Grève féline

C’était au début de mai. Les associations étudiantes et le gouvernement (du moins le croyait-on) venaient de s’entendre pour mettre un terme à la grève étudiante au Québec (ou faire une pause). Le président de la Fédération des travailleurs du Québec, Michel Arsenault, avait participé aux négociations menant à ce (non-)accord.

Quelques jours plus tard, interrogé à la radio de Radio-Canada, il résumait sa conception de l’art de négocier : «Quand t’as réussi à faire monter le chat dans l’arbre, il faut que tu l’aides à redescendre.»

Traduction libre : une fois l’autre partie poussée dans ses derniers retranchements, il faut l’aider à sauver la face.

Pour Michel Arsenault, ce devait être considéré comme un conseil adressé aux leaders des associations étudiantes.

A-t-il été entendu ?

Régler la grève avec ses fesses, pas avec sa bouche

Ce n’est pas d’hier que les Québécois ont remplacé les verbes parler ou négocier par s’asseoir, se rasseoir, voire s’attabler. L’actuelle grève étudiante en donne des preuves quotidiennes.

Vous ne croyez pas l’Oreille tendue sur parole ? Ci-dessous, bref journal de grève de deux verbes qui ne la font pas. (Heureusement, quelques-uns, notamment sur Twitter, ont décidé qu’il valait mieux en rire.)

23 avril

Les associations étudiantes «ont toutes trois accepté les conditions de la ministre pour s’asseoir à la même table, soit de respecter une trêve d’au moins 48 heures, le temps de mener une première ronde de discussions» (le Devoir).

8 mai

«Ministres et étudiants sont responsables de l’échec de l’entente. Ils doivent se rasseoir» (la Presse).

15 mai

«Pauline Marois réclame que le PM Charest s’asseoie auprès de sa nouvelle ministre pour rencontrer les leaders étudiants» (@KatLevesque).

19 mai

«Et dire que si Charest s’était assis avec les étudiants et avait négocié de bonne foi, il n’y en aurait plus de #manifencours et de #Loi78» (@jasonKeays).

21 mai

«RETWEETEZ si vous trouvez qu’il est grand temps que Jean Charest s’assoit avec les représentants étudiants. #ggi» (@sofecteau).

«Soyons clair ! Ceux qui ne veulent pas que Charest s’asseoit avec les étudiants… seront aussi responsables de la dérive du tissu social» (@DavidLaHaye).

23 mai

«Je pense sincèrement que nous pouvons se rasseoir positivement, constructivement» (Michelle Courchesne).

N.B. Sur son site, Radio-Canada — par grandeur d’âme — a remplacé le «se» fautif de la ministre par un «nous» de meilleur aloi.

Les associations étudiantes sont «prêtes à s’asseoir», disent la présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec Martine Desjardins (deux fois) et l’analyste politique Michel Pepin (une fois) à l’émission radiophonique Désautels de la Société Radio-Canada. Ni l’un ni l’autre ne parlent cependant de «se rasseoir».

«“Nous, on pense qu’il est encore possible de se rasseoir debout” #citationrêvée» (@moutarde_chou).

«Ils sont définitivement en mode “assis”» (@OursAvecNous).

«Donc, quand ça bout, il faut se rasseoir» (@jlratel).

«Depuis le temps que ça dure, ça sent plutôt le “rassis”…» (@_marc_etienne_).

Pour qui n’en aurait pas assez, les lecteurs du blogue «Mots et maux de la politique» d’Antoine Robitaille ne manquent pas d’imagination. À voir ici.

P.-S. — Si la grève se termine un jour, il faudra penser à revoir l’enseignement des verbes au Québec.

Un seul mot vous manque, et tout est dépeuplé

La grève de milliers d’étudiants québécois, qui a débuté il y a plusieurs semaines, a donné lieu à des masses de discours, de textes, de conversations. On y retrouve souvent les mêmes mots. L’Oreille tendue en discutait l’autre jour, à la radio de Radio-Canada, avec Simon Jodoin.

Il y a cependant des mots que l’on n’entend pas du tout et qui seraient utiles pour comprendre certaines déclarations, d’un camp comme de l’autre.

L’Oreille suggère ainsi que se généralise l’emploi du mot casuistique.

Au sens strict, la casuistique relevait d’abord de la théologie : «Relig. Partie de la théologie morale qui s’occupe des cas de conscience» (le Petit Robert, édition numérique de 2010). Elle a par la suite pris une signification différente : «Péj. Subtilité complaisante (en morale)» (bis).

C’est en ce second sens que le mot pourrait être utile pour comprendre la crise actuelle.

Quand on demande à un porte-parole étudiant s’il est prêt à dénoncer la violence et qu’il répond que cela n’est pas inscrit dans son mandat, il donne dans la casuistique : personne n’a besoin de mandat pour dénoncer la violence.

Quand les représentants gouvernementaux et universitaires ergotent sur la nature des mouvements étudiants (grève ou boycottage des cours ?), ils donnent dans la casuistique : nombre d’étudiants ont choisi de ne pas être en classe pour donner du poids à leurs demandes, et ils n’y sont pas.

Ceux-là ne sont certes pas les seuls casuistes parmi nous.

P.-S. — Attention : au moins un logiciel de correction orthographique vous suggère de remplacer casuiste par caquiste. Ce n’est pas pareil.

P.-P.-S. — Dans sa collecte des mots de la grève, l’Oreille tendue vient de mettre en ligne un blogue consacré aux Pancartes de la GGI. Les contributions sont les bienvenues.

Néologisme numérique du jour

Le métrosexuel est banal : «Individu ayant un sens développé de l’esthétique, qui dépense énormément de temps et d’argent dans son apparence et son style de vie. Concerne particulièrement les hommes», explique le Wiktionnaire. Son étymologie ? «Le terme anglais metrosexual est apparu, en 1994, dans un article du journaliste anglais Mark Simpson, dans le journal The Independent. Sur le modèle anglais, le mot est formé du préfixe métro- et de l’adjectif sexuel

Le mot rétrosexuel est plus rare, mais il est attesté (définition ici).

Vient d’apparaître le datasexuel. Dominic Basulto en a proposé une définition sur le blogue Endless Innovation dans un texte intitulé «Meet the Urban Datasexual», définition reprise par Xavier de la Porte :

Le datasexuel ressemble à vous et moi, explique Basulto, mais s’en différencie par sa préoccupation pour les données personnelles. Il est continuellement connecté, il enregistre obsessionnellement tous les aspects de sa vie et il pense que ces données sont sexy. En fait, plus nombreuses sont les données, plus il les considère comme sexy. Sa vie, du point de vue des données tout au moins, est parfaitement stylée.

On n’arrête pas le progrès.

 

[Complément du 24 mai 2013]

Attention ! Nouvelle espèce en vue : «Les “techno-sexuels” sont donc les nouveaux sex-symbols du XXIe siècle», affirme Atlantico.

Locution latine du jour

Hier, à l’émission Dessine-moi un dimanche de la radio de Radio-Canada, l’Oreille tendue discutait, avec Simon Jodoin, des mots de la grève étudiante au Québec (on peut (ré)entendre l’entretien ici).

À un moment, s’agissant des accusations en miroir de fascisme ou de communisme de ceux qui s’opposent au sujet de cette grève, elle a évoqué la loi de Godwin. Celle-ci, dixit Wikipédia,

provient d’un énoncé fait en 1990 par Mike Godwin relatif au réseau Usenet, et popularisée depuis sur Internet : «Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1”.»

Simon Jodoin a alors ajouté qu’on parlait parfois, pour désigner un phénomène semblable, de reductio ad Hitlerum. Définition de Wikipédia, bis :

Reductio ad Hitlerum est une expression ironique désignant, sous forme de locution latine, le procédé rhétorique consistant à disqualifier les arguments d’un adversaire en les associant à Adolf Hitler ou à tout autre personnage honni du passé. Plus généralement, le procédé consiste à assimiler l’adversaire ou ses arguments à des idées, philosophies, idéologies détestées, par exemple en les qualifiant de nazies ou de fascistes.

Le même Simon Jodoin a aussi indiqué l’existence, plus récente celle-là, et attestée uniquement au Québec, de la reductio ad Prattum. Le nom d’Adolf Hitler, dans ce genre de «raisonnement», est remplacé par celui d’André Pratte, l’éditorialiste du quotidien la Presse.

Qui a dit que le latin était une langue morte ?

P.-S. — Si l’on en croit Google, Simon Jodoin utilise l’expression, créée par lui, depuis au moins 2010.