Ni en avant ni en arrière

Géraldine Wœssner, Ils sont fous, ces Québécois !, 2010, couverture

On le disait avant-hier : le temps est frisquet à Montréal. En fait, l’hiver est arrivé. Réchauffement climatique ou pas, cela suppose qu’il faudra bientôt pelleter.

Conseil du jour : la neige déplacée par cette opération doit l’être vers les côtés, pas en arrière, pas en avant.

En arrière, elle couvrirait les traces du pelleteur.

En avant, elle exigerait la répétition constante des mêmes efforts, dès lors rendus vains.

Voilà d’ailleurs pourquoi on a inventé l’expression pelleter en avant : «Péages à Montréal : du pelletage en avant, encore et encore…» (lapresse.ca, blogues, 14 août 2013). Qui pellette en avant travaille pour se donner du travail, avance pour ne pas vraiment avancer. Il s’agirait, en un certain sens, d’un synonyme de «Faire et défaire, c’est toujours travailler».

P.-S. — Certaines personnes installées au Québec peuvent être troublées par la neige qu’il faut y déplacer. Elles parlent alors de «pelletage de l’extrême» (Ils sont fous, ces Québécois !, p. 42).

 

[Complément du 19 avril 2015]

S’il est vrai qu’il faut généralement répartir la neige à droite et à gauche, il est des cas où cela a une connotation négative : qui pellette dans la cour du voisin est en fait en train de se débarrasser de quelque chose de déplaisant.

Exemple tiré de la Vie littéraire de Mathieu Arsenault (2014) : «go les girls moi je ne finirai jamais je taperai mon corps pour pelleter la mort dans la cour du voisin» (p. 68).

 

Référence

Arsenault, Mathieu, la Vie littéraire, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 76, 2014, 97 p.

Wœssner, Géraldine, Ils sont fous, ces Québécois ! Chroniques insolites et insolentes d’un Québec méconnu, Paris, Éditions du moment, 2010, 295 p.

Continue à me faire vibrer

En mai 2012, l’Oreille tendue s’ouvrait au vibrant. Depuis ?

Un festival : «Les Francofolies vous font vibrer ? Nous aussi» (la Presse, 22 mai 2013, p. A16, publicité).

Un roman : «Empois […] boucle la boucle d’une saga vibrante comme son auteure» (la Presse+, 10 novembre 2013).

Un film : «Un hymne vibrant» (la Presse, 21 septembre 2013, cahier Cinéma, p. 9).

Une ville : «Vibrer au rythme du cœur battant de la ville» (la Presse, 21 septembre 2013, cahier Arts, p. 19, publicité).

De la musique : «Koriass, le rappeur paradoxal. Son nouveau disque vibre au rythme de ses contradictions et de ses remises en question» (le Devoir, 2-3 novembre 2013, p. E3).

L’Oreille en tremble de tous ses membres.

P.-S. — Sur Twitter, @Lucie Bourassa se demande si inspirant ne se pointe pas tout juste derrière vibrant. À suivre.

 

[Complément du jour]

Histoire de rebondir sur le commentaire de @LucieBourassa, une image :

Vibrer au rythme de la ville

Expression de (pré)saison

Ça y est. Il commence à y avoir des flocons. L’hiver sera là incessamment. Avec lui installé, on patinera, on glissera, on aura froid, on pellettera, on sacrera.

On pourra aussi, quand les accumulations seront suffisantes (les météorologues parlent de «neige au sol»…), donner des bouillons.

Exemple :

Au début de l’année, Méthot écœurait Louis Blais. Après, pour faire changement, il a commencé à donner des bines à Yvon Larochelle à chaque fois qu’il le voyait dans le corridor. Ces temps-ci, c’est moi qu’il écœure. Vendredi, il m’attendait après l’école et il m’a sauté dessus pour me donner un bouillon (Des histoires d’hiver […], p. 135).

Donner un bouillon ? Maintenir quelqu’un au sol et le forcer à avaler de la neige. Ça se pratiquait volontiers quand l’Oreille tendue était petite. C’était il y a longtemps.

Un sondage scientifique mené dans le pavillon de l’Oreille révèle d’ailleurs que l’expression est tombée en désuétude, du moins dans le groupe sondé (n = 2).

C’est dommage.

 

[Complément du 2 août 2017]

Le bouillon pourrait être liquide, si l’on en croit l’anesthésiologiste Marilyn Gravel, la chirurgienne pédiatrique Marianne Beaudin et le directeur général de la Société de sauvetage, Raynald Hawkins, qui, dans la Presse+ du 15 juillet 2017, parlent de «bouillon d’eau». On pourrait l’«avaler» ou le «prendre», ce qui suppose quelqu’un pour le «donner». Ce ne serait pas dangereux. Qu’on se rassure.

 

Référence

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hocke. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

La souveraine et la fille de petite vertu

Refrancisons-nous (1951)

En 1983, André Belleau écrivait cette phrase forte : «La vérité, c’est que les langues sont des guidounes et non des reines» (éd. de 1986, p. 118). Nous n’avons pas à nous agenouiller devant elles et à multiplier les marques de respect à leur égard. Les langues sont à tout le monde.

Élevé dans le Québec de la première moitié du XXe siècle, quand il parlait de «reines», Belleau pensait précisément à des formules communes telles «Sa Majesté la Langue française».

Feuilletant Refrancisons-nous (1951), l’Oreille tendue a pensé à Belleau en tombant sur cette illustration (p. 71).

«Les dix commandements du bon parler», Refrancisons-nous, 1951, 1re éd.

Toutes les occasions de penser à André Belleau sont bonnes.

 

[Complément du 15 août 2022]

Gilles Marcotte a été l’ami et le directeur de thèse d’André Belleau à l’Université de Montréal. Que lit-on dans son livre le Roman à l’imparfait en 1976 ?

Quelle liberté, enfin, que d’avoir les moyens d’écrire mal, d’être à tu et à toi avec Sa Majesté la Langue française, de lui faire faire des pirouettes, de la tarabuster comme si elle était vraiment de la famille ! (p. 187)

 

Références

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

J.-F., F. [Frère Jean-Ferdinand], Refrancisons-nous, s.l. [Montmorency, Québec ?], s.é., coll. «Nous», 1951 (première édition), 142 p.

Marcotte, Gilles, le Roman à l’imparfait. Essais sur le roman québécois d’aujourd’hui, Montréal, La Presse, coll. «Échanges», 1976, 194 p.

Souvenir de Mao

Georges G.-Toudouze (1921), p. 199

La Presse du 21 octobre comportait un cahier «Journée maritime québécoise 2013». On y trouvait notamment des portraits, dont un intitulé «Des communications à la navigation. Karine Racine femme de roue» (p. 6).

«Femme de roue» ? «Timonier si vous préférez.»

Oui, on préfère — mais on préférerait «timonière». (Merci à @Hortensia68.)

Illustration : G. Dutriac, dans Georges G.-Toudouze, Paris sur l’eau. Ouvrage couronné par l’Académie française, Tours, Maison Alfred Mame et fils, 1921, 304 p., p. 199.