Villégiature de l’Oreille

Jour 1

Dans le Nord-Est des États-Unis — échantillon aléatoire —, la preuve est faite, de kilomètre en kilomètre : voilà une civilisation de l’automobile. Vendeurs de voitures neuves et usagées, stations-services, garages en tous genres, agences de location, carcasses abandonnées, musées de l’automobile (taille réelle ou à l’échelle), casse (cour à scrappe, en vernaculaire québécois) : le vroum-vroum est partout.

À Sainte-Perpétue, chaque année, la démonstration se répète : tout est bon dans le cochon, y compris les slogans de son festival. La langue anglaise n’est pas en reste. Juste avant d’entrer dans le Acadia National Park, on se fait offrir du Acadia National Pork.

Jour 2

Même sur la route, il arrive à l’Oreille tendue de se brancher. C’est ainsi qu’elle se découvre, sur Twitter, grâce à Éric Plamondon, en compagnie de celui-ci, dans les pages du Journal de Québec du 29 juillet 2012. Elle est ravie du voisinage.

Journal de Québec, 29 juillet 2012

Jour 3

Enquête sociologique sauvage. Soit une double population humaine. La première, d’eau douce, est fortement tatouée. La seconde, d’eau de mer, l’est beaucoup moins. La première est québécoise, pas la seconde.

En voyage, on est parfois forcé à toutes sortes de compromissions. L’Oreille, ce midi, a dû manger sa pizza sous une photo de Milan Lucic, des Bruins de Boston — c’est du hockey —, en plein pugilat. Elle aurait préféré ne pas.

Drapeau sur les édifices publics, drapeau sur les commerces, drapeau sur les tombes, drapeau sur la Lune (en 1969), drapeau sur les maisons, drapeau sur les voitures, drapeau sur les motos, drapeau sur les vélos. Sur les vélos ?

Jour 4

Du beurre sans gluten ? La «gastronomie» états-unienne ne manque pas de surprises. (@PimpetteDunoyer l’a noté elle aussi.)

On peut dire beaucoup de choses de David Foster Wallace. On ne peut pas dire qu’il facilite la vie de son lecteur. Infinite Jest (1996) est un roman qui se mérite.

Jour 5

Par solidarité conjugale, l’Oreille tendue a visité tout à l’heure Petite Plaisance, la maison de Marguerite Yourcenar, à Northeast Harbor, sur Mount Desert Island (Maine). Commentaire de l’irrévérencieux fils cadet de l’Oreille : «Il y avait des photos d’hommes tout nus avec des coupes Longueuil.» Celui de son fils aîné : «Je n’arrive plus à me souvenir de qui était Antinoüs.» L’œil de l’Oreille a été attiré, lui, dans la bibliohèque de Yourcenar, parmi le fonds gréco-romain, à côté d’éditions anciennes, par un livre de poche américain. Son titre ? Contraception.

Petite Plaisance, Norheast Harbor, Mount Desert, Maine, U.S.A.

Le chien serait un animal de compagnie. Qu’est-ce à dire ? L’Oreille tendue est l’heureuse propriétaire d’un caniche; il lui tient en effet compagnie; jusque-là, ça se tolère. Quand l’Oreille se promène, en compagnie d’icelui, dans les rues de son quartier, elle fuit comme la peste ceux qui se prennent pour ses semblables, les heureux propriétaires d’animaux de compagnie. En villégiature, c’est plus difficile, car elle connaît moins les itinéraires de contournement. Il lui est donc imposé une compagnie, celle des gens qui ne peuvent s’empêcher de prendre langue avec les animaux qu’ils croisent, voire avec leur maître. L’animal de cette compagnie-là — celui qui crée de la compagnie — n’est pas le meilleur ami de l’homme.

Jour 6

L’inventeur de la baladodiffusion — le podcast — est un bienfaiteur de l’humanité.

Au cours des derniers jours, le long de sa route, l’Oreille tendue a aperçu un orignal — l’élan d’Amérique — et un faon. Grâce à Twitter, elle apprend qu’il y aura des élections au Québec le 4 septembre; il faudra ouvrir l’œil pour les caribous.

Pincement au cœur : à la plage, dans le territoire naturel des Red Sox de Boston — c’est du baseball —, la «Red Sox Nation», sur la tête d’un garçon trop jeune pour les avoir connus, la casquette bleu-blanc-rouge des Expos de Montréal.

Casquette des Expos de Montréal

Jour 7

La vente de garage québécoise ou le vide-grenier hexagonal est ici une «yard sale». Ce n’est pas mieux.

Retour sur le territoire de la Belle Province. D’abord, aux poteaux, les souriantes binettes des candidats aux élections du 4 septembre. Puis, ce curieux exemple de signalisation routière : «Les panneaux vous parlent. Respectez-les.» N’ayant rien entendu, l’Oreille n’a rien respecté.

Vingtième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Homonyme

Définition

«Se dit des mots de prononciation identique (=> homophone) et de sens différents, qu’ils soient de même orthographe (=> homographe) ou non» (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Exemple

«Le Festival du cochon de Sainte-Perpétue, c’est comme nulle “porc” ailleurs !»

P.-S. — Que l’on n’accuse pas l’Oreille d’invention; on trouve mieux, donc pire, ici.

Merci de votre constante collaboration

Ces jours derniers, les médias ont été bons pour l’Oreille tendue. Démonstration.

Rubrique ville urbaine. Le critique théâtral du Devoir qui recense une «tragédie urbaine» (7-8 juillet 2012, p. C7) se fait damer le pion par la critique gastronomique de la Presse. Elle a pris un lunch «urbain» sur terrasse «très urbaine». Était-ce en ville ? Oui : «On est en ville et on ne se le cache pas» (7 juillet, cahier Maison, p. 13). Cette chroniqueuse fait concurrence à l’animatrice de la radio de Radio-Canada qui, jeudi dernier, parlait d’«une bande-annonce énergique, presque urbaine». «Presque» ? «Urbaine» ? «Presque urbaine» ?

Rubrique extrême. Le Devoir de la fin de semaine compare la «prédiction politique» à un «sport extrême» (7-8 juillet 2012, p. B2) et la Presse raconte des «rénovations extrêmes» (7 juillet, cahier Maison, p. 6).

Rubrique à saveur. Peut-on décrire un «Plan de campagne à saveur minière» ? Le Devoir peut (7-8 juillet 2012, p. B1).

Rubrique jupon. Si le jupon d’Amir Kadir dépasse, on ne verrait que «poindre» celui du «procédé» chez Éric Plamondon. C’est la Presse qui le dit (7 juillet 2012, cahier Arts, p. 15).

Tant de médiatics, si peu de temps.

Hautes distinctions

En ces temps de fêtes du Québec et du Canada, les occasions ne manquent pas de rappeler que le Québec est une société distincte. Comment ?

«Le Québec se distingue dans l’univers de l’insolvabilité» (le Devoir, 4 juillet 2012, p. B1).

«Tourisme distinct» (le Devoir, 24-25 avril 2004, p. D4).

«Le Québécois : un mangeur distinct» (Québec science, été 2009).

«Un régime [d’assurance automobile] distinct qui doit le demeurer» (le Devoir, 14 avril 2004, p. A7).

«Le meuble québécois : un design distinct» (la Presse, 28 août 2004, Mon toit, p. 7).

Pétons-nous les bretelles. (Plastronnons.)