L’oreille tendue de… Georges Perec

Georges Perec, Théâtre I, éd. de 1981, couverture

«Ni la sonnerie, ni les trois coups ne semblent avoir affecté les personnages, à l’exception de la vieille femme dont on peut avoir l’impression qu’elle a interrogativement tendu l’oreille.»

Georges Perec, la Poche Parmentier, dans Théâtre I, Paris, Hachette, coll. «P.O.L», 1981, 132 p., p. 65.

L’oreille tendue de… Italo Calvino

Italo Calvino, Sous le soleil jaguar, couverture

«Il te suffit de tendre l’oreille et d’apprendre à reconnaître les bruits du palais, qui changent d’heure en heure : au matin retentit la trompette de l’envoi des couleurs sur la tour, les camions de l’Intendance royale déchargent bidons et paniers dans la cour de la dépense, les femmes de chambre battent les tapis sur la balustrade de la loggia, le soir, les grilles qui se referment grincent, des cuisines monte un cliquetis de vaisselle, des écuries quelques hennissements signalent qu’il est l’heure d’étriller» (p. 60).

«Prisonnier d’une cage de répétitions cycliques, tu tends l’oreille dans l’espoir, à chaque note, qu’elle va bouleverser ce rythme suffocant, à chaque annonce, qu’elle prépare une surprise, l’ouverture des barreaux, les chaînes brisées» (p. 67).

«Il y avait une voix, une chanson, une voix de femme que le vent, de temps en temps, portait jusqu’ici en haut, jusqu’à toi, à travers quelque fenêtre ouverte, il y avait une chanson d’amour que, les nuits d’été, le vent portait jusqu’à toi par lambeaux, et à peine te semblait-il en avoir saisi quelques notes qu’elle se perdait déjà, tu n’étais jamais sûr de l’avoir vraiment entendue, de ne l’avoir pas seulement imaginée, de n’avoir pas seulement désiré l’entendre, c’était le rêve d’une voix de femme qui chantait dans le cauchemar de ta longue insomnie. Voilà ce que tu attendais, vigilant en silence : ce n’est plus la peur qui te fait tendre l’oreille. Dans chaque note, dans chaque timbre, dans chaque coloration de voix, tu recommences à entendre ce chant qui te parvient maintenant de la ville que la musique avait abandonnée» (p. 75).

«Tu souffles, tu souffles, sous le ciel sombre on ne croit entendre que ton halètement, le crépitement des feuilles sous tes pas qui butent. Pourquoi les grenouilles se sont-elles tues à présent ? Non, voici qu’elles recommencent. Un chien aboie… Arrête-toi. Les chiens se répondent au loin. Tu marches depuis si longtemps dans l’obscurité épaisse, tu as perdu toute idée de l’endroit où tu peux te trouver. Tu tends l’oreille» (p. 83).

Italo Calvino, Sous le soleil jaguar, Paris, Seuil, 1990, 86 p. Traduction de Jean-Paul Manganaro. Édition originale : 1986.

L’oreille tendue de… David Goudreault

David Goudreault, la Bête et sa cage, 2016, couverture

«Le Sage aussi me regardait d’un autre œil. Il m’a scruté le fond de l’âme, a analysé chaque trait de mon visage, avant de conclure : Je peux pas croire que t’as fait ça, ostie. Tu lui as enfoncé un crayon dans’ tête? Ssshhht, ssshhht ! Je lui ai chuchoté l’ordre de parler moins fort. Dany, le screw de service, feignait de fouiner dans la section des bandes dessinées. Je savais qu’il tendait l’oreille et se serait fait un malin plaisir de me faire plonger. Je ne peux rien te confirmer, mais en tant que bibliothécaire, tu peux sûrement lire entre les lignes… Il n’en revenait pas.»

David Goudreault, la Bête et sa cage (2016), dans la Bête intégrale, Montréal, Stanké, 2018. Édition numérique.

L’oreille tendue de… Leïla Slimani

Leïla Slimani, le Pays des autres, 2020, couverture

«Selma ne voulut rien entendre. Quand Mathilde vint frapper à la porte de la remise, où Selma dormait désormais avec son mari, celle-ci refusa d’ouvrir. L’Alsacienne donna des coups de pied dans la porte, elle tambourina avec ses poings, elle y posa son front et, après avoir hurlé, elle se mit à parler tout doucement comme si elle espérait que Selma tendrait l’oreille.»

Leïla Slimani, le Pays des autres. Roman, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2020. Édition numérique.

L’oreille tendue de… Gilles Marcotte

Gilles Marcotte, Notes pour moi-même, 2017, couverture
«le 22 février [2009] — Je me promettais depuis quelque temps de tendre l’oreille vers l’émission littéraire de Radio-Canada, le dimanche à quatorze heures trente. J’y ai entendu ce bout de phrase, ânonné par l’animatrice : “Quand on est le premier à débuter…” J’ai fermé l’appareil.»

Gilles Marcotte, Notes pour moi-même. Carnets 2002-2012, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2017, 354 p., p. 219.