Divergences transatlantiques 031

L’Oreille tendue dispose d’un réseau international (pour ne pas dire plus) d’informateurs à l’oreille tendue.

Il y a peu, un de ces informateurs attirait son attention sur l’utilisation du mot lunatique au Québec.

Le Trésor de la langue française informatisé donne du substantif lunatique un sens général — «Celui, celle qui est influencé(e) par la lune, qui présente des caractères rappelant certains aspects de la lune ou de son influence» — et trois sens particuliers — «Personne atteinte de folie», «Personne atteinte d’épilepsie, possédée du démon» (dans l’Évangile), «Personne fantasque, capricieuse, d’humeur changeante».

Le Petit Robert (édition numérique de 2014) est conscient d’un particularisme local. Après les définitions «VIEUX Soumis aux influences de la lune et, de ce fait, atteint de folie périodique» et «MOD. Qui a l’humeur changeante, déconcertante», on y trouve en effet celle-ci : «RÉGIONAL (Canada) Distrait (cf. Dans la lune*).» C’est juste, mais peut-être insuffisant.

Prenons un texte paru le 16 février dernier dans la Presse+ sur la bande dessinée Peanuts et son rapport au sport. On y lit ceci :

Charlie Brown, éternel perdant terriblement seul sur son monticule [l’endroit d’où on lance au baseball], est le capitaine de la pire équipe de baseball junior [?] des États-Unis, formée de lunatiques, de joueurs récalcitrants ou trop sensibles et même d’un chien, Snoopy, qui s’avère le meilleur joueur, ce qui en dit long sur les performances du groupe.

Lunatiques désigne-t-il uniquement des joueurs distraits ? Non. Il y a certes de la distraction dans le substantif lunatique au Québec, mais aussi de la bizarrerie — c’est le cas des coéquipiers de Charlie Brown —, voire un brin de folie. L’emploi québécois de lunatique rejoint par là un de ses sens anciens, peut-être par contamination de l’anglais («“Lunatic” is an informal term referring to people who are considered mentally ill, dangerous, foolish or unpredictable», dit Wikipedia).

Un mot en cache souvent plusieurs autres.

Cinq conseils à un critique littéraire débutant

I.

Ne dis pas d’une œuvre qu’elle est bien écrite. Elle est écrite, ou elle n’est pas.

II.

N’utilise pas de termes qui, à force d’avoir été utilisés à toutes les sauces, ne veulent plus rien dire du tout (modernité, postmodernité, nation, etc.).

III.

N’affirme pas qu’une œuvre est subversive. Ça ne veut rien dire. (Sade est dans la «Bibliothèque de la Pléiade»… de Gallimard. Sade n’est pas subversif.) Note aussi que transgressive est aussi vide de sens que subversive.

IV.

Ne dis pas d’une œuvre qu’elle est écrite durant une période particulièrement troublée. Toutes les périodes sont particulièrement troublées.

V.

Dans la mesure du possible, ne couche pas avec ton corpus.