Recommandation paradisiaque

La Sapho des Lumières, 2006, couverture

En 2009, l’Oreille tendue publiait un petit texte sur les lettres d’outre-tombe, celles qui sont programmées pour parvenir de l’au-delà : un mort vous écrit.

Deux ans plus tard, elle faisait paraître un autre texte, sur les lettres de recommandation.

Elle n’avait pas réfléchi à la possibilité de mêler ces deux pratiques, faute d’exemple. C’est maintenant chose faite, en quelque sorte, grâce à Étienne-François de Lantier.

Dans son Voyage d’Anténor en Grèce et en Asie, avec les notions sur l’Égypte, manuscrit grec trouvé à Herculanum, publié en 1797 et repris dans l’anthologie la Sapho des Lumières en 2006, on trouve la note suivante :

En Russie, aujourd’hui, un prêtre met entre les doigts du mort un billet, pour lui servir de passeport en l’autre monde. Ce billet est conçu dans ces termes : «Je soussigné, évêque ou prêtre de N…, reconnais et certifie par ces présentes, que N…, porteur des dites lettres, a toujours vécu comme un bon chrétien, faisant profession de la religion grecque; et quoiqu’il ait souvent péché, il s’en est confessé : il a reçu l’absolution et la communion, en rémission de ses péchés. Il a honoré Dieu et ses saints, jeûné et prié aux heures et aux temps ordonnés par l’église : il s’est bien conduit avec moi, qui suis son confesseur, en sorte que je n’ai point fait de difficulté de l’absoudre de ses péchés. En foi de quoi, nous lui avons expédié le présent certificat, afin que saint Pierre, en le voyant, lui ouvre la porte à la joie éternelle» (p. 95 n.).

Le porteur de la lettre n’est pas celui qui l’a écrite, certes, mais on peut imaginer qu’il en connaît le contenu, nécessairement flatteur. Sinon, pourquoi remettrait-il ce «certificat», cette lettre de recommandation, à saint Pierre ? Il est son propre messager, par personne interposée, jusqu’«en l’autre monde».

 

Références

Lantier, Étienne-François de, Voyage d’Anténor en Grèce et en Asie, avec les notions sur l’Égypte, manuscrit grec trouvé à Herculanum, dans la Sapho des Lumières. Mlle de Scudéry – Fontenelle – Gacon – Voltaire – Rousseau – Pesselier – Moutonnet de Clairefort – Barthélémy – Lantier – Mme de Staël, anthologie établie et présentée par Huguette Krief, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, coll. «Lire le dix-huitième siècle», 2006, 145 p., p. 100. Édition originale : 1797.

Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», Épistolaire. Revue de l’AIRE (Association interdisciplinaire de recherche sur l’épistolaire, Paris), 35, 2009, p. 251-254; repris, sous le titre «Lettres d’outre-tombe», dans Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires, Montréal, Del Busso éditeur, 2011, p. 139-147.

Melançon, Benoît, «Le cabinet des curiosités épistolaires», Épistolaire. Revue de l’AIRE (Association interdisciplinaire de recherche sur l’épistolaire, Paris), 37, 2011, p. 289-291; repris, sous le titre «L’économie de la confiance», dans Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires, Montréal, Del Busso éditeur, 2011, p. 105-110.

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Accouplements 144

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

«Novembre 1990. Sade entre à la Pléiade», annonçaient les éditions Gallimard. Leur accroche était jolie.

«L’enfer sur papier bible», publicité, Gallimard, 1990

C’est au tour de Joris-Karl Huysmans d’y entrer. Compte rendu du quotidien le Devoir des 14-15 décembre.

«Huysmans sur papier bible», le Devoir, 14-15 décembre 2019

Les zeugmes du dimanche matin et d’Antoine Hamilton

Antoine Hamilton, les Quatre Facardins, éd. de 2001, couverture

«On l’a donc délivrée sur-le-champ, et de la fosse, et de toutes ses appréhensions; le peuple l’est allé conduire chez ses parents, et tandis qu’on met le premier appareil à son œil, je viens ici vous conjurer de vous sauver, et de vous éloigner d’un pays où les montagnes sont pleines d’enchantements, les îles de lions, et le continent de coqs et d’habitants qui ne valent guère mieux» (p. 67).

«ce fut dans une de ces humiliations que je coupai la tête au maudit grand prêtre, sans respecter ni sa longue barbe, ni son caractère» (p. 123).

Antoine Hamilton, les Quatre Facardins. Conte, Paris, Desjonquères, coll. «XVIIIe siècle», 2001, 155 p. Édition présentée, établie et annotée par Georges May. Édition originale : 1730.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)