Moi, ce personnage

William Messier, Dixie, 2013, couverture

L’Oreille tendue rougit. Deux fois, elle est devenue personnage de fiction (en quelque sorte).

La première fois, c’était en 2000, sous la plume de Bernard Andrès, dans l’Énigme de Sales Laterrière :

— Une rhétorique où élocution et invention rhétoriques s’entremêlent, une elocutio fondée sur l’encyclopédie des savoirs, toute une triade des figurae ad docendum, ad delectandum et ad movendum ! s’enflamme Bernier sous l’œil goguenard de Melançon.

Mais Marc-André n’a que faire des sourires en coin. Il persiste et signe en renchérissant sur les idées de son ancien professeur :

— Messieurs, ce n’est pas une université que nous devrions avoir dans la province, mais au moins deux ! Ou trois ? Une à Québec, pour détrôner le Séminaire, une autre à Montréal, pour damer le pion aux sulpiciens et, pourquoi pas, une autre aux Trois-Rivières ?

— Comme vous y allez, Maître Bernier ! lance d’Estimauville qui connaît la fougue et les ambitions de la jeunesse lettrée. Et où recruterions-nous nos enseignants par ici ?

— Mais n’en voilà-t-il pas un devant nous ? répond benoîtement Melançon.

— Eh bien, pourquoi pas, mon ami ? reprend l’autre. Vous à Montréal et moi aux Trois-Rivières.

— La devision [sic] du petit monde universitaire ! plaisante Gamelin (p. 518-519).

Sa deuxième transsubstantiation est plus récente. Dans Dixie (2013), de William S. Messier, elle lit :

Il y a même le vieux Melançon qui scande les vers de la chanson en rinçant le moteur de sa chainsaw (p. 139).

(Les lecteurs de l’École de la tchén’ssâ reconnaîtront l’allusion.)

Si jamais elle meurt, l’Oreille mourra heureuse.

 

[Complément du 6 septembre 2019]

L’ami et ex-collègue François Hébert publie Miniatures indiennes. Cela a beau se dire Roman, on y croise des êtres de chair(e). La scène se déroule pendant la période des initiations de début d’année :

Il y a du tapage dans le corridor. Des rois passent, des médecins sadiques, des collègues, des vampires au menton dégoulinant de ketchup, des bagnards enchaînés, des démarcheurs, les professeurs Melançon et Mélancon, des chiens forcés de japper, des clowns, des Hare Krishna, des mendiants, des courtisanes à demi nues (p. 65).

Le lecteur qui connaît l’Université de Montréal n’aura pas de mal à reconnaître l’Oreille dans le premier des deux M., et Robert Mélançon dans le second.

 

[Complément du 13 juin 2022]

L’Oreille a longtemps donné à l’Université de Montréal un cours d’histoire de la littérature. Elle y a aussi donné des cours de littérature française du XVIIIe siècle. Or, lisant l’Amour des maîtres (2011), de Mélissa Grégoire, elle tombe sur ces deux passages :

Aucun cours n’était aussi brillant, substantiel, provocant que celui de Julien Élie, aucun professeur ne lui arrivait à la cheville, sauf un peut-être qui semblait se passionner pour l’histoire littéraire mais dont l’enseignement, donné dans un grand amphithéâtre, avait quelque chose d’impersonnel (p. 102).

Le lendemain, dans le cours de Littérature du XVIIIe siècle, Louis s’est assis à côté de moi […]. […] tandis que le professeur Beauchamp entrait dans la classe, j’ai continué de chuchoter à son oreille : «À l’avenir, parle donc pour toi !» Le professeur s’est assis, en faisant craquer sa chaise, a ouvert son livre et a commencé à lire son exposé d’une voix monocorde : «Madame de Staël se méfie de la solitude, elle insiste sur la nécessité de la conversation…» (p. 127)

Une «voix monocorde», vraiment ?

 

Références

Andrès, Bernard, l’Énigme de Sales Laterrière, Montréal, Québec Amérique, 2000, 871 p.

Grégoire, Mélissa, l’Amour des maîtres, Montréal, Leméac, 2011, 245 p.

Hébert, François, Miniatures indiennes. Roman, Montréal, Leméac, 2019, 174 p.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

Recette (approximative) pour le temps des Fêtes

William Messier, Dixie, 2013, couverture

«Au bout de quelques heures à arpenter le Dutch sans succès, Hervé Monette et Euchariste ont la merveilleuse idée de joindre l’utile à l’agréable et de se mettre en boisson. Hank sort alors de son pick-up un vieux gallon de vinaigre blanc contenant un liquide qui s’évapore quand on se le verse sur la main. Un moonshine que le père Huot dédaigne parce qu’il sent trop le gaz à briquet pour être potable. Ils se placent en ligne en tenant des flasques métalliques, des vieux bidons d’huile à moteur plus ou moins nettoyés, des tasses à café ornées de gravures des chutes du Niagara ou encore des bouteilles de Coke en vitre — parce que celles qui sont en plastique risquent de fondre au seul contact du liquide — et il faut que Hank fasse passer sa mixture dans un tamis pour y recueillir les branches d’épinette, les pétales de fleurs, les boulons, les sous noirs et autres piles neuf volts qui donnent au breuvage sa saveur unique» (p. 54).

P.-S. — Pour une recette plus détaillée, en dix points, de cet alcool maison (moonshine), on consultera avec grand profit les p. 84-87.

 

[Complément du 13 novembre 2019]

Les personnages du roman Cercles de feu, de Thierry Dimanche (2019, p. 399), ont leur propre recette (saguenéenne) :

— Moonshine des monts Valin. Au moins soixante-douze pour cent d’alcool. Distillé avec le maïs familial et d’autres ingrédients secrets.

— On peut pas tout révéler, est intervenu Réjean avec un sourire de loup-garou. Ça fait des années que nos voisins essayent de deviner. Blé d’Inde, dattes, compost…

— Acide à batterie, shiitake, habanero, a continué Roger.

En bouche : Pine-Sol, réglisse, fruits secs, «décapant au clou de girogle».

À votre santé.

 

Références

Dimanche, Thierry, Cercles de feu. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 138, 2019, 438 p.

William S. Messier, Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

Artistes de la scène

Samuel Archibald, Quinze pour cent, 2013, couverture

Au hockey, le joueur qui refuse de s’impliquer, qui traîne en périphérie, qui laisse ses coéquipiers faire la sale besogne à sa place, est un scèneux (orthographe approximative). Il attend qu’on lui refile le disque. Bref, il scène.

Exemple, repéré sur Twitter, chez @oniquet : «Kunitz est un sceneux ?»

L’Oreille tendue ne connaissait que ce sens du mot (le substantif, le verbe intransitif).

Lisant Quinze pour cent (2013) de Samuel Archibald, elle tombe sur la phrase suivante, où scèner est transitif direct (au sens de se faire payer ?) : «Il avait le don pour se scèner de la bière […]» (p. 65).

Archibaldisme ? Usage régional ? Tant de questions, si peu de réponses.

P.-S. — Vous croyez entendre loafer dans scèner ? Ce n’est pas du tout impossible.

 

[Complément du 2 janvier 2014]

Samuel Mercier l’a signalé le premier, ci-dessous : ce que plusieurs écrivent scèner a des origines maritimes et pourrait donc s’écrire seiner ou senner. Voilà une chose de réglée.

Quand au sens du mot, la diversité règne, comme le révèlent les discussions dans les commentaires.

Pour simplifier, on pourrait résumer ainsi les définitions québécoises de scèner, les unes croisant souvent les autres.

1. Traîner. En ce sens, le mot est fréquent dans le lexique sportif, surtout celui du hockey.

2. Quémander, quêter. Cette acception serait commune au Saguenay—Lac-Saint-Jean, mais suivant deux registres. On peut quêter de manière théâtrale ou de manière détournée, pas franchement, par en dessous.

3. Observer, écornifler, ne pas se mêler de ses affaires. On trouve un sens proche dans Dixie (2013) de William S. Messier : «Les visages confus scènent Gervais et son banjo déterré» (p. 43); «Non, les trois premiers soldats posent devant un trophée de chasse et les trois suivants, en arrière, se dépêchent pour aller scèner le cadavre, eux aussi» (p. 99); «Les urubus se sont échappés d’entre les pierres et les plants en entendant le chiard furieux de Led Zeppelin pour se percher aux branches d’arbres environnants et scèner les gestes des Huot» (p. 129).

 

Références

Archibald, Samuel, Quinze pour cent, Montréal, Le Quartanier, coll. «Nova», 1, 2013, 67 p.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.