Le triomphe des études littéraires

L’entraîneur des Canadiens de Montréal, Jacques Martin, n’était pas content après une défaite de son équipe contre les Flyers de Philadelphie — c’est du hockey..

Ce qu’il a fait ? «Il a convié le Canadien à une réunion d’équipe à 10 h 30, suivie d’une courte séance de patinage sans rondelle, puis d’un entraînement intensif» (la Presse, 24 novembre 2010, cahier Sports, p. 2).

Commentaire du journaliste qui rapporte les faits ? «Le sous-texte était clair.»

Voilà que le vocabulaire de la critique littéraire («sous-texte») se retrouve sous la plume des journalistes sportifs. Victoire ! crie-t-on dans les départements universitaires de lettres.

Florilège du jeudi matin

Kim Thúy, Ru, 2009, couverture

Ambitionner : semblerait vouloir dire espérer. «Malgré toutes ces nuits où nos rêves coulaient sur la pente du plancher, ma mère a continué à ambitionner un avenir pour nous» (p. 27).

Avoir pour mission : se dirait des animés comme des inanimés. «Ma naissance a eu pour mission de remplacer les vies perdues» (p. 11).

Désigner : manquerait de synonymes. «J’ai quitté Hanoi ainsi, l’abandonnant à son coin de trottoir, sans avoir pu détourner son regard vers un horizon sans fumée, ni être héroïque comme Anh Phi, comme beaucoup de gens qui ont été identifiés, nommés, désignés héros au Vietnam» (p. 101).

Grand-mère : serait un élément architectural. «Mais, contrairement à ma grand-mère, les fenêtres en lattes de bambou de sa chambre donnaient directement sur la rue» (p. 125).

Irresponsabilité : la «qualité d’une personne irresponsable» (le Petit Robert) ne serait pas la même chose que la «capacité» d’une personne «d’être irresponsable». «Ma mère enviait l’irresponsabilité de mon oncle, ou plutôt sa capacité d’être irresponsable» (p. 70).

Jongler : relèverait de l’instinct maternel. «Ma grand-mère jonglait avec ses jeunes enfants et ses fausses couches à répétition» (p. 70).

Parcours d’apprentissage : aurait quitté, sans modification aucune, le ministère de l’Éducation, du loisir et du sport du Québec pour le ministère de la Culture. «[Nos] parcours d’apprentissage sont atypiques» (p. 82).

Pudeur : constituerait un motif de danse. «Toute la frivolité de la jeunesse a glissé entre ses doigts pendant qu’elle interdisait à ses sœurs de danser au nom de la pudeur» (p. 71).

Sens : il faut pas confondre sens (direction : Flatte-les dans le sens du poil), sens (sensation : Ses sens étaient en éveil), sens (jugement : C’est plein de bon sens) et sens (signification : C’est le sens de mon intervention). «J’étais une extension d’elle, même dans le sens de mon nom» (p. 12).

Sexe : on s’y adonnerait. «Certains ignoraient son handicap en acceptant son collier en or de vingt-quatre carats en échange d’un morceau de goyave, ou en s’adonnant au sexe avec elle en échange d’une flatterie» (p. 112).

Vandaliser : s’en prendrait aux organes internes. «La maternité, la mienne, m’a affligée d’un amour qui vandalise mon cœur […]» (p. 134).

 

Référence

Thúy, Kim, Ru, Montréal, Libre expression, 2009, 144 p.

Le Goncourt à l’école

Dans la livraison de ses Notules dominicales de culture domestique (et de villégiature exotique) servie le 7 novembre, Philippe Didion montre ce que doit le Michel Houellebecq «des bons jours, celui des Particules élémentaires, plus encore celui d’Extension du domaine de la lutte», à Jean-Patrick Manchette. Chez les deux, on trouve une «langue soigneusement méprisante». Voilà qui est très bien vu. On pourrait faire de cette remarque un beau sujet de dissertation à la Chassang et Senninger.

Vous expliquerez et discuterez, s’il y a lieu, la formule suivante de Philippe Didion : le Michel Houellebecq «des bons jours, celui des Particules élémentaires, plus encore celui d’Extension du domaine de la lutte», doit beaucoup à Jean-Patrick Manchette, en particulier une «langue soigneusement méprisante». Étayez votre discussion d’exemples puisés dans l’œuvre du lauréat du prix Goncourt.

 

Référence

Chassang, Arsène et Charles Senninger, la Dissertation littéraire générale. Classes supérieures de Lettres et Enseignement supérieur, Paris, Hachette, 1955, vi/442 p.

Une tête bien faite

L’université de l’Oreille tendue souhaite la former. Soit. Celle-ci a donc assisté récemment à une «formation pour cadre académique». (Elle laisse ses lecteurs rêver au PowerPoint qu’on nous a asséné.)

Elle y a découvert des choses; elle n’en disconvient pas. Cela dit, on lui a appris que nous avions l’obligation d’«instrumenter nos processus» et «nos décisions». Si elle a bien compris, elle devrait être elle-même «instrumentée». Elle n’a pas osé demander ce que cela voulait dire; froussarde qu’elle est, elle avait peur de la réponse.

La station assise

Au Québec, les échanges oraux ne se font ni debout ni couché ni à genoux; on ne discute qu’assis. D’où l’équivalence entre s’asseoir et parler. Les exemples ne manquent pas, dont les quatre suivants.

«La CSDM s’assoit avec ses partenaires afin de développer des stratégies pour l’avenir» (le Devoir, 30-31 octobre 2004).

«Les enseignants s’assoient avec le ministre» (le Devoir, 24 mai 2005, p. A2).

«Paul Martin en entrevue à la Presse. S’asseoir avec les provinces, oui; signer des chèques en blanc, non» (la Presse, 14 octobre 2005, p. A3).

«Mon collègue Marc Antoine Godin s’est assis avec l’analyste de RDS, Benoît Brunet, ce week-end à Québec, pour sonder ses états d’âme» (la Presse, 5 octobre 2010, cahier Sports, p. 4).

De pareilles réunions, il faut toutefois se méfier. Avant de s’asseoir, qu’est-ce que l’autre a décidé d’apporter à la table ?

 

[Complément du 21 mai 2012]

Foi de Twitter, en plus de s’asseoir avec, on peut désormais s’asseoir auprès de : «Pauline Marois réclame que le PM Charest s’assoie auprès de sa nouvelle ministre pour rencontrer les leaders étudiants.»