer ?

P.-S. de pion — «Ils ont tous débarqués ici ce matin» (p. 82) ? Non : «débarqué», évidemment.

 

Référence

Girard, Philippe, la Grande Noirceur, Mécanique générale, 2014, 87 p.

Jean-François Vilar (1947-2014)

Portrait de Jean-François Vilar par Sophie Bassouls, 1989
Portrait de Jean-François Vilar par Sophie Bassouls, 1989

Le romancier Jean-François Vilar est mort le 16 novembre; la nouvelle a été rendue publique hier.

L’Oreille tendue a pas mal écrit sur son œuvre, qu’elle admire. Ici, voir, par exemple :

un éloge de Bastille tango (1986);

un commentaire bref du même roman;

un zeugme tiré de C’est toujours les autres qui meurent (1982).

On lui rend hommage sur le Web.

Sur le blogue 813 (qui, le premier, a annoncé la nouvelle de sa mort)

Sur Passage Jean-François Vilar

À Télérama

Sur le blogue Quelques nuances de noir (le Monde)

Chez Edwy Plenel

Sur le site 20 minutes

À Libération

Chez Pierre Maury

À Livres hebdo

Sur le blogue Je crois qu’un jour

Sur le site Jeune cinéma

Sur le site ActuaLitté

Sur le site de la revue les Libraires

Sur le blogue des lecteurs de la Bibliothèque nationale de France

Chez remue.net

Les Éditions du Seuil venaient de rééditer son dernier roman, Nous cheminons entourés de fantômes aux fronts troués (1993).

Enfin, voici trois comptes rendus, par l’Oreille, de romans de Vilar :

Passage des singes (Spirale, 47, novembre 1984, p. 10);

Djemila (Spirale, 85, février 1989, p. 15);

les Exagérés (Spirale, 89, été 1989, p. 14).

 

[Complément du 29 janvier 2022]

L’Oreille a repris son texte sur les Exagérés dans le livre qu’elle a fait paraître au début de 2020, Nos Lumières.

 

Référence

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.