Tout et son contraire

Hypothèse : pour faire ressortir ce que les locutions figées ont, justement, de figé, rien de tel que d’imaginer leur antonyme.

Exemples

Tout le monde se réclame du développement durable. Que serait un développement momentané ?

Dans le Devoir du 7 octobre, Jean Dion parle de la (potentielle) «grippe d’homme» du gardien des Canadiens de Montréal, Carey Price (p. B6) ? Connaît-on la grippe de femme ?

Sur Twitter, une lectrice assidue de l’Oreille tendue, @PimpetteDunoyer, se demande, à la suite d’autres twitteurs, pourquoi un réseau est toujours vaste dans les faits divers. Imagine-t-on un réseau de trafiquants de drogue exigu ?

Que serait l’antonyme d’aidant naturel ? Aidant culturel ? Aidant contre nature ?

Vous avez trouvé la solution gagnant-gagnant ? Ça vous fait une belle jambe : il n’y a pas de solution perdant-perdant.

Tout le monde est pour l’inclusion. Personne n’est pour l’exclusion.

Comme toute hypothèse, celle-là devra être soumise à des expériences plus soutenues. L’Oreille tendue vous invite à y participer.

 

[Complément du 18 juin 2016]

Dans la Presse+ du jour, l’Oreille tendue découvre «gagnant-gagnant-gagnant», mais pas perdant-perdant-perdant.

La chasse (assistée) est ouverte

Il y a presque un an, le 22 septembre 2009, l’Oreille tendue se posait la question suivante : «Mais comment reconnaître un cliché ?» Réponse d’alors : «En consultant le Dictionnaire des clichés littéraires d’Hervé Laroche.»

Réponse d’aujourd’hui, qui n’annule pas la première : en utilisant le logiciel Lâche ton poncif, gracieuseté du site OWNI, «Une idée R89 [Rue 89] et @alertecliche». Rien de plus simple : vous tapez l’URL d’un média et le logiciel vous crache les résultats chiffrés de sa chasse aux clichés.

(Les lecteurs de ce blogue sont invités à insérer dans le logiciel l’adresse oreilletendue.com. Ils seront rassurés.)

Dans la langue de Bill Gates, le site Unsuck-It, lui, offre un double service.

Soit vous y inscrivez une expression venue du jargon des affaires («terrible business jargon») et le logiciel vous la traduit en langage courant, en plus de vous offrir un exemple de phrase utilisant cette expression. Exemple : dans «Because of market attrition and revenue shortfalls, your department will be downsized», downsized signifie «Layoffs or firings». Bref, vous êtes congédié.

Soit le logiciel vous propose sa propre expression à contextualiser et à traduire, nouvelle à chaque fois que vous accédez au site.

Utile — dans les trois cas.

Pendant que nous y sommes, un brin d’Henri Calet, celui d’Acteur et témoin : «Ce dégoût des lieux communs… Un lieu commun ne l’a pas toujours été. À l’origine du langage, il n’existait pas de lieux communs, mais rien que des mots à l’état naturel, de grandes troupes de mots sauvages. Aujourd’hui, chacun doit tous les jours réinventer un langage qui n’aurait servi à personne» (p. 238).

 

Référence

Calet, Henri, Acteur et témoin, Paris, Mercure de France, 1959, 253 p.

Sport(ique)(ic)

Énigmatique : «l’énigmatique ailier devra batailler avec lui-même toute la saison» (site du Réseau des sports, 29 septembre 2009); «L’énigmatique numéro 74 ne sera pas du voyage» (site de Radio-Canada, 1er avril 2010). Parmi les Kostitsyn qui jouent pour les Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, vous choisissez votre énigmatique Bélarusse, le 46 (Andrei) ou son frère Sergei (le 74).

Poétique : «Nous pourrons continuer d’observer les faits et gestes de l’un des receveurs de passes les plus poétiques à avoir jouer [sic] au football» (la Presse, 15 mai 2010, cahier Sports, p. 8). Il s’agit bien sûr de Ben Cahoon, des Alouettes de la Ligue canadienne de football.

Prolifique : «“Je suis vraiment très content que tout ait fonctionné et je me réjouis déjà vraiment d’arriver lundi à Hambourg”, a déclaré le prolifique buteur néerlandais, âgé de 33 ans», Ruud van Nistelrooy; c’est la Presse du 23 janvier 2010 qui le dit.

(Cela pose un problème de langue. Par définition, le buteur est prolifique; sinon, il ne serait pas un buteur. Buteur prolifique n’est-il pas pléonastique ?)

 

[Complément du 9 juin 2010]

Grâce à la Lettre d’information de Gallica (Bibliothèque nationale de France) datée de juin 2010, l’Oreille tendue découvre le mot sphéristique. Définition de l’Encyclopédie méthodique : «On désignait sous ce nom chez les anciens, les différents jeux ou exercices pour lesquels on employait une balle.» Article complet à http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k58282813.image.f000278?xtor=ES-1.

 

[Complément du 14 juin 2010]

À la radio de Radio-Canada hier : «le flegmatique Roger Federer».

 

[Complément du 15 octobre 2011]

Une preuve de plus que le Russe, par essence, est énigmatique. Ça se trouve en p. 8 du cahier Sports de la Presse du 15 octobre et ça porte sur le joueur de hockey Kirill Kabanov : «Après un début de parcours tortueux dans la LHJMQ à Moncton, l’énigmatique Russe de 19 ans a débloqué à Lewiston l’an dernier, surtout lors des séries alors qu’il a été jumelé à Michael Chaput.»

 

[Complément du 2 janvier 2012]

Le Russe a les mêmes traits en français et en anglais, et certains anglophones ont même pu parler de «facteur russe» : «There is a long string of stereotypes that the hockey world applies to Russian players. They are called “enigmatic”—sometimes referred to as “the Russian factor”—and often dismissed as greedy players interested only in themselves, not their teams» (Roy MacGregor, Wayne Gretzky’s Ghost and Other Tales from a Lifetime in Hockey, Toronto, Random House Canada, 2011, xx/369 p., p. 364).

 

[Complément du 20 octobre 2013]

S’il faut en croire la Presse+ du jour, il existerait aussi des «tirs poétiques».

 

[Complément du 4 août 2014]

Scientifique ? Pourquoi pas : «le scientifique joueur de centre Jos Primeau» (la Patrie, 10 août 1936). Merci à @JrmiPerrault pour la citation.

 

[Complément du 25 juillet 2015]

Les Canadiens de Montréal viennent d’engager, pour un an, Alexander Semin : «On le dit au mieux énigmatique, au pis carrément désintéressé» (la Presse+).

 

[Complément du 20 septembre 2015]

Dans la Presse+ du jour : «Et il y a un certain Semin qui, jusqu’ici, a réussi sa rentrée montréalaise. L’énigmatique Russe a au minimum rassuré ceux qui craignaient que sa blessure à un poignet ne le gêne encore.» Encore.

 

[Complément du 2 octobre 2017]

Alexander Radulov ? La Presse+ du jour le présente ainsi : «l’énigmatique attaquant russe». Plus ça change…

 

[Complément du 19 juin 2019]

En français dans le texte : «Podkolzin était attendu dans les cinq premiers choix pendant une bonne partie de la saison, mais une prestation en demi-teinte au Championnat du monde U18 lui a fait mal, et l’effet de récence joue parfois gros. Le facteur russe aussi» (la Presse+, 19 juin 2019).

Périple

Déplacement de sportifs.

Souvent pléonastique : ces voyageurs au long cours ne font de périple qu’à l’étranger. Exemple : «Pour le Canadien, le périple à l’étranger est le temps d’amorcer une poussée» (le Devoir, 2 mars 2010, p. B5).

Existe aussi en version écourtée : on parle alors de «petit périple» (la Presse, 9 septembre 2009, cahier Sports, p. 3).

 

[Complément du 24 février 2013]

Première remarque. Rappelons la double définition du «périple» dans le Petit Robert : «Didact. Voyage d’exploration maritime autour d’une mer, d’un continent»; «Cour. (sens critiqué) Voyage, randonnée par voie de terre, circulaire ou non» (édition numérique de 2010).

Deuxième remarque. Par tweet, le 23 février, le descripteur sportif Pierre Houde annonçait qu’il allait partir, avec les Canadiens de Montréal, pour «un périple sur la route de deux parties», ce périple les amenant à… Ottawa et à Toronto. Ce tweet a été effacé du compte du compte de @PierreHoudeRDS. Serait-ce à cause de celui-ci ? L’Oreille tendue n’ose le croire.

 

[Complément du 21 février 2017]

Les Carabins de l’Université de Montréal — c’est du football — viennent de rendre public leur calendrier pour la prochaine saison : «La troupe de Danny Maciocia lancera donc sa campagne 2017 dans l’ouest de la métropole lors d’un périple jusqu’au terrain de l’Université Concordia le 25 août.» Ce «périple» de 7 kilomètres prend 37 minutes en bus (la 51). Devrait-on parler de «très petit périple» ? De «périple local» ? Tant de questions, si peu d’heures.

Déjà

Sur son site, Libération vous sonde sur «Les mots que vous ne voulez plus entendre en 2010». Au moment où l’Oreille tendue rédige ceci, il y a 489 commentaires, certains contenant plusieurs mots à bannir («Des tics de langage aux anglicismes employés à tout-va, des expressions de l’actualité qui vous insupportent, quels mots aimeriez-vous bannir ?»). L’année sera longue.