Antidote littéraire

Réjean Ducharme, HA ha !…, 1982, couverture

Hier, à Ottawa, le gouverneur général du Canada, David Johnston, a fait lecture du discours du Trône du gouvernement fédéral.

Article du Devoir :

Le septième discours du Trône de Stephen Harper lu mercredi par le gouverneur général se veut [sic] le plan de match des troupes pour le dernier sprint d’ici la prochaine élection générale. Et pour ce faire, il table sur des valeurs conservatrices sûres : la gestion financière serrée de l’appareil étatique, le resserrement de la justice criminelle et la glorification des exploits militaires.

À ce genre de texte, l’Oreille tendue préfère Réjean Ducharme :

Des déclics de magnétophone, des cris de bande rembobinée. Lumières. Roger qui recommence l’enregistrement de son «Bedit Discours». Il le lit sur un bout de papier froissé en se bouchant le nez.

Roger : Bedit Discours du trône à quatre pattes dont deux molles : «La nouvelle pissance bio-dégradante du Danemark amélioré aux enzymes ravive les gouleurs foncées du Saint-Relent, le fleuve qui l’arrose, comme une mouffette. (Il fait jouer le nouvel enregistrement. Il se félicite en s’écoutant : ) Infect !… Abject !… Ignoble !… Répugnant !… Ah stextra ! stexcellent ! (HA ha !…, p. 15)

Cet incipit théâtral change de la prose de Stephen Harper.

 

Référence

Ducharme, Réjean, HA ha !…, Montréal, Lacombe, 1982, 108 p. Préface de Jean-Pierre Ronfard.

Paré à répondre

Sylvain Hotte, Panache. 1. Léthargie, 2009, couverture

Il arrive à l’Oreille tendue de répondre à ses lecteurs. Exemple.

Le 23 juin dernier, @Bixi0u, manchette de la Presse à l’appui («Être paré pour le “D”»), tweetait ceci : «“Paré” pour prêt, c’est répandu ?»

Réponse : oui, depuis longtemps, et pas seulement au Québec.

Il y a paré à.

«Ils sont parés à payer le prix, ça, y est pas question» (le Libraire, éd. de 1977, p. 109).

«Surpris, j’ai dévalé les marches, prêt à partir au pas de course, imaginant Robert Pinchault, surgissant tel un maniaque, avec une pelle en acier au-dessus de sa tête, paré à me décapiter» (Panache, p. 17).

«10e numéro, paré à venir» (le Tiers Livre, 9 août 2013).

Il y a paré pour.

«paré pour expérience demain aux aubes» (@fbon, 24 août 2013).

«Parés pour le décollage ?» (la Presse+, 8 août 2013).

Remarque historique

Dans la Vie quotidienne en Nouvelle-France, Raymond Douville et Jacques-Donat Casanova citent Jean-Baptiste d’Aleyrac, probablement ses Aventures militaires au XVIIIe siècle : les Canadiens du Siècle des lumières disent «paré à pour prêt à» (p. 249).

Yapadkoi.

 

Références

Bessette, Gérard, le Libraire. Roman, Montréal, Pierre Tisseyre, coll. «CLF poche canadien», 17, 1977, 153 p. Édition originale : 1960.

Douville, Raymond et Jacques-Donat Casanova, la Vie quotidienne en Nouvelle-France. Le Canada, de Champlain à Montcalm, Paris, Hachette, 1964, 268 p.

Hotte, Sylvain, Panache. 1. Léthargie, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 1, 2009, 230 p.

Quelques néologismes pour un mardi matin

Le premier vient de Finlande (si si). Catherine Pogonat déclare que «les commerces illicites poussaient comme des petits pains chauds». Pour @jeanphipayette, c’est un pogonatisme.

Le deuxième arrive d’Épinal, gracieuseté du Notulographe, Philippe Didion : «Bertrand Sombrelieu (1915-1984) s’est […] spécialisé dans les “homonymographies” [les biographies d’homonymes]. Il est ainsi l’auteur d’une Vie de Théophile Gautier, cordonnier à Lattes, d’une Vie de Lénine consacrée à Clément Lénine employé des chemins de fer belges, d’une Vie de Cambronne, représentant de commerce dans le Doubs et de quelques autres du même tonneau» (Notules dominicales de culture domestique, livraison du 13 octobre 2013).

Le troisième a été prononcé par Richard Massicotte sur les ondes de la radio de Radio-Canada, dans le cadre de l’émission les Années lumière, le 6 octobre 2013. L’hoolinaute (hooligan + internaute) est un troll.

Le quatrième est un sous-produit de la restauration hexagonale. «@ALLORESTO offre bon d’achat ALLORESTO 10€ à la première personne nous envoyant #Vine d’une pifle (gifle avec une pizza).» François Bon avait raison d’ajouter à ce tweet : «pôvr types».

Les derniers, enfin, ont atterri rue Saint-Jacques à Montréal. Dans la Presse du 17 mai 2013, Alain Dubuc déplore «l’amour immodéré des moratoires qui s’exprime avec vigueur au Québec» (p. A21). Les tenants des moratoires sont des momos (comme il y a des bobos). Le verbe tiré de ce nom serait morater, et l’adjectif moratorien.

Décomposition de l’argumentation

Au Québec, parmi les arguments qui constituent un raisonnement, le point est fondamental.

On espère toujours qu’il soit bon.

«“@LavoieRenaud: Patrick Roy porte des cravates @Burberry depuis le début de la saison. Ça semble lui porter chance. #avalanche” Bon point» (@guidoustonge).

Qui a un point qui paraît convaincant est réputé le tenir.

«Vous tenez un point important» (site de Radio-Canada).

Bien qu’il soit, par nature, idéel, on peut le soulever ou le toucher.

«On a d’autres débats importants à tenir. Je pense que Mme Benhabib n’aurait pas dû soulever ce point-là» (le Nouvelliste, 24 août 2012).

«Elle touche un point» (le Devoir, 6 septembre 2013, p. B1).

Sans lui, pas de débat possible : un point répond à l’autre, son semblable, son frère.

Remarque historicolinguisticogéographique

L’emploi de point au sens de partie d’une argumentation n’est pas nouveau. Lisez, par exemple et au hasard, tel texte du père Berthier dans le Journal de Trévoux de mars 1752 : «En plusieurs endroits la Religion n’a point été respectée : sur quoi nous prions sincèrement tous ceux qui mettent la main à cet ouvrage, d’être infiniment circonspect sur un point de si grande importance» (p. 468). La fréquence de son emploi, dans le Québec d’aujourd’hui, mérite, elle, d’être soulignée.