Cher Père Noël

En 2011, l’Oreille tendue faisait paraître un recueil de textes intitulé Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires (Montréal, Del Busso éditeur, 2011, 165 p.); on en trouvera la description ici.

Parmi ces textes, «Cher Père Noël» (p. 51-57). C’est de saison : le voici.

P.-S. — On ne confondra évidemment pas le Père Noël et «Le Peur Noël».

P.-P.-S. — Il est arrivé à l’Oreille de parler du courrier du barbu à la radio. C’était le 24 décembre 2011 et le 25 décembre 2011.

***

«Sois courageux. Réponds-moi vite.
Je ne puis plus rester ici plus longtemps.
N’écoute que ton bon cœur.
Vite, dis je dois te répondre.
À toi toute la vie.»
Lettre de Rimbaud à Verlaine, 1873

Souriant, d’une bonne humeur sans faille, toujours accueillant, l’oreille tendue : le Père Noël a toutes les caractéristiques du destinataire idéal. Mieux encore : en cas de défaillance — s’il lui arrive, par extraordinaire, de ne pas répondre lui-même à son courrier —, il est relayé par une équipe, petite mais dévouée, de lutins postaux. Non content de se servir des moyens traditionnels de communiquer, il s’est converti au courriel, même si l’on dit fréquemment que ses interlocuteurs continuent dans une large mesure à préférer le papier. Quoi qu’il en soit, le Père Noël assure.

J.R.R. Tolkien, le géniteur des hobbits, s’était avisé de l’universalité de cette correspondance de décembre : entre 1920 et 1943, il écrivit de pareilles lettres à ses enfants, depuis réunies en Lettres du Père Noël (C. Bourgois, 1977). Plus commercialement, des «noëlogrammes» font l’article dans les journaux de Montréal au début du XXe siècle. De ces lettres du Père Noël, on passe sans peine à celles au Père Noël. Patrick Bruel en a chanté une («Lettre au Père Noël»), de même que Fred Astaire («Santa Claus is Coming to Town»). Laurent Boyer et Régine Torrent en ont édité un recueil en 1989 (Éditions No 1), et Nathaële Vogel a illustré les huit lettres écrites par les personnages de Nicolas de Hirsching en 2004 (Rageot). Cher Père Noël est un titre de livre prisé : on en trouve quatre occurrences dans le catalogue de la Bibliothèque nationale de France, trois dans celui de la Bibliothèque nationale du Québec, deux dans celui de la Bibliothèque nationale du Canada, un dans celui de la Bibliothèque de la Ville de Montréal. La compétition est sans pitié : en 2002, Pierre Ballester a déjà publié Les plus belles lettres au Père Noël (Stock, Fondation pour l’enfance et La Poste). Est-ce à dire que celles-ci sont indépassables ?

Cela attristerait les personnages de bandes dessinées, qui rivalisent d’ingéniosité en matière d’épistolarité de fin d’année. Chez Jim Davis, la liste des demandes va de soi : «Je veux, Je veux, Je veux, Je veux, Je veux, Je veux, Je veux, Je veux, Je veux, Je veux», dicte l’impérieux Garfield au pauvre Jon, qui tape sa lettre à l’ordinateur. Dans «Peanuts», de Charles Schulz, les choses sont plus complexes. D’année en année, ses héros s’escriment pour composer la meilleure lettre, Lucy van Pelt ayant en ce domaine, comme dans tous les autres, des idées bien arrêtées. Quelle adlocution faut-il choisir pour «le gros homme avec la barbe blanche et le costume rouge» ? «Cher père, Cher ami, Chers monsieur et madame Noël» est trop lourd. «Mon cher M. Noël» ? Linus, qui sert alors de secrétaire à sa sœur, trouve cela «un peu solennel». Elle se rabat sur «Cher Papa», pour se faire répondre illico «Et pourquoi pas “Cher Grassouillet” ?». Ce sera finalement «Très cher Père Noël, j’ai été parfaite toute l’année.» Ce n’est pas plus simple dans la série «Philomène» : «“Salut Père Noël! Chez vous ça gaze ?” Non… trop familier.» Il est presque aussi difficile de s’adresser au maître des rennes qu’au pape.

Rassemblant en 1919 ses Billets du soir parus à Montréal dans le Devoir dans un recueil intitulé le Petit Monde, Louis Dupire est témoin d’une situation semblable. Toto, son filleul, lui présente «une feuille de papier, étoilée de pâtés d’encre, où sa grosse écriture, à peine différente des bâtons primitifs, avait inscrit ses desiderata». Il ne les destine cependant pas au «Bonhomme Noël», ce «bon vieux type de trappeur» canadien, mais à son alter ego anglophone, Santa Claus. Sous sa plume, celui-ci devient «meusieu Centa-Classe». «Peut faire mieux», décrète en substance le parrain francophile.

Le problème est sérieux, car le chat de Jim, la famille van Pelt, Philomène et le filleul de Louis Dupire sont loin d’être les seuls à vouloir entrer dans les bonnes grâces du Père Noël. Comment attirer son attention, quand on sait qu’en 2002, au bureau de poste de Nuuk, au Groenland, là où habiterait le seul vrai Père Noël, il a reçu 60 000 lettres et 200 000 courriels ? C’est sans compter ses autres adresses numériques — northpole.com, santaclaus.posti.fi, perenoelportable.ca, etc. — ni ses adresses boréales : «Père Noël, Pôle Nord, HOH HOH», «4e nuage à gauche dans le ciel, rue de l’univers magique au pays des rêves», «Pour le Père Noël, très loin dans le dernier pays» ou «3 rue du Renne qui éternue à Nébulostratosirofrigostellapolaris» (pour les trois derniers exemples, voir www.fondationlaposte.org). Postes Canada et le Musée canadien des civilisations ont trouvé une solution à ce problème : pour que les enfants du pays soient sûrs que le Père Noël s’intéresse à eux, ils sont invités, à tous les mois de décembre depuis 2002, à passer au musée et à s’associer à la rédaction de «La plus longue lettre jamais écrite au Père Noël». Son destinataire ne va sûrement pas louper cette lettre-là.

Sylvain Jouty présente la situation française en ces termes, dans la quatrième livraison de la lettre électronique Correspond@nce, en date du 13 décembre 2000 :

Dès 1962, la Poste prenait l’initiative de répondre aux quelques milliers de lettres alors expédiées au Père Noël. C’est la psychanalyste Françoise Dolto qui fut chargée de rédiger le message de la première carte-réponse. En 1967, c’était à près de 50 000 lettres qu’il fallut faire face, aussi la direction de la Poste décida d’arrêter cette coûteuse opération en 1968. L’indignation fut telle qu’il fallut la reprendre dès 1969 ! C’est le service Client-Courrier, installé à Libourne en Gironde, qui se charge de l’affaire, lui seul étant habilité à ouvrir le courrier. Il fait donc office de «Père Noël», recrutant pour l’occasion une petite armée de secrétaires : car aujourd’hui les lettres reçues dépassent le million, et ce nombre augmente chaque année.

Ce n’est pas rien, pour un Père Noël qui n’est peut-être pas le vrai.

L’importance de la lettre au Père Noël ne se mesure pas qu’avec des chiffres.

On la perçoit aussi dans le poids symbolique que lui confèrent ses signataires. L’agence France-Presse, en décembre 2004, est catégorique : «Il s’agit souvent de la toute première lettre d’un enfant, et c’est donc l’occasion pour ses parents de l’initier aux principes de la correspondance.» On discutera sans doute de l’existence de ces «principes», mais on ne saurait minimiser la place de ce type de lettres dans la formation épistolaire de chacun. Voilà la base de tout, puisque, pour le dire comme Pierre Popovic parlant en 1993 des lettres de Rimbaud, la correspondance est le lieu par excellence de la «voix demanderesse». Or qui dit lettre au Père Noël dit demande, prière, vœu.

On saisit peut-être mieux encore le rôle fondamental de la lettre de demande de cadeau quand on interroge le moteur de recherches spécialisé Google Scholar. Si on y tape, entre guillemets, les mots «letters to santa claus» (Google Scholar est moins polyglotte que le Père Noël), on découvrira que nombre de psychologues ont consacré de savantes études à la place de ce type d’écriture dans la construction de l’identité, notamment sexuelle, des enfants. Il est même devenu un outil de soutien psychologique auprès des jeunes en détresse qui sont traités à l’hôpital Sainte-Justine de Montréal ou qui sont confiés à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) du gouvernement du Québec. Le quotidien la Presse de Montréal rapporte en effet, le 24 décembre 2005, qu’un psychoéducateur, Normand Brault, a eu un jour l’idée suivante : tout enfant relevant de la DPJ qui écrirait une lettre au Père Noël recevrait en retour un cadeau, offert par un inconnu. Cette inattendue initiative épistolaire a tenu : en 2005, 600 enfants ont vu leur vœu exaucé.

Le Père Noël ne s’y trompe donc pas, qui répond tout aussi bien électroniquement (courriels, textos, etc.) que concrètement aux sollicitations qu’on lui envoie, bien que ce soit plus facile dans Internet que par le bureau de poste : tout courriel a son adresse de retour, ce qui n’est pas toujours le cas des lettres manuscrites. Malheureusement, si l’on en croit le Dictionnaire du Père Noël de Grégoire Solotareff (Gallimard, 1991), «le roi des enfants» est parfois un peu négligent, calligraphiquement parlant. L’article «lettre» dit ceci : «si l’on reçoit une lettre rouge sur laquelle on ne peut pas lire un seul mot, c’est sûrement une lettre du Père Noël». C’est confirmé (et expliqué) à «signature» : «la signature du Père Noël est très compliquée pour qu’on ne puisse pas l’imiter». Pour qui ne souhaite pas être soumis à pareilles difficultés de lecture, il est dorénavant possible de discuter avec ce prestigieux destinataire par ordinateur interposé, avec la complicité du lutin Pixel, à www.parleauperenoel.com. Répond-il à tout ? Bien sûr : le Père Noël n’est pas une ordure.

(2006)

P.-S. — Exception qui confirme la règle : à Ottawa, en 2007, un lutin peu courtois répondait des grossièretés aux chères têtes blondes («Ta lettre est trop longue, pauvre merde», «Ta maman est nulle et ton papa est gai»). Les journaux s’en sont désolés, mais moins que la poste canadienne, obligée de suspendre temporairement les activités de son plus célèbre client.

(2011)

 

Références

Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», Épistolaire. Revue de l’AIRE (Association interdisciplinaire de recherche sur l’épistolaire, Paris), 32, 2006, p. 235-237; repris, sous le titre «Cher Père Noël», dans Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires, Montréal, Del Busso éditeur, 2011, p. 51-57. Sur les lettres au Père Noël.

Popovic, Pierre, «L’argent dans la lettre-vie d’Arthur Rimbaud», dans Benoît Melançon et Pierre Popovic (édit.), les Facultés des lettres. Recherches récentes sur l’épistolaire français et québécois, Montréal, Université de Montréal, Département d’études françaises, Centre universitaire pour la sociopoétique de l’épistolaire et des correspondances, février 1993, p. 95-117.

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Nouveau chantier — Écrire le Printemps érable

L’Oreille tendue, au cours des derniers mois, a écrit à plusieurs reprises sur les grèves étudiantes québécoises de 2012 (voir ici), notamment sur les pancartes brandies par les uns et les autres.

Depuis, elle se consacre à un nouveau projet : commenter les livres qui commencent de paraître sur la ggi (grève générale illimitée).

Les titres commentés sont répertoriés ci-dessous, par ordre de parution des textes sur le blogue. Les nouveaux titres seront ajoutés au fur et à mesure.

1. Nicol, Patrick, Terre des cons. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 97 p. Deuxième édition : 2018.

«Raconter le Printemps érable», 20 novembre 2012

2. Langelier, Nicolas, Année rouge. Notes en vue d’un récit personnel de la contestation sociale au Québec en 2012, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 02, 2012, 100 p. Ill.

«Suivre le Printemps érable», 21 novembre 2012

3. Collectif, Je me souviendrai. 2012. Mouvement social au Québec, Antony, La boîte à bulles, coll. «Contrecœur», 2012, 246 p. Ill.

«Se souvenir du Printemps érable», 30 novembre 2012

4. Brisson, Pierre-Luc, Après le printemps, Montréal, Poètes de brousse, coll. «Essai libre», 2012, 92 p. Ill.

«Retracer (?) le Printemps érable», 3 décembre 2012

5. Nadeau, Jacques, Carré rouge. Le ras-le-bol du Québec en 153 photos, Montréal, Fides, 2012, 175 p. Ill. Note de l’éditeur par Marie-Andrée Lamontagne. Préface de Jacques Parizeau. Postface de Marc-Yvan Poitras.

«Faire voir le Printemps érable», 5 décembre 2012

6. Collectif, Printemps spécial. Fictions, Montréal, Héliotrope, «série K», 2012, 113 p. Ill.

«Raconter le Printemps érable, bis», 14 janvier 2013

7. Chamberland, Paul, les Pantins de la destruction, Montréal, Poètes de brousse, coll. «Essai libre», 2012, 109 p.

«S’indigner devant le Printemps érable», 7 mars 2013

8. Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. La marche orange, Brossard, Un monde différent, 2012, 50 p. Bande dessinée.

«Dessiner le Printemps érable», 12 juin 2014

 

Autres titres parus (version du 20 février 2022)

À force d’imagination. Affiches et artéfacts du mouvement étudiant au Québec 1958-2013, Montréal, Lux, 2013, 400 p.

Ancelovici, Marcos et Francis Dupuis-Déri (édit.), Un printemps rouge et noir. Regards croisés sur la grève étudiante de 2012, Montréal, Écosociété, 2014, 376 p.

Beaudet, Gérard, les Dessous du printemps étudiant, Québec, Nota bene, 2013, 186 p.

Beaulieu, Jimmy, Rôles de composition, Montréal, Mécanique générale, 2016, 112 p. Bande dessinée.

Biz, la Chaleur des mammifères, Montréal, Leméac, 2017, 160 p. Rééd. : Montréal, Leméac, coll. «Nomades», 2021, 192 p.

Bonenfant, Maude, Anthony Glinoer et Martine-Emmanuelle Lapointe, le Printemps québécois. Une anthologie, Montréal, Écosociété, 2013, 360 p. Préface de Georges Leroux. Postface des Zapartistes.

Brousseau, Simon, les Fins heureuses. Nouvelles, Montréal, Le Cheval d’août, 2018, 196 p. Voir «La physique des boules de billard», p. 109-119.

Cahiers Fernand-Dumont, 2, 2013, 430 p. Dossier «L’éducation en péril».

Clermont, Stéphanie, le Jeu de la musique. Nouvelles, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 15, 2017, 340 p. Voir surtout «Les astres», p. 52-70.

Collectif de débrayage, On s’en câlisse. Histoire profane de la grève. Printemps 2012, Québec, Québec, Éditions Entremonde et Sabotart, 2013, 288 p.

Courteau, Clément et Louis-Thomas Leguerrier, Tenir parole, Montréal, Anika Parance Éditeur, 2017, 229 p.

Denis, Mathieu et Simon Lavoie, Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, Montréal, Flammarion, 2017, 208 p. Scénario.

Fermaille. Anthologie, Montréal, Moult éditions, 2013, 223 p.

Frappier, André, Richard Poulin et Bernard Rioux, le Printemps des carrés rouges. Lutte étudiante, crise sociale, loi liberticide, démocratie de la rue, Mont-Royal, M éditeur, coll. «Mobilisations», 2012, 159 p.

Isabel, Mariève et Laurence-Aurélie Théroux-Marcotte (édit.), Dictionnaire de la révolte étudiante. Du carré rouge au printemps québécois, Tête [première], 2012, 228 p. Préface de Guy Rocher.

Labonté, Mélissa, Faire maille. L’engagement poétique de la revue Fermaille au printemps 2012, Québec, L’instant même, coll. «Trajectoire», 2017, 108 p.

Lemay, Sylvain et André St-Georges, Rouge avril, Montréal, Mécanique générale, 2022, 272 p.

Marquis, Antonin, les Cigales. Roman, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Romanichels», 2017, 232 p.

Mc Cabe, Alexandre, Une vie neuve, Chicoutimi, La Peuplade, 2017, 170 p.

Millette, Josianne, De la rue au fil de presse. Grèves étudiantes et relations publiques, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Communications», 2013, 186 p.

Nadeau-Dubois, Gabriel, Tenir tête, Montréal, Lux, 2013, 224 p.

Poirier St-Pierre, Renaud et Philippe Éthier, De l’école à la rue. Dans les coulisses de la grève étudiante, Montréal, Écosociété, coll. «Actuels», 11, 2013, 224 p. Préface de Simon Tremblay-Pepin.

Pour un printemps. Livre citoyen / Gens du Québec, Montréal, Artmour, 2012, 306 p. Ill. Une production Artmour réalisée par Jane D’Eau.

Senécal, Patrick, Malphas 3. Ce qui se passe dans la cave reste dans la cave, Québec, Alire, 2013, coll. «GF», 24, 2013, 562 p.

Senécal, Patrick, Malphas 4. Grande liquidation, Québec, Alire, coll. «GF», 31, 2014, 587 p.

Seymour, Michel, Une idée de l’université. Propositions d’un professeur militant, Montréal, Boréal, 2013, 216 p.

Simard, Marc, Histoire du mouvement étudiant québécois. 1956-2013. Des trois braves aux carrés rouges, Québec, Presses de l’Université Laval, 2013, xi/313 p.

Simoneau, Guillaume, la Commande du morse, Montréal, Éditions du renard, 2013, s.p. Ill. Suivi de «Notre année lumineuse» par Alexis Desgagnés.

Sinclair, Francine, Stéphanie Demers et Guy Bellemare (édit.), Tisser le fil rouge. Le Printemps érable en Outaouais — récits militants, Mont-Royal, M éditeur, coll. «Militantismes», 7, 2014, 272 p. Préface de Normand Baillargeon.

Surprenant, Marie-Ève et Mylène Bigaouette (édit.), Les femmes changent la lutte. Au cœur du printemps québécois, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2013, 330 p. Ill.

Theurillat-Cloutier, Arnaud, Printemps de force. Une histoire du mouvement étudiant (1958-2013), Montréal, Lux, coll. «Mémoire des Amériques», 2017, 496 p.

Tremblay, Pierre-André, Michel Roche et Sabrina Tremblay (édit.), le Printemps québécois. Le mouvement étudiant de 2012, Québec, Presses de l’Université du Québec, coll. «Innovation sociale», 2015, 230 p.

Trudel, Claude, 1960-2012. De la Crise d’octobre au Printemps érable. Parcours d’un citoyen engagé, Montréal, Québec Amérique, coll. «Biographies et idées / Dossiers et documents», 2015, 304 p. Préface de Daniel Johnson.

Turcotte, Élise, le Parfum de la tubéreuse, Québec, Alto, 2015, 128 p.

Villemaire, Yolande, le Rose des temps, Montréal, Druide, 2017, 496 p.

Yanow, Sophie, la Guerre des rues et des maisons, Montréal, La Mauvaise Tête, 2013, 70 p. Bande dessinée. Traduction de l’auteure et de Vincent Giard. Version anglaise : War of Streets and Houses, Minneapolis, Uncivilized Books, 2014, 64 p.

Se souvenir du Printemps érable

Collectif, Je me souviendrai, 2012, couverture

[Troisième texte d’une série sur les livres du Printemps érable. Pour une liste de ces textes, voyez ici.]

Je me souviendrai est un recueil collectif sur les grèves étudiantes de 2012 au Québec. Par sa perspective, il est plus proche d’Année rouge, le recueil de notes de Nicolas Langelier, que de Terre des cons, le roman de Patrick Nicol. Les auteurs retenus, souvent des acteurs du «Printemps érable», livrent leurs impressions immédiates, sans guère de recul. L’ouvrage a valeur de témoignage plus que d’interprétation, ce qui est un choix parfaitement légitime et qui s’explique par des raisons bien concrètes (les derniers textes retenus datent de juin 2012, à une époque où les grèves n’étaient pas terminées, et le livre a paru en août).

Que trouve-t-on dans Je me souviendrai ? Des citations (de Thoreau, de Gide, de Chomsky, de Malcolm X), des photos, des dessins, des bandes dessinées, des poèmes et des textes en prose, un «story-board», des articles de presse (de Stéphane Laporte, de Normand Baillargeon). La couleur dominante ? Le rouge. Les têtes de Turc ? Elles sont prévisibles : le premier ministre de l’époque, Jean Charest, «l’oligarche [sic] libéral» (p. 165); sa ministre de l’Éducation, Line Beauchamp (loin devant ses collègues du cabinet Michelle Courchesne et Raymond Bachand); les policiers; les médias; le «néolibéralisme», cet épouvantail du jour; Richard Martineau (un chouïa). Les lieux couverts ? Montréal et Québec; peu d’ouverture sur des luttes semblables à celle des étudiants québécois ailleurs dans le monde, ce qui étonne d’un livre édité en France (mais imprimé au Québec).

La plus grande variété règne dans ce florilège : c’est ce qui arrive quand on regroupe plus de soixante collaborateurs et qu’on suit chronologiquement ce qui s’est passé de décembre 2010 à juin 2012. À côté d’une très subtile bande dessinée de Djanice Saint-Hilaire («Terreur», p. 49-51), d’un récit de duel par téléphones «intelligents» interposés chez Simon Brousseau («N’a plus sommeil qui veut», p. 90-91) ou des illustrations de Jeik Dion (sans titre, p. 216 et p. 225), on lira donc les éructations de Jackie San («J’m’en sacre du titre de celui-là», p. 109-111) ou les plaintes au premier degré d’Antoine Corriveau (sans titre, p. 139-149 et p. 186-199). Les gros mots et les insultes ne manquent pas : «pour kicker la tête d’un dirigeant, faudrait d’abord que j’trouve le rectum dans lequel ladite tête est logée» (Adib Alkhalidey, «Moi j’suis un plus meilleur révolutionnaire», p. 219); «Je crie Oh Jean Charest / Ostie que tu me fais chier !» (Marie-Ève Muller, «Bouilloire», p. 227).

Peu de contributions laissent une impression durable : collées sur les évènements, elles permettent parfois de saisir des émotions fortes, mais leurs auteurs arrivent rarement à aller au-delà de cette sensation, l’«écœurantite» (p. 122 et p. 147), dans laquelle ils sont encore immergés. Certains sont pessimistes, d’autres moins (par exemple Samuel Matteau ou Laure Waridel). Des interrogations ? Oui. Des dissidences ? Non. Tous sont du même bord.

L’analyse est un plat qui se mange froid.

P.-S. — Sous la plume d’un professeur de sociologie montréalais, l’Oreille tendue découvre l’existence de «personnes racisées» (p. 242). Elle se demande, non sans une légère crainte, si elle en fréquente.

P.-P.-S. — Publier dans l’urgence ? Le lecteur en paie le prix : au moins une trentaine de fautes ou de coquilles.

 

Références

Collectif, Je me souviendrai. 2012. Mouvement social au Québec, Antony, La boîte à bulles, coll. «Contrecœur», 2012, 246 p. Ill.

Langelier, Nicolas, Année rouge. Notes en vue d’un récit personnel de la contestation sociale au Québec en 2012, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 02, 2012, 100 p. Ill.

Nicol, Patrick, Terre des cons. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 97 p.

Néologisme du jour

En avril 2011, à la suggestion de son fils aîné, l’Oreille tendue mettait en ligne un texte sur le mot swag. Cela a attiré une foule d’internautes (près de 420 000 [!!!!!], en date d’hier), dont beaucoup ont commenté le contenu de l’article. Est cependant arrivé un moment où l’Oreille a décidé de clore les discussions : ça dérapait.

Dans ces discussions, il était fréquemment question de l’étymologie supposée du mot swag : Secretly We Are Gay. Cette étymologie est fausse (démonstration ici).

Elle constituerait, dit Wikipédia, un rétroacronyme : «Acronyme expliqué après coup alors que ce n’en est pas un à l’origine, ou fantaisiste pour donner un nouveau sens à un acronyme existant.» Exemples : SOS ne voudrait dire ni Save Our Souls ni Save Our Ship.

Signalant l’existence de rétroacronyme sur Twitter, l’Oreille a eu droit à d’autres suggestions : CRS = Cars Remplis de Salauds ou Compagnie de Répression Sanguinaire (@petaramesh); RATP = Rentre Avec Tes Pieds (@C_licare). Puis, le lendemain, le hasard s’en est mêlé : «PhD: Philosophiæ doctor ou Procrastinatrice hautement Douée?» se demandait @LLambertChan.

Pour le dire d’un mot : ONU (Ô Néologisme Utile !).

 

[Complément du 28 novembre 2012]

Rappel à l’ordre de la part de @PimpetteDunoyer : «vous oubliez un des 1ers rétroacronymes qu’on puisse découvrir : le “Cornichons Diplomatiques” de Haddock pour la plaque CD.» Mea maxima culpa, en quelque sorte.

Sacres gelés (Hommage à Rabelais)

Jo Nesbø, le Sauveur, 2012, couverture

«Il était appuyé au chambranle, les bras croisés, et regardait les gars porter des sacs-poubelle noirs depuis le camion jusque dans l’entrepôt du magasin. Les types soufflaient des phylactères blancs qu’ils remplissaient de jurons en dialectes et langues divers.»

Jo Nesbø, le Sauveur. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, traduction d’Alex Fouillet, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 552, 2012, 669 p., p. 75. Édition originale : 2005.

 

[Complément du 5 avril 2023]

Pourquoi cette allusion à Rabelais ? En 1552, dans son Quart livre, il intitule le chapitre LVI «Comment, entre les parolles gelées, Pantagruel trouva des motz de gueule». On y lit ceci : «Le pillot feist responce : “Seigneur, de rien ne vous effrayez. Icy est le confin de la mer glaciale, sus laquelle feut, au commencement de l’hyver dernier passé, grosse et felonne bataille, entre les Arismapiens et les Nephelibates. Lors gelerent en l’air les parolles et crys des homes et femmes, les chaplis des masses, les hurtys des harnoys, des bardes, les hannissements des chevaulx et tout aultre effroy de combat. À ceste heure la rigueur de l’hyver passée, advenente la serenité et temperie du bon temps, elles fondent et sont ouyes”» (p. 206). (Mieux vaut tard que jamais.)

 

Référence

Rabelais, François, le Quart Livre, dans Œuvres complètes. Tome II, introduction, notes, bibliographie et relevé de variantes de Pierre Jourda, Paris, Garnier, 1962, p. 1-260. Édition originale : 1552.