L’art du titre sans poulet

Les révélations entendues à la Commission (québécoise) d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, la Commission Charbonneau, du nom de la juge qui la préside, ont coûté son poste à Gilles Vaillancourt, le maire, que l’on croyait inamovible, de Laval.

Rebelote, en quelque sorte, avec son remplaçant, Alexandre Duplessis, qui vient de demander au gouvernement du Québec de mettre sa ville en tutelle.

Le 31 mai, au moment où l’on a appris la nouvelle, le journaliste Patrick Lagacé twittait ceci :

Alexandre Duplessis, chicken

Dans son journal, la Presse, le lendemain, il écrivait plutôt : «Alexandre Duplessis, dégonflé» (p. A5). Dans le corps de l’article que coiffe ce titre, il y a aussi «pissou».

Alexandre Duplessis serait donc un «chicken», un «dégonflé» ou un «pissou»; ça veut dire la même chose.

La Presse a choisi un mot au lieu des deux autres. Quelqu’un y serait-il chicken linguistiquement ?

 

[Complément du 26 décembre 2021]

Exemple littéraire, tiré des Noyades secondaires (2017) de Maxime Raymond Bock :

— À l’odeur, doit y avoir un animal mort là-dedans, certain.
— Chicken (p. 223).

 

Référence

Raymond Bock, Maxime, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 369 p.

L’art du portrait en miniature

Jean Echenoz, les Grandes Blondes, 1995, couverture

«Béliard est un petit brun maigrelet, long d’une trentaine de centimètres et présentant un début de calvitie, une raie sur le côté, une lèvre supérieure et des paupières tombantes, un teint brouillé. Il est vêtu d’un complet de coton brun, cravate violet foncé, petits souliers marron glacé cirés à la salive. Visage veule assez disgracieux quoique expression déterminée. Bras croisés, ses doigts dépassant de manches un peu trop longues pianotent sur ses coudes.»

Jean Echenoz, les Grandes Blondes. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1995, 250 p., p. 36.

Quasi-otoflorilège

Cela n’étonnera personne : quand elle entend le mot oreille, l’Oreille tendue tend la sienne. Il lui arrive même de s’imaginer constituant, en tout bien tout honneur, un florilège de l’oreille : un otoflorilège qui aurait, en quelque sorte, valeur d’autoflorilège.

Les jours où ça ne va pas, elle citerait Tout ce que je sais en cinq minutes de Corey Frost — «Les désavantages d’avoir des oreilles» (p. 51) —, Claire Legendre — une des protagonistes de Viande est «devenue une oreille à recueillir les déchets des gens» (p. 183) — ou Diderot — «Cet organe-là que j’ai aux deux côtés de ma tête a quelque chose de bizarre» (Leçons de clavecin, dixième dialogue).

Pensant à ses lecteurs, elle se souviendrait d’une phrase de Benjamin Péret : «Chaque jour ils reçoivent une oreille […].»

Elle craindrait parfois qu’ils ne lui soient plus fidèles : «Entre les dernier Panama [sic] de l’été, tu as essayé plusieurs paires d’oreilles» (Chanson française, p. 51).

Elle souhaiterait plutôt les entendre déclarer : «Vous avez de l’oreille» (le Méridien de Greenwich, p. 133).

Puis elle se dit que ce projet d’otoflorilège n’a guère de sens, et elle l’abandonne.

 

Références

Echenoz, Jean, le Méridien de Greenwich. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1979, 255 p.

Frost, Corey, Tout ce que je sais en cinq minutes. Fictions, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 54, 2013, 184 p. Ill. Traduction de Christophe Bernard.

Legendre, Claire, Viande, Paris, Grasset, 1999, 187 p.

Létourneau, Sophie, Chanson française. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 70, 2013, 178 p.

Péret, Benjamin, «Pulchérie veut une auto», 1922.

Un trou dans son élan

John Grisham, Calico Joe, 2012, couverture

«Baseball is only dull to dull minds» (Red Smith).

Comme tout un chacun, l’Oreille tendue consacre une partie de son temps de lecture, surtout estivale, aux livres sur le baseball.

Il y a les livres savants (The Meaning of Nolan Ryan, Double jeu), les livres de journalistes (Moneyball, Men at Work), les recueils d’articles (Triumph and Tragedy in Mudville), les romans (You Know Me Al, The Art of Fielding ou, sommet indépassé, The Great American Novel).

Voilà pourquoi l’Oreille vient de lire Calico Joe de John Grisham. Elle avait déjà lu des romans policiers de cet auteur — aucun ne lui laissant de profonds souvenirs, ni en bien ni en mal — et son roman sur le football, Playing for Pizza — aucun souvenir non plus. De Calico Joe, elle se souviendra, car c’est un texte particulièrement mauvais.

Un père va mourir. Cela ne touche personne, car c’est une ordure : violent, alcoolique, égocentrique. Lanceur pour les Mets de New York, Warren Tracey n’existe plus, dans la mémoire populaire inventée par le romancier, que comme celui qui a mis un terme à la carrière d’un joueur phénoménal, Joe Castle (Calico Joe). Comment ? En lui lançant volontairement une balle rapide à la tête. Ce geste, en langage de baseball, est appelé beaning. (Sur un sujet semblable, il vaut mieux lire Rat Palms de David Homel.) Le fils de Warren raconte la rencontre improbable, en 2003, trente ans après les faits, de son père et de Joe Castle. C’est lacrymal, inécrit, sans aucun intérêt.

En lisant, l’Oreille est cependant retombée sur une de ces étranges expressions propres au baseball : «Every rookie’s got a hole in his swing» (p. 57). Dans l’élan (swing) de toute recrue (rookie), il y aurait un trou (hole). Qu’est-ce à dire ? Qu’un joueur n’arriverait pas à frapper la balle si elle était placée à un endroit bien précis, qui n’est pas le même pour tous, et que les lanceurs essaieraient d’exploiter cette faiblesse. Voilà qui vous épargnera la lecture de Calico Joe.

P.-S. — Et il y a bien sûr les livres sur Jackie Robinson.

 

Références

Gould, Stephen Jay, Triumph and Tragedy in Mudville. A Lifelong Passion for Baseball, New York et Londres, W.W. Norton, 2003, 342 p. Ill. Foreword by David Halberstam.

Grisham, John, Calico Joe. A Novel, New York, Dell, 2013, 262 p. Édition originale : 2012.

Grisham, John, Playing for Pizza. A Novel, New York, Doubleday, 2007, 262 p.

Harbach, Chad, The Art of Fielding. A Novel, New York, Boston et Londres, Little, Brown and Company, 2012. Édition numérique. Édition originale : 2011.

Homel, David, Rat Palms, Toronto, HarperCollins, coll. «HarperPerennial», 1993, 276 p. Édition originale : 1992.

Lardner, Ring, You Know Me Al, Kessinger Publishing, [s.d.], 119 p. Reprint. Édition originale : 1916.

Lewis, Michael, Moneyball. The Art of Winning an Unfair Game, New York et Londres, W.W. Norton, 2003, xv/288 p.

Nareau, Michel, Double jeu. Baseball et littératures américaines, Montréal, Le Quartanier, coll. «Erres Essais», 2012, 395 p.

Roth, Philip, The Great American Novel, New York, Farrar, Straus & Giroux, 1980, 382 p. Édition originale : 1973.

Trujillo, Nick, The Meaning of Nolan Ryan, College Station (TX), Texas A & M University Press, 1994, x/163 p. Ill.

Will, George F., Men at Work. The Craft of Baseball, New York, HarperPerennial, 1991, ix/353 p. Ill. Édition originale : 1990.