Requiem pour un tir

Brasserie Dow, calendrier publicitaire, 1955

Parmi l’arsenal à la disposition des joueurs de hockey, il y a le lancer du revers ou le revers, ce tir qui utilise l’extérieur de la lame du bâton plutôt que l’intérieur.

À ce sujet, le beau-père du journaliste Yves Boisvert est formel :

Il a ajouté […], en voyant Pacioretty rater le but avec son revers, que «Maurice Richard n’aurait jamais manqué ça», avant d’accuser les bâtons trop recourbés qui cassent tout le temps et le déclin catastrophique des tirs du revers dans le hockey moderne (la Presse, 22 mai 2014, cahier Sports, p. 4).

L’affaire serait entendue : le tir du revers serait une chose du passé. On se le dit depuis longtemps dans les discussions familiales.

Stéphane contempla rêveusement les souvenirs du célèbre joueur. À son époque, Maurice Richard avait marqué 50 buts en 50 parties. Son grand-père lui avait répété à maintes reprises que plus personne aujourd’hui ne savait compter des buts comme Maurice Richard. On avait oublié comment frapper du revers. D’après lui, un bâton à palette recourbée ne permettait pas un lancer du revers digne de ce nom (Roy MacGregor, le Vol de la coupe Stanley, p. 64).

Dans le bon vieux temps, celui des six équipes, on marquait nombre de buts de cette façon. Ce revers-là était un gage de succès. De celui de Maurice Richard, Stan et Shirley Fischler n’hésitaient pas à écrire, dans leur Great Book of Hockey, que c’était «the most lethal backhand in hockey» (1991, p. 146).

Les valeurs se perdent.

P.-S. — L’Oreille tendue a cité Roy MacGregor dans son Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso, 2014).

 

Illustration : Brasserie Dow, calendrier publicitaire, 1955

 

Références

Fischler, Stan et Shirley, Great Book of Hockey. More than 100 Years of Fire on Ice, Lincolnwood, Publications International, 1991 (édition mise à jour), 336 p. Ill.

MacGregor, Roy, le Vol de la coupe Stanley, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 2, 2005, 140 p. Traduction de Jean-Pierre Davidts. Édition originale : 1995.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Lectures du troisième tour

The New Yorker, 8 février 1958, couverture

«Les Canadiens encore champions
Pis les Rangers en dernier»
Les Jérolas, «La chanson du hockey», 1960

Troisième match ce soir de la finale d’association — celle de l’est — entre les Canadiens de Montréal et les Rangers de New York — c’est du hockey. Que lire qui concerne les deux organisations ?

Il faut commencer par le récit, signé William Faulkner, de son premier match de hockey, au Madison Square Garden, entre le Bleu-blanc-rouge et les Blue Shirts, en 1955, à la demande de Sports Illustrated. Faulkner est frappé par la rapidité du jeu et par sa grâce, et par son insaisissable logique. De la masse des joueurs, il ne distingue que trois physionomies : Bernard Geoffrion, en garçon précoce; Edgar Laprade, en bon et élégant vétéran; Maurice Richard, le mythique ailier droit des Canadiens. Comment perçoit-il ce dernier ? Les trois joueurs sont d’abord saisis ensemble, et Faulkner souligne leur fluidité et leur vitesse : ils sont «as fluid and fast and effortless as rapier thrusts or lightning». Plus particulièrement, Richard lui apparaît «with something of the passionate glittering fatal alien quality of snakes». La passion y est («passionate»), la lumière («lightning», «glittering»), le danger («rapier thrusts»), voire la mort («fatal»). Mais il y a aussi quelque chose («something») d’étranger en Richard («alien»), et ce quelque chose fait penser aux serpents («snakes»). Il faut être un prix Nobel de littérature comme Faulkner pour enchaîner de pareils qualificatifs et arriver à une image à ce point déconcertante; il faut être un grand romancier si l’on veut se tenir à l’écart des images et des comparaisons toutes faites de la prose sportive.

Le match des étoiles de François Gravel (1996) est le roman le plus fin sur Maurice Richard. Dans ce court texte où les gloires du passé reviennent, le temps d’un match, affronter celles d’aujourd’hui, il est facile de discerner l’ex-numéro 9 : «Quiconque a déjà croisé le regard de Maurice Richard quand il est fâché sait à quel point le spectacle est impressionnant» (p. 44-45); «Ce n’était pas du feu qu’il avait dans les yeux, mais de véritables volcans en éruption» (p. 67). Ce match fantastique se déroule à New York.

Pour rester dans la littérature jeunesse, on se souviendra que les matchs de Compte à rebours à Times Square de Roy MacGregor (2000) se déroulent au Madison Square Garden.

Avant de jouer pour les Rangers de New York, Rick Nash portait les couleurs des Blue Jackets de Columbus. C’est sous cet uniforme qu’on le retrouve dans la Ballade de Nicolas Jones (2010), de Patrick Roy (non, pas le gardien de but), un roman où le hockey est très subtilement tressé au tissu narratif. Leitmotiv ? Le narrateur a «le blues de Rick Nash». (Pas les partisans des Canadiens ces jours-ci.)

Plus banalement, on peut lire des livres sur des joueurs qui ont porté les couleurs des deux équipes : Bernard Geoffrion (Geoffrion et Fischler, 1997), Doug Harvey (Brown, 2002), Guy Lafleur (Saint-Cyr, 2002; Santerre, 2009; Ouin et Pratte, 2010; Pelletier, 2013; Tremblay, 2013), Jacques Plante (O’Brien et Plante, 1972; Plante, 1996; Leonetti, 2004; Denault, 2009) et Gump Worsley (Worsley et Moriarty, 1975).

P.-S. — Le passage sur William Faulkner est repris par l’Oreille tendue de son ouvrage intitulé les Yeux de Maurice Richard (2006).

 

Références

Brown, William, Doug. The Doug Harvey Story, Montréal, Véhicule Press, 2002, 288 p. Ill.

Denault, Todd, Jacques Plante. The Man who Changed the Face of Hockey, Toronto, McClelland & Stewart, 2009, 326 p. Ill. Foreword by Jean Béliveau; Jacques Plante. L’homme qui a changé la face du hockey, Montréal, Éditions de l’Homme, 2009, 448 p. Ill. Traduction de Serge Rivest, avec la collaboration de Claude Papineau et Guy Rivest. Préface de Jean Béliveau.

Faulkner, William, «An Innocent at Rinkside», Sports Illustrated, 2, 4, 24 janvier 1955, p. 14-15. Repris dans Bryant Urstadt (édit.), The Greatest Hockey Stories Ever Told. The Finest Writers on Ice, Guilfdord, The Lyons Press, 2004 et 2006, p. 121-124. Il existe une version différente de ce texte, établie sur un tapuscrit. Elle est publiée dans William Faulkner, Essays, Speeches & Public Letters, édition de James B. Meriwether, Londres, Chatto & Windus, 1967 (1965), p. 48-51 et dans Robert J. Higgs et Neil D. Isaacs (édit.), The Sporting Spirit. Athletes in Literature and Life, New York, Harcourt Brace Jovanovich, 1977, p. 164-166. Elle a été traduite sous le titre «Réflexions d’un profane au bord de la patinoire», dans William Faulkner, Essais, discours et lettres ouvertes, ouvrage établi par James Meriwether et traduit de l’anglais par J. et L. Bréant, Paris, Gallimard, coll. «Du monde entier», 1969, p. 67-71.

Geoffrion, Bernard et Stan Fischler, Boum Boum. The Life and Times of Bernard Geoffrion, Toronto, McGraw-Hill Ryerson Limited, 1997, xiii/271 p. Ill.; Boum Boum Geoffrion, Montréal, Éditions de l’Homme, 1996, 365 p. Ill. Traduction de Jacques Vaillancourt.

Gravel, François, le Match des étoiles, Montréal, Québec/Amérique jeunesse, coll. «Gulliver», 66, 1996, 93 p. Préface de Maurice Richard.

Leonetti, Mike, The Goalie Mask, Vancouver, Raincoast Books, 2004, s.p. Illustrations de Shayne Letain; le Gardien masqué, Markham, Scholastic, 2004, s.p. Illustrations de Shayne Letain. Traduction de Louise Binette.

MacGregor, Roy, Compte à rebours à Times Square, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 9, 2005, 162 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2000.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

O’Brien, Andy, with Jacques Plante, The Jacques Plante Story, Toronto, McGraw-Hill Ryerson, 1972, 161 p. Ill.

Ouin, Christine et Louise Pratte, Guy Lafleur, Saint-Bruno-de-Montarville, Éditions Goélette, coll. «Minibios», 2010, 71 p. Ill.

Pelletier, Pierre-Yvon, Guy Lafleur, la légende. L’album photo du démon blond, Montréal, Editions de l’Homme, 2013, 206 p. Ill.

Plante, Raymond, Jacques Plante. Derrière le masque, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Les grandes figures», 9, 1996, 221 p. Ill.

Roy, Patrick, la Ballade de Nicolas Jones. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 01, 2010, 220 p.

Saint-Cyr, Yves, Guy Lafleur. Le dernier des vrais !, Montréal, Éditions Trait d’union, 2002, 149 p. Ill. Préface de Guy Lafleur.

Santerre, David, Guy Lafleur. Gloire et persécution, New York, Montréal et Paris, Éditions Transit Média, coll. «À découvert», 2009, 220 p. Ouvrage établi sous la direction de Stéphane Berthomet.

Tremblay, Yves, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, Brossard, Un monde différent, 2013, 208 p. Ill. Préface de Guy Lafleur.

Worsley, Gump, with Tim Moriarty, They Call Me Gump, New York, Dodd, Mead, 1975, xii/176 p. Ill.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Rêvons un peu

Nissan publie une publicité en couleurs, sur deux pages, dans la Presse. Cette publicité contient une grosse faute de langue. Le fabricant automobile publie une nouvelle publicité, corrigée, quelques jours plus tard.

Bell Canada diffuse une publicité télévisée. Cette publicité contient une grosse faute de langue. Le géant des télécommunications diffuse une nouvelle publicité, corrigée, plusieurs mois plus tard.

Le fournisseur xplornet, le spécialiste en «Internet haute vitesse | En région», fait sa publicité sur les ondes du Réseau des sports (RDS) par les temps qui courent. Cette publicité contient une grosse faute de langue («où que vous demeurez» au lieu de «où que vous demeuriez»). Y aura-t-il une nouvelle publicité, corrigée ? On peut toujours rêver.

P.-S. — Mais non : l’Oreille tendue n’est pas en train de rouler les mécaniques. Qu’est-ce que c’est que cette insinuation !

Non, pas du tout

L’autre jour, sur Twitter, l’Oreille tendue énumérait les traits du «lexique indispensable du Montréalais de 11 ans (du moins dans NDG)» :

Sérieux ?
Avoue
Super de + adjectif.
Shit !

Une publicité télévisée qui tourne actuellement a rappelé à l’Oreille une expression à ajouter à cette liste : tu me niaises (! / ?).

(Un restaurateur chinois a tout fait pour attirer la clientèle et il est découragé par l’offre imbattable d’un concurrent. Il explique cela à sa femme en chinois, qui lui répond dans la même langue. En sous-titre : «Tu me niaises !»)

L’expression marque l’incrédulité. Synonyme : tu te fous de ma gueule.

On la prononce d’au moins trois façons. Exclamative : Tu me niaises ! Interrogative : Tu me niaises ? Détachée : Tu me ni ai ses.

 

[Complément du 27 février 2016]

Il y a une gradation dans la niaiserie :

 

[Complément du 15 janvier 2021]

Littérairement et interrogativement, existe en au moins deux formes : «Tu me niaises ?» (Françoise en dernier, p. 137); «Tu me niaises-tu ?» (Chienne(s), p. 81)

 

Références

Grenier, Daniel, Françoise en dernier. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 16, 2018, 217 p.

Milot, Marie-Ève et Marie-Claude St-Laurent, Chienne(s), Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 25, 2020, 155 p. Ill. Suivi de «Contrepoint. Cachez ce cerveau que je ne saurais voir» par Catherine Lord.

Les (non-)mots du hockey

Palet (au lieu de rondelle)

Rédigeant d’abord son «Dictionnaire des séries», puis son Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), l’Oreille tendue s’est appliquée à recenser et à définir les mots les plus courants du hockey. Qu’en est-il des mots peu courants ?

Il y a, parmi eux, les mots retenus dans une culture et pas dans une autre. Pas de palet au Québec, mais la rondelle, le disque, le caoutchouc, l’objet, la noire, la puck. Pas plus de gouret, de crosse ou de canne, mais le bâton ou le hockey.

Les médias québécois engagent des joueurnalistes, tandis que les hexagonaux préfèrent des consultants.

Sauf Martin McGuire, les descripteurs de matchs de hockey n’utilisent pas dribbler pour désigner le fait, pour un joueur, d’être en mouvement et de manier la rondelle. Ils emploient plutôt transporter le disque ou tricoter.

En séries éliminatoires, quand on joue des quatre de sept, il est rarissime qu’on dise du match décisif que c’est la belle. Exceptions : l’ami Jean Dion (le Devoir, 13 mai 2014, p. B6) ou tel joli titre, bien euphonique, du Devoir («La belle au Centre Bell», 14 mai 2014).

L’équipe qui gagne la coupe Stanley gagne… la coupe Stanley. Il est peu fréquent, de ce côté-ci de la patinoire, de parler de championnat.

Au football — au soccer —, quand deux villes voisines s’affrontent, il y a derby. Personne ne dit cela quand Montréal rencontre Ottawa.

C’est comme ça.

 

[Complément du 25 janvier 2015]

Étiemble proposa un jour de traduire derby par match de terroir ou de voisinage (éd. de 1991, p. 55). Il ne paraît pas avoir été beaucoup entendu.

 

Références

Étiemble, Parlez-vous franglais ? Fol en France. Mad in France. La belle France. Label France, Paris, Gallimard, coll. «Folio actuel», 23, 1991 (troisième édition), 436 p.

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture