Agassi épistolier

Andre Agassi, Open, 2010, couverture

 

En 2007, l’Oreille tendue se penchait, pour la revue Épistolaire, sur la correspondance de quelques sportifs. L’ouvrage Open, les fabuleux Mémoires du tennisman Andre Agassi, n’avait pas encore paru. Elle y aurait trouvé de quoi se régaler.

Les deux mariages d’Agassi ont en effet une dimension épistolaire.

Avant même de rencontrer Brooke Shields pour la première fois, il a échangé plusieurs télécopies avec elle : elle tournait un film en Afrique et il était aux États-Unis. (C’était il y a une éternité technique : en 1993. Il y a plus fort : on s’envoyait encore des télégrammes à l’époque : Agassi en recevra un de son amie Barbra Streisand [p. 173].)

Ce mode de communication, tout à la fois correspondance et conversation, aura des effets inattendus sur la naissance de leur relation :

And so it began. Faxes back and forth, a long-distance correspondence with a woman I’d never met. What began oddly became progressively more odd. The pace of the conversation was outrageously slow, and suited us both — neither of us was in any hurry. But the enormous geographical distance also led us to quickly let down our guard. We segued within a few faxes from innocent flirting to innermost secrets. Within a few days our faxes took on a tone of fondness, then intimacy. I felt as if I were going steady with this woman I’d never met or spoken to (p. 178).

La télécopie a son propre rythme, double : lenteur des échanges, rapidité de l’ouverture à l’autre. À cette caractéristique déterminée par la technique se greffe, chez Agassi, un malaise d’une autre nature : Shields a étudié la littérature française dans une des universités les plus réputées des États-Unis, Princeton; lui a abandonné l’école à l’adolescence. Que faire ? Soumettre ses brouillons de lettres à son préparateur physique et père de substitution, Gil Reyes (p. 178), puis donner la version finale à son frère Philly pour qu’il l’envoie. Les amoureux ne sont pas toujours seuls au monde.

Agassi et Shields seront mariés de 1997 à 1999. Quand ils se sépareront, il essaiera de relancer, mais sans succès, leur correspondance par télécopie (p. 279-280). Au moment de divorcer, ils s’enverront de nouveau des télécopies, mais pour lesquelles ils demanderont l’aide d’avocats et d’agents de publicité : «What began with faxes ends with faxes» (p. 289).

Andre Agassi connaissait Steffi Graf avant de la courtiser. Foin de télécopies avec elle : en avion, au-dessus de l’Atlantique, souhaitant se rapprocher d’elle, il lui confectionne une carte d’anniversaire à partir d’un menu (celui de première classe) et de bouts de raphia (récupérés d’une bouteille de champage) (p. 307). Elle est touchée du geste (p. 308), mais pas suffisamment pour accepter de le fréquenter. Il ne désespère pas. Pourrait-il au moins lui écrire des lettres ? Non, car quand on est une vedette comme elle on n’ouvre pas soi-même son courrier : «There is someone who reads my mail» (p. 310). Leur relation naîtra finalement grâce au téléphone. Quand ils se marieront, en 2001, leurs bagues seront faites de… raphia (p. 337).

Agassi et Graf ont deux enfants. Le père s’adresse à son fils dans son journal intime (p. 348-349) et son autobiographie est conçue comme une lettre à son attention et à celle de sa sœur : «It [this book] was written for them, but also to them» (p. [388]).

On ne s’étonnera pas de trouver en épigraphe à Open un extrait de la correspondance de Van Gogh avec son frère Théo : la lettre est une histoire de famille chez Andre Agassi.

P.-S. — Correspondance familiale ? Agassi reçoit aussi des lettres de sa mère (p. 94-96).

P.-P.-S. — Agassi est un sportif connu internationalement. Il reçoit donc des sacs de courrier (p. 25, p. 103, p. 184), notamment des photos d’admiratrices nues, accompagnées de leur numéro de téléphone (p. 122).

P.-P.-P.-S. — Brooke Shields a beaucoup reçu de lettres anonymes dans sa carrière, notamment des lettres de menaces (p. 231, p. 241). L’Oreille a aussi écrit sur ce genre de lettres, en 2013.

 

Références

Agassi, Andre, Open. An Autobiography, New York, Vintage Books, 385 p. Ill. Édition originale : 2009.

Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires. Le courrier des sportifs», Épistolaire. Revue de l’AIRE (Association interdisciplinaire de recherche sur l’épistolaire, Paris), 33, 2007, p. 279-283; repris, sous le titre «Sportifs épistolaires», dans Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires, Montréal, Del Busso éditeur, 2011, p. 81-89.

Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», Épistolaire. Revue de l’AIRE (Association interdisciplinaire de recherche sur l’épistolaire, Paris), 39, 2013, p. 219-221. Sur les lettres anonymes.

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Rire, puis plus

Samuel Cantin, Whitehorse, 2015, couverture

Henri Castagnette, le personnage principal de Whitehorse (2015), libraire à temps partiel, écrivain sans œuvre, velléitaire et fabulateur, vit avec une comédienne débutante, Laura. Quand elle obtient le premier rôle dans un film de Sylvain Pastrami, également intitulé Whitehorse, la jalousie d’Henri explose. Cela se terminera mal (pour l’instant : une deuxième partie est à paraître).

Avant cette fin violente, on aura eu l’occasion de rire dans une série de vignettes absurdes ou parodiques : métaphores routières (p. 30, p. 68), dialogue au Kafka (p. 34) ou au kale (p. 104), conversations embarrassées (p. 60-63), scène de couple avec poireau (p. 84-87), mondanités droguées (p. 133-134), propos sur l’art («Les biennales d’art, ça, c’est un bon concept ! Ça devrait s’appliquer à tout. Faites de l’art juste aux deux ans, gang […]», p. 170).

On aura aussi eu droit, en matière de sexualité et d’homosexualité, à nombre de représentations et de discours. Les mots ne sont pas moins crus que les images. Les langages du corps importent fort au narrateur.

La langue de ce roman graphique accueille généreusement la langue populaire, les mots en anglais et les jurons. En cette matière, il y en a pour tous les goûts, ce qui ne saurait déplaire à l’Oreille tendue : simonaque, fuck, crisse / crime, mon Dieu / My God, cheez whiz, câlisse / câline, maudine / maudit / mautadine, cibole, ostie / esti / sti, tabarnouche / tabarne / tabarnak (c’est le dernier mot du livre), etc.

Attendons la suite. On rira, ou pas ?

 

Référence

Cantin, Samuel, Whitehorse. Première partie, Montréal, Éditions Pow Pow, 2015, 211 p.

Les zeugmes du dimanche matin et d’Ian Manook

Ian Manook, Yeruldelgger, 2016, couverture

1.

«Ils descendirent de la voiture, lui surveillant les alentours et Colette ses escarpins rouges» (p. 515).

Ian Manook, Yeruldelgger. Roman, avant-propos inédit de l’auteur, Paris, Albin Michel, coll. «Le livre de poche. Policier», 33600, 2016, 646 p. Édition originale : 2013.

2.

«Écoute-moi bien : je suis un vieux flic fatigué. Traquer des minables comme toi a fracassé ma vie. J’y ai perdu mes amours, beaucoup d’amis, pas mal de ma santé, et beaucoup de temps» (p. 217).

«Il parlait d’une voix calme, sans véritable colère, tout en conduisant avec prudence à travers la ville écartelée par les vents, les terrains vagues et la tristesse» (p. 318).

«J’ai une carte de flic, un autre flingue et aucun remords» (p. 359).

«Ça va être plus dur pour toi maintenant, à pied, dans la steppe, et dans ma ligne de mire» (p. 540)

Ian Manook, les Temps sauvages. Roman, Paris, Albin Michel, coll. «Le livre de poche. Policier», 34208, 2016, 573 p. Édition originale : 2015.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Dé-

San-Antonio, Salut, mon pope ! Roman spécial-police, couverture

Si tu peux gravir un mont, tu peux aussi le dégravir : «Bientôt nous avons dégravi le mont Phoscaos […]» (Salut, mon pope !, p. 199-200).

Si tu peux pendre ta veste, tu peux aussi la dépendre : «Il dépendit sa veste qu’il avait mise à un clou […]» (le Coup de Vague, p. 87).

Si tu peux te faire radicaliser ou embrigader, tu peux aussi te faire déradicaliser ou désembrigader : «Le terme “déradicalisation”, largement décrédibilisé, commence à être remplacé par “désembrigadement” dans le discours institutionnel» (@_DavidThomson).

Si tu peux prioriser quelque chose, tu peux le déprioriser : «Dans les faits, bien entendu, si vous établissez certaines priorités, vous en dépriorisez» (le Devoir, 21 juillet 2016, p. A8).

Si tu peux te faire sodomiser, tu peux te faire désodomiser : «C’est toi le petit génie, non ? répondit un autre inspecteur concentré sur la meilleure façon de désodomiser la troisième victime» (Yeruldelgger, p. 30).

 

Références

Manook, Ian, Yeruldelgger. Roman, Paris, Albin Michel, coll. «Le livre de poche. Policier», 33600, 2016, 646 p. Avant-propos inédit de l’auteur. Édition originale : 2013.

San-Antonio, Salut, mon pope ! Roman spécial-police, Paris, Fleuve noir, coll. «S.A.», 25, 1974, 254 p. Édition originale : 1966.

Simenon, Georges, le Coup de Vague, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1935, 1978, 151 p. Édition originale : 1939.

Journal de vacances (et de villégiature)

Vendredi, 8 juillet 2016

La première fois, c’était une italienne. Ce soir, une chinoise. Vive les pendaisons de grues de Structures universelles.

Grue chinoise, Saint-Roch-de-l’Achigan, juillet 2016
Grue chinoise, Saint-Roch-de-l’Achigan, juillet 2016

Mardi, 12 juillet 2016

Sur le bord du lac, le son d’une tchén’ssâ. Ce n’est que justice.

Découvrir que tu es une icône canadienne…

Canadian Who’s Who, publicité par courriel, juillet 2016
Canadian Who’s Who, publicité par courriel, juillet 2016

…mais que vous êtes des milliers.

Jeudi, 14 juillet 2016

En juillet 1976 s’ouvraient les jeux Olympiques de Montréal. Pour des raisons médicales — une histoire de tracteur mal réceptionné —, l’Oreille n’a pu faire autre chose que regarder les compétitions et leurs reprises pendant deux semaines de son lit d’hôpital. (1976, c’était avant Internet et ses choix.) Elle en a eu assez pour toute son existence. Cet été, elle ne suivra pas ce qui se passe à Rio.

Dimanche, 17 juillet 2016

En après-midi, sous un soleil qui tapait, il y avait à Joliette, dans le cadre du Festival de Lanaudière, un hommage à Ella Fitzgerald par Jessica Vigneault, «la fille de Gilles Vigneault», précisait le programme, et l’Orchestre national de jazz de Montréal («national de Montréal» ? Passons). Fan d’Ella, l’Oreille tendue y était. Il serait injuste de comparer Jessica Vigneault, «la fille de Gilles Vigneault», à Ella Fitzgerald. N’essayons même pas.

Mardi, 19 juillet 2016

Qui dit villégiature dit lectures de villégiature, voire lectures de locations de villégiature : des livres découverts dans des maisons inconnues. L’année dernière, à Barcelone, l’Oreille avait ainsi lu un Gérard de Villiers (son premier, et personne n’y feulait). Cet été, ce fut un San-Antonio, Salut, mon pope !, de 1966. L’Oreille n’avait pas lu du Frédéric Dard depuis plus de trente-cinq ans. Elle se souvenait de l’importance de l’incise chez l’auteur, de sa passion pour le calembour, de son enflure verbale assumée, de l’inintérêt des intrigues. Elle a retrouvé le plaisir du zeugme, de la liste, de l’énumération. Elle avait cependant oublié la misogynie et l’homophobie (grec, donc pédé) de l’ensemble. Les vacances servent aussi à cela. (Heureusement, il y avait aussi des Simenon : le Coup de Vague, de 1938, les Fantômes du chapelier, de 1949, et Maigret à l’école, de 1954. C’était nettement mieux que San-A., bien que le deuxième roman soit assez clairement raciste à l’occasion.)

Que seraient des vacances sans un 36 trous (de minigolf) ?

Le 15e trou du parcours Le Défi du Super Putt de Saint-Charles-Borromée, Québec, juillet 2016
Le 15e trou du parcours Le Défi du Super Putt de Saint-Charles-Borromée, Québec, juillet 2016

Jeudi, 21 juillet 2016

Centre-ville de Joliette. À l’entrée du restaurant, le drapeau noir-jaune-rouge. Dans les assiettes, des chicons. C’est bien la Fête nationale de la Belgique.

Chicon ? Endive — comme dans tremper son chicon.

Vendredi, 22 juillet 2016

Que seraient les vacances sans quelques parties de quilles (les petites, bien sûr) ?

Dimanche, 24 juillet 2016

Que seraient les vacances sans la baladodiffusion ? Recommandation du jour : Revisionist History de Malcolm Gladwell (ce génie).

Malcolm Gladwell
Malcolm Gladwell

Que seraient les vacances sans un animal (daim, écureuil, vacancier de la construction) surpris sur le chemin du chalet ?

Lundi, 25 juillet 2016

Pour la deuxième fois, commentaire du fils cadet de l’Oreille : «Djoke de prof.» Sa progéniture et elle n’ont pas tout à fait le même sens de l’humour.

Que seraient les vacances sans la conduite automobile des mous du bulbe sur les routes régionales du Québec ? (L’excellent @machinaecrire a une explication de ce phénomène; elle est ici.)

Mardi, 26 juillet 2016

Que seraient les vacances sans les souris (et le mulot) du chalet de location ?

Que seraient les vacances sans la fréquentation des classiques ?

Histoire de pêche, Chertsey upon Cairo, Québec, juillet 2016
Histoire de pêche, Chertsey upon Cairo, Québec, juillet 2016

Que seraient les vacances sans art religieux (et automobile) ?

Croix du chemin faite en enjoliveurs, Chertsey, Québec, été 2016

Mercredi, 27 juillet 2016

Que seraient les vacances sans ces plaisanciers sans veste de flottaison et sans ces automobilistes sans clignotant ?

Que seraient les vacances sans des saucisses (au fudge) ?

Gastronomie québécoise, juillet 2016
Gastronomie québécoise, juillet 2016

Que seraient les vacances sans un peu de culture latine ?

Mise en garde, juillet 2016
Mise en garde, juillet 2016

Jeudi, 28 juillet 2016

Que seraient les vacances sans l’explosion du coût des données mobiles ?

Vendredi, 29 juillet 2016

Que seraient les vacances sans sa rue éventrée au retour ?

Samedi, 30 juillet 2016

Que seraient les vacances sans une longue et tortueuse séance de slalom entre les cônes montréalais ?

Lundi, 1er août 2016

Que seraient les vacances sans leur fin ?