Quinze chansons pour sacrer

Les Québécois aiment chanter et sacrer, voire chanter en sacrant et sacrer en chantant. Cela n’a pas échappé aux non-autochtones. Démonstration.

Câlisse / câlisser / câline : Plume Latraverse, «Chez Dieu» (1970); Offenbach, «Câline de blues» (1972); Arseniq33, «Boîte à malle» (2005)

Calvaire : Offenbach, «Moody calvaire moody» (1972); La chicane, «Calvaire» (1998)

Crisse / crisser : Robert Charlebois, «Engagement» (1968); Robert Charlebois, «Lindbergh» (1968); Les trois accords, «Saskatchewan» (2003); Vincent Vallières, «1986» (2003); Les Dales Hawerchuk, «Dale Hawerchuk» (2005)

Ostie : Les Dales Hawerchuk, «Dale Hawerchuk» (2005); Gaële, «L’accent d’icitte» (2010)

Sacrament : Robert Charlebois, «Engagement» (1968)

Tabarnak / tabernacle / tabarnan : Offenbach, «Solange tabarnac» (1973); Lynda Lemay, «Les maudits Français» (2000); Java, «Mots dits français» (2009); Gaële, «L’accent d’icitte» (2010); Alecka, «Choukran» (2011)

La liste de ces chansons-jurons n’est évidemment pas exhaustive. Lecteur, des suggestions ?

 

[Complément du 30 mars 2012]

Lisa LeBlanc, «Câlisse-moi là», 2012

Marc Hamilton, «Tapis magique», 1972 : «C’t’une gang de sacraments !», s’agissant de la police (merci à @_scorm)

 

[Complément du 9 juillet 2013]

Jean-Pierre Ferland, «Pissou», 1992 : «Câlice de calvaire, on prend nos grands airs.

 

[Complément du 15 avril 2014]

Laurent Paquin a voulu simplifier la tâche à tout le monde : une seule chanson, beaucoup de sacres. (Merci à @offqc, qui donne le texte de la chanson.)

Le solitaire

Il y a les jurons qui donnent des verbes : tabarnak enfante tabarnaker. Il y a ceux à qui nous devons des adverbes : de crisse naît crissement. Il y a encore ceux qui se démultiplient : décâlisser donne de l’expansion à câlisse.

Et il y a le pauvre sacrament. Ce sacrement acclimaté est une interjection (Sacrament !), il indique le courroux (Mon sacrament ! ou Être en sacrament), il a besoin de de (Un sacrament de niochon) ou de que (Sacrament que t’es moron). Ni verbe, ni adverbe, ni préfixe pour lui.

Il a pourtant ses lettres de noblesse. Qu’on pense seulement au légendaire «Sacrament, Ginette» du joueur de hockey Pierre Lambert dans la première des innombrables incarnations de la série télévisée Lance et compte de Réjean Tremblay. Ici même, on a donné des exemples de son utilisation chez William S. Messier et chez François Blais. Robert Charlebois le chante dans «Engagement» (1968). Il se trouve évidemment dans la bouche des personnages de Sauce brune (2010) de Simon Boudreault.

Cela ne suffit pas à rompre la solitude morphologique de sacrament. Sur ce plan, il est aussi mal loti que calvaire.

P.-S. — Ephrem Desjardins (p. 128) le note : le mot existe en version euphémisée (sacramouille) et en version combinée (saint-sacrament).

 

[Complément du 29 novembre 2011]

Un lecteur du Devoir en a ce matin contre la Société des alcools du Québec (SAQ). Son juron ? «SAQrament !» (p. A6).

 

Référence

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Recyclage publicitaire

Le recyclage, au Québec, est affaire de bac vert. C’est là où les bons citoyens doivent déposer les matières destinées à la récupération. (Le Notulographe a déjà eu un mot à dire sur ce tri sélectif.)

Le diplôme de premier cycle des universités québécoises est le baccalauréat, apocopé en bac. Parmi lesdites universités, celle de Montréal — celle de l’Oreille tendue —, offre dorénavant des programmes en «développement durable», donc «verts».

Slogan ? «Bacs verts» (le Devoir, 19-20 novembre 2011, p. I4).

Bravo.

P.-S. — Dans le même ordre d’idées, mais pour une discipline bien différente, cette couverture de la revue Études françaises (vol. 42, no 1, 2006), pour son numéro «De l’usage des vieux romans».

Études françaises, 2006, couverture

[Complément du 25 novembre 2011]

L’Oreille québecquoise attire l’attention de l’Oreille tendue sur une chanson récente de Richard Desjardins sur son album l’Existoire (2011), «Développement durable». On y entend ceci : «En fait moé j’ai deux bacs / Un bac vert un bac bleu.» (En effet, certains bacs de recyclage québécois — des bacs verts, donc — sont bleus.)

Montée de lait du début de semaine

Charentaises et pyjama, l’Oreille tendue sort sur son balcon, en un doux samedi de novembre, en quête de son Devoir. Elle jette un coup d’œil aux grands titres, et elle a une montée de lait.

(Que les lecteurs non autochtones soient informés : la montée de lait québécoise désigne un état subit d’indignation. Qui a une montée de lait est offusqué, d’un coup, et le fait savoir, haut et fort.)

Pourquoi cette réaction de l’Oreille (un brin excessive, elle n’en disconvient pas) ? Parce qu’elle vient de lire le titre suivant, en haut de la première page : «Fred Pellerin, le dernier des Québécois ?» Que lui reproche-t-elle ? Ce qu’il laisse entendre implicitement du Québec.

D’une part, elle lui reproche de cultiver ce vieux discours canadien, puis canadien-français, avant d’être québécois, celui de la menace d’extinction des habitants du Québec, pauvre petit peuple / État / nation / province menacé(e) par les autres. Des curés du XIXe siècle au documentaire Disparaître de Lise Payette (1989) en passant par l’analyse répétée (et contradictoire) des données démolinguistiques montréalaises, la rengaine est toujours la même : on veut nous rayer de la carte. Si Fred Pellerin risque d’être le dernier des Québécois, c’est bien que les autres seraient en voie de disparition, non ?

D’autre part, de renvoyer à une définition essentialiste du «Québécois». Pourquoi «le Québécois» serait-il un conteur folklorique né à l’extérieur de Montréal ? Si on veut que le dernier spécimen autochtone de l’espèce en voie d’extinction vienne des «régions», pourquoi ne s’agirait-il pas plutôt d’une jeune fille née en Thaïlande et élevée dans le Bas-du-Fleuve, passionnée par Twilight ? On pourrait même imaginer ce spécimen — pourquoi pas ? — sous les traits d’un quinquagénaire montréalais (presque) chauve et non nationaliste, plus porté, en matière de culture, sur la Malaisie que sur Saint-Élie-de-Caxton. Certains Québécois seraient-ils plus «authentiques» que d’autres ?

L’Oreille n’a pas lu l’article coiffé de ce titre. À chaque jour suffit sa montée de lait.

A beau essayer qui vient de loin

Géraldine Wœssner, Ils sont fous, ces Québécois !, 2010, couverture

Ce n’est peut-être pas possible : débarquer dans un pays, le décrire dans un livre et être apprécié des autochtones.

La journaliste française Géraldine Wœssner, après tant d’autres, s’y est essayée. En 2010, elle publiait Ils sont fous, ces Québécois ! Chroniques insolites et insolentes d’un Québec méconnu, une série de vignettes sur sa découverte du «pays du caribou» (p. 144).

Il est bien sûr question du «français savoureux parlé au Canada» (p. 261), de la neige, des relations entre les hommes et les femmes et de la poutine (mais pas trop).

Certaines sections ont une unité claire («Accommodons-nous les uns les autres», «Maudits Français»). Pour d’autres («Des tuques et des hommes»), on ne voit pas.

Parmi les thématiques fortes, «Culturez-moi» porte, comme son titre l’indique, sur la culture québécoise — et étonne. L’auteure y chante les louanges de Bobby Bazini («Une star est née» [p. 213]…) et de Lynda Lemay (elle aurait «préparé le terrain» [p. 225] à Benabar et à Vincent Delerm…). Elle évoque le cirque, les festivals, l’humour, le folklore (Fred Pellerin) et la cuisine. La littérature ? Le cinéma ? Le théâtre ? La télévision ? Pas un mot.

Ces absences tiennent probablement moins à une volonté délibérée qu’à la façon de choisir les objets à commenter. À lire Géraldine Wœssner, on a l’impression qu’elle a simplement réagi à ce qui était dans l’air du temps au moment où elle écrivait — elle parle elle-même de «récits bruts» (p. 15) —, sans tenter de décrire l’ensemble de la société québécoise. C’est une façon de faire qui se défend, mais qui a pour conséquence de laisser des questions dans l’ombre.

Ce qui se défend moins, en revanche, ce sont les fréquentes exagérations du livre. L’affaire des compteurs d’eau est «le plus grand scandale qui ait jamais frappé Montréal» (p. 104). Les hommes sont peu présents dans l’enseignement, car ils sont «refroidis par les faibles salaires et la multiplication des accusations de violence ou de harcèlement sexuel» (p. 127). Les Québécois passent des nuits entières dans les salles d’urgence des hôpitaux, «dans une ambiance de camps de réfugiés» (p. 199). «Dans la province, personne n’ose prononcer» le nom de Guy Laliberté «sans baisser la voix» (p. 210). «La complainte des Lebel» de Nelson P. Arsenault est «une chanson célèbre» (p. 239 n. 1).

Ne se défendent pas plus les approximations ou erreurs factuelles. Peut-on, sans rire, affirmer que «Hamburger est banni au profit de hambourgeois» (p. 14) ? En matière politique (p. 21) et législative (p. 22), Géraldine Wœssner, qui se définit comme journaliste politique (p. 278), aurait pu mieux faire ses devoirs. Page 57, il est question de Jean-Joseph Bombardier; p. 286, le même inventeur de la motoneige retrouve son prénom de Joseph-Armand. Les amateurs de hockey le savent : on ne dit pas «Hab’s» (p. 64 et 67), mais «Habs». La Montérégie n’est pas un «district» (p. 251).

Certaines affirmations, enfin, sont à la fois des erreurs factuelles et des exagérations. S’il est vrai que certains Québécois ont des relations conflictuelles avec les anglophones, il est faux d’écrire que «les Québécois détestent les anglophones qui les ont oppressés» (p. 14).

Sur le plan de la langue, on pouvait s’attendre au pire, s’agissant d’un livre dont le premier mot de la quatrième de couverture est «Tabernacle» (voir aussi p. 150-152). Pourtant, les choses sont à peu près correctes, à l’exception d’un «Marde de blanche !» (p. 41), où le de est de trop, et d’une mauvaise date d’adoption pour la Charte de la langue française (p. 287). Wœssner pense qu’au Québec «une langue nouvelle est née» (p. 150), le «québécois» (p. 261). Ce n’est pas vrai, mais elle est loin d’être la seule à le croire. On a vu pire.

La loi de la probabilité littéraire fait que certaines remarques ou réflexions font mouche : sur la longueur de la rue Sherbrooke à Montréal (p. 78), sur le casse-tête de la collecte des ordures sur l’île (p. 99), sur Kahnawake, cet «Iroquois Land» (p. 181), sur le bingo à la radio aux Îles-de-la-Madeleine (p. 235).

L’effort est louable, mais le projet global est probablement voué à l’échec, quoi qu’on fasse.

 

Référence

Wœssner, Géraldine, Ils sont fous, ces Québécois ! Chroniques insolites et insolentes d’un Québec méconnu, Paris, Éditions du moment, 2010, 295 p.