Sacrer mou

L’Oreille tendue — c’est de notoriété publique — aime beaucoup sacrer. À cet art, elle a consacré nombre d’entrées de ce blogue.

Elle s’étonne toujours devant les formes molles des sacres (tabarnouche pour tabarnak, par exemple), car on perd alors de vue la quincaillerie liturgique sur laquelle prend appui le juron québécois.

Cet étonnement s’étend à d’autres expressions, plus idiosyncrasiques que généralisées, dans lesquelles le matériel religieux est évoqué. Il est ainsi des gens qui diraient pentures de confessionnal (merci à @liseravary). Pour d’autres, plus ironiques, bon en chasuble (@MDumaisJDM) serait possible. On entend(ait) parfois petit Jésus de plâtre.

Le jour où l’Oreille aura recours à pareils euphémismes, vous pourrez lui crier dessus.

 

[Complément du 3 mars 2014]

Qui veut, pour jurer, s’en remettre à l’histoire sainte, mais préfère ne pas se servir de Son nom ou de celui de Son fils, peut toujours avoir recours à d’autres personnages bibliques : «Jared Leto sur le tapis rouge aux #oscars : comme si Jésus s’était loué un tux blanc pour échapper aux Romains. Étrange en Hérode !» (@_scorm)

 

[Complément du 15 avril 2014]

@revi_redac rappelle à l’Oreille des paroles d’une chanson de Richard Desjardins, «Le bon gars» :

Y vont m’aimer en Hérode
Excellent citoyen
Pas parfait mais pas loin

Le travail, y a que ça de vrai

Le sujet peut être animé : qui fait la job (toujours au féminin, toujours à prononcer djobbe) fait son travail.

«J’ai fait la djobbe» (une collègue de l’Oreille tendue le jour de la Saint-Valentin).

«RT @cgenin : @fbon j’espère que tu signales à tes étudiants qu’il y a un beau site sur Claude Simon http://associationclaudesimon.org/ | on fait la job !» (@fbon)

Peut-être sous l’influence de l’anglais («that will do the job»), l’expression s’emploie également avec un sujet inanimé.

Une poutine, ça fait la djobbe.

Dans un cas comme dans l’autre, la satisfaction est palpable. Voilà qui est fait ! Reste à espérer que ce soit bien fait.

 

[Complément du 2 mars 2014]

Le romancier François Blais donne une entrevue au Devoir : «Mark Twain, c’est un cas : tous ses romans et récits se résument à une superposition d’épisodes; il ignore même le concept d’arc dramatique, ça fait la job pareil» (1er-2 mars 2014, p. F3).

66 secondes de Count Basie

Count Basie, Straight Ahead, Dot, 1968

L’Oreille tendue ne connaît pas grand-chose à la musique. Bien évidemment, cela ne l’empêche pas d’en parler à l’occasion, soit dans des textes portant sur la chanson, soit dans une série — qu’il faudrait bien poursuivre un jour — sur Ella Fitzgerald.

Parmi les (rares) pièces auxquelles l’Oreille revient sans cesse, il y a le début d’une pièce instrumentale de Count Basie et de son orchestre, «It’s Oh, So Nice».

Cette pièce, l’Oreille l’a découverte il y a très longtemps, du temps où elle servait d’indicatif à l’émission Jazzland, de Don Warner, à la radio anglaise de Radio-Canada. (L’émission a été retirée des ondes en… 1997.)

L’Oreille se souvenait de l’interprète de la pièce, mais pas de son titre. Pendant des années, elle l’a cherché, d’abord en achetant des disques de Basie. Puis, un jour — merci aux échantillons que permet d’écouter Apple sur la plateforme iTunes —, elle a retrouvé ce qu’elle voulait réentendre.

Sur l’album Straight Ahead (étiquette Dot, 1968), la pièce, composée et arrangée par Sammy Nestico, dure 4 minutes 13 secondes. Pour l’Oreille, il n’y a que les 66 premières secondes qui comptent; le reste la laisse de glace (la subtilité s’est envolée).

C’est Count Basie, au piano, qu’on entend le moins : une fois passée l’ouverture, il place quelques notes de-ci, de-là, et c’est tout. Un début lent, un dialogue des cuivres (saxophone, trompette, trombone [?]) où une section cède sa place à l’autre, une basse rythmique (batterie et basse) qui donne sa cohérence à l’ensemble, de lentes montées sans cesse reprises (et qui, malheureusement, culminent à la 66e seconde) : une merveille (retrouvée).

Et l’Oreille ne sait pas la dire.

Le zeugme du dimanche matin et de Daniel Boulanger

Daniel Boulanger, Fouette, cocher !, éd. de 1979, couverture

«Il en tua encore une centaine et soudain se trouva las, le cœur défait par la besogne que l’ennemi lui refusait. Colard Sade avait perdu un bras, Mouchy une oreille, Baudry du Meux la jambe qui lui restait et Mouron la vie.»

Daniel Boulanger, Fouette, cocher !, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1160, 1979, 310 p., p. 59. Édition originale : 1973.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)