L’oreille tendue de… Douglas Kennedy

Douglas Kennedy, Et c’est ainsi que nous vivrons, 2023, couverture

«La porte de l’ascenseur se referme entre nous. L’angoisse me tord le ventre. Dans ma poche, mes doigts sont crispés sur la crosse du pistolet. L’ascenseur parvient au quatrième étage. Je débouche dans une entrée minuscule mais une nouvelle porte donne sur un couloir au luxe prétentieux. Boiseries vernies de blanc, épaisse moquette pourpre, gravures du XIXe siècle représentant des scènes pastorales de la vie américaine… La porte de l’appartement 4B est en merisier massif. Je tape le code, et un soupir de soulagement m’échappe lorsque le battant s’ouvre avec un déclic. Tirant le pistolet de ma poche, j’entre dans l’appartement et referme la porte derrière moi en veillant bien à ne faire aucun bruit. Je m’immobilise dans le hall d’entrée, aux aguets. Et si jamais Connell était arrivé avant moi ? Quelqu’un pourrait-il se trouver déjà sur place — du personnel de ménage, par exemple ? Je tends l’oreille. Le silence. Je me faufile dans le salon, décoré avec un lourd mobilier de style colonial et un épais tapis. Un crucifix trône au-dessus d’un portrait de Jésus prêchant devant ses fidèles. Je vérifie rapidement la chambre, le bureau, la salle de bains, la cuisine et toutes les penderies. Deux minutes avant 13 h 30. Le plan est conçu à la seconde près et j’ai eu le temps d’y penser et d’y repenser sans relâche. Mais maintenant que je suis dans l’appartement, j’hésite. Comment le surprendre ? Un placard est entrouvert, j’hésite à m’y cacher. Le mieux serait de l’attendre assise dans le salon, sur l’énorme canapé en cuir d’un goût plus que contestable. Je profiterai de l’effet de surprise et en deux temps trois mouvements ma mission serait accomplie. Mais une intuition, et avouons-le, ma peur, me poussent à me réfugier dans le placard. De là, je pourrais aviser. Je m’y faufile, enfile une cagoule et des lunettes noires afin de ne pas être reconnaissable, puis j’attrape mon pistolet. Je suis prête.»

 

Douglas Kennedy, Et c’est ainsi que nous vivrons. Roman, Paris, Belfond, 2023, 336 p. Traduction de Chloé Royer. Édition numérique.

L’oreille tendue de… Marie-Pascale Huglo

Marie-Pascale Huglo, Des pierres dans les poches, 2023, couverture

«Le petit a reculé jusqu’au fond de la véranda, un nœud dur dans le gosier. Le plancher sous lui était trempé, le cadre des moustiquaires continuait de pourrir. Les marches de l’escalier ont grincé. Le cœur du petit palpitait dans son thorax comme celui des grenouilles emprisonnées dans le creux des mains. Il y a quelqu’un ? La voix de Baba venait d’en haut. Il s’est recroquevillé en arrière des chaises en osier. En bas, tout près, le père grommelait. Il ouvrait des placards dans la cuisine, poussait des meubles, la porte d’entrée s’est rouverte. Le petit tendait l’oreille, il n’arrivait pas à avaler sa salive. Il a craché. Dans son gosier, le nœud dur s’est dénoué, il a craché encore. Le plancher a craqué sous ses fesses, bruit d’éboulement dans le mur. Le petit s’est redressé pour écouter, et c’est là que son téléphone a sonné.»

Marie-Pascale Huglo, «La grenouillère», dans Des pierres dans les poches. Nouvelles, Montréal, Leméac, 2023, 109 p., p. 65-79, p. 77.

L’oreille tendue de… Frédéric Lenormand

Frédéric Lenormand, Ne tirez pas sur le philosophe !, 2017, couverture

«Chacun tendit l’oreille par-dessus sa tasse de tilleul. L’émotion fit rougir M. de Saint-Pathus, il hoqueta, s’étouffa avec son biscuit, fut agité de soubresauts, glissa de son fauteuil à roulettes. Laborde se précipita à son secours, le dégrafa pour lui permettre de respirer. Il dut ouvrir plusieurs couches de gilets tricotés pour atteindre la poitrine.»

Frédéric Lenormand, Ne tirez pas sur le philosophe ! Roman, Paris, JC Lattès, série «Voltaire mène l’enquête», 2017, 280 p., chapitre dix-neuvième. Édition numérique.

L’oreille tendue de… Simenon

Simenon, les Sœurs Lacroix, édition néerlandaise, couverture

«Quant à tante Poldine, il n’était pas difficile de savoir à quoi elle s’occupait : elle faisait des comptes ! Elle était assise devant des piles de calepins noirs, à couverture de toile cirée et aux pages couvertes de chiffres au crayon. Au milieu du bureau, elle avait posé sa montre et, à sept heures exactement, elle se lèverait, entrouvrirait la porte, tendrait l’oreille, attendant le coup de sonnette qui devait annoncer le dîner et qui avait parfois quelques secondes de retard.»

Georges Simenon, les Sœurs Lacroix, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 175-271, p. 181. Édition originale : 1938.

L’oreille tendue de… Simenon

Simenon, le Suspect, éd. de 1938, couverture

«Marie Chave repassait des chemises, dans la cuisine. Elle pensait sans penser, comme quand on repasse, et le temps étant scandé par les coups de fer sur la table. Parfois elle s’arrêtait, prenait un autre fer sur le feu, l’approchait de sa joue puis, machinalement, tendait l’oreille à la respiration du gamin qui dormait dans la chambre voisine.»

Georges Simenon, le Suspect, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 89-174, p. 96. Édition originale : 1938.