La soupe (im)populaire

Ce doit être à cause de l’hiver et de ses froids : l’Oreille tendue, pour la deuxième fois en deux semaines, parle soupe.

Non pas la soupe à l’oignon de l’autre jour, mais la soupe aux pois de la maison Habitant.

En français, que du descriptif : «Soupe aux pois.» En anglais, du descriptif et de l’ethnoculturel : «French-Canadian Pea Soup.» C’est un peu plus délicat dans le second cas que dans le premier. Pourquoi ?

Soupe aux pois Habitant

French-Canadian Pea Soup Habitant

Parce que «Pea soup» a souvent servi d’insulte contre les Canadiens français.

C’est ce que l’on entend dans la chanson «La dévire» du groupe Mes Aïeux (2008) :

Je suis stâllé, emberlificoté
Tricoté un brin trop serré
La tête baissée, les doigts croisés
Je rêve encore de Coupe Stanley
Je suis frileux, pea soup, peureux
Je fuis devant les grands enjeux
J’vois pus clair dans mon propre jeu
J’me prends-tu vraiment au sérieux ?

C’est ce que l’entendait déjà dans le poème «Séquences» de Gaston Miron :

Damned Canuck de damned Canuck de pea soup (p. 77).

Pour une soupe, il n’y rien de dévalorisant à se faire appeler «French-Canadian Pea Soup»; pour un Québécois francophone, au contraire, ce l’est.

 

[Complément du 26 juin 2017]

Un poète a chanté «La soupe aux pois» :

[…]

Chassez ce soupçon de mépris
De votre prunelle profonde
Pour la soupe que je chéris.

[…]

C’est la soupe de vos ancêtres
Dont le courage était puissant :
Tous, soldats, bûcherons et prêtres,
La sentaient bouillir dans le sang.

Dans les vastes chaudrons de fonte,
En acclamant la liberté,
Ils savaient la manger sans honte,
Sans faiblesse et sans lâcheté.

Je la vois à travers vos veines,
L’incomparable soupe aux pois :
C’est la soupe des Canadiennes
Aux cœurs énergiques et droits.

J.-A. Lapointe, le Terroir, 6, juin 1909, reproduit dans Gnou, cinquième ruade, janvier 1998.

 

[Complément du 26 avril 2018]

On peut inverser la valeur de pareille insulte. C’est ce qu’ont fait les designers Denise Goyer et Alain Bonneau avec leur soupière «French Pea Soup». C’est la Presse+ du jour qui présente leur œuvre.

Denise Goyer et Alain Bonneau, soupière «French Pea Soup»

 

Références

Mes Aïeux, «La dévire», la Ligne orange, 2008, 4 minutes 3 secondes, disque audionumérique, étiquette Disques Victoire VIC23661.

Miron, Gaston, l’Homme rapaillé. Poèmes, Montréal, Typo, 2005, 258 p. Préface de Pierre Nepveu. Édition originale : 1998.

Ambiance de traviole ?

On a déjà eu l’occasion de constater, à l’Oreille tendue, que la critique vinigastronomique a son propre idiome.

Tel bar à vin accueille «des professionnels et autres adultes urbains».

Un établissement québecquois serait «un restaurant résolument urbain»; un autre, une «cabane urbaine».

Avenue Laurier Ouest, à Montréal, vous pouvez fréquenter une (une ?) «barmacie».

«La déco rétro-saxonne» de tel troquet serait à signaler.

Du nouveau dans la Presse du 29 janvier. Qu’y reproche-t-on au Ridi de la rue Sherbrooke Ouest ? Son «Ambiance bancale, degré “0”» (cahier Gourmand, p. 6).

Cela se remet-il d’aplomb ? On l’espère.

Par ici la bonne soupe

On se souviendra que des Américains, il y a quelques années, avaient souhaité modifier, pour des raisons supposées de politique internationale, le nom de leurs frites : plus de French fries, place aux Freedom fries. On se méfiait de ce qui était French.

Existerait-il la même chose chez les francophones ? Comment expliquer la traduction suivante ?

Boîte de soupe à l'oignon

Faut-il voir là un simple refus du mot French ? Y a-t-il plutôt un lien à établir entre French et gratiné(e) ? L’on sait que, selon le Petit Robert (édition numérique de 2010), ce mot a deux sens en français : «Cuit au gratin»; «Extraordinaire, dans l’outrance ou le ridicule.»

L’Oreille est perplexe.

S’émouvoir avec son chimiste

L’Oreille tendue n’ignorait pas l’existence de la cuisine moléculaire. Elle découvre, grâce à un article du magazine The New Yorker daté du 3 janvier 2011, qu’un des emblèmes de ce mouvement, Ferran Adrià, le chef du elBulli, préfère parler de gastronomie «techno-emotional» («tecnoémocion», dans le texte).

Un oxymore, pour marier neurones et papilles : il suffisait d’y penser.

 

Référence

Gopnik, Adam, «Notes of a Gastronome. Sweet Revolution. The Power of the Pastry Chef», The New Yorker, 3 janvier 2011.

La capitale des capitales ?

Québec — qui aime de moins en moins qu’on l’appelle comme ça — est souvent désignée par l’expression la Vieille Capitale.

Ce n’est pas tout. Il lui arrive de se dire «capitale mondiale de la planche à neige» (le Devoir, 16 mars 2007, p. B1), «capitale de Noël» (le Devoir, 16 décembre 2009, p. A1), «capitale littéraire favorisant la création en émergence» (programme Première ovation), «capitale de la joie de vivre» (publicité de la bière la Quatre-centième), «capitale des lettres et de l’édition» (Lettres québécoises, numéro 137, printemps 2010, p. 14) ou capitale gastronomique, selon le titre du livre d’Anne L. Desjardins (Montréal, Éditions La Presse, 2008).

Le quotidien la Presse, en première page de son édition d’hier, posait une question plus fâcheuse pour les Québecquois : «Québec, capitale de la droite ? Non, affirment les résidants de la Vieille Capitale.»

Qui croire ?