Accouplements 153

Dinu Bumbaru, Carnet d’un promeneur dans Montréal, 2020, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

On ne le reconnaît pas volontiers dans tous les cercles éclairés, mais l’Oreille tendue n’est plus de la première jeunesse.

Le seul commerce qu’elle a fréquenté religieusement pendant les derniers mois est la Société des alcools du Québec. Elle la désigne souvent en parlant de la Régie (des alcools), voire de Commission des liqueurs. Cette régie et cette commission sont les ancêtres de l’actuelle société. C’est dire l’âge canonique de l’Oreille.

Elle se réjouit donc de voir qu’elle n’est pas tout à fait seule : Luc Jodoin et Dinu Bumbaru lui ont fait plaisir récemment.

Jodoin, Luc, «Je suis un covidanxieux de la lecture», entrée de blogue, BiblioBabil, 1er juillet 2020.

Pour ceux qui ne le savent pas, il est maintenant possible de réserver un document dans les bibliothèques de Montréal et d’aller le cueillir sur place. Bon, ça fait un peu bunker, genre Commission des liqueurs, on ne peut pas voir les produits.

Bumbaru, Dinu, Carnet d’un promeneur dans Montréal, Montréal, La Presse, 2020, 198 p. Ill.

Le pont Jacques-Cartier «encadre l’ancienne prison de Montréal, ouverte en 1836 et lieu de mémoire des Patriotes, qui logea successivement, de 1921 à 2017, la Commission des Liqueurs de Québec, la Régie des alcools du Québec, puis la Société des alcools du Québec» (p. 25).

Merci.

Autopromotion 509

Studio vidéo maison, Montréal, 30 mai 2020

Les Rencontres internationales de Genève, qui existent depuis 1946, sont actuellement présidées par l’historien Michel Porret. Celui-ci a proposé à l’Oreille tendue de prononcer la conférence inaugurales des RIG 2020. Honorée, elle a accepté.

Ça s’appelle «Un intellectuel en temps de pandémie» et ça dure 45 minutes.

Extrait de l’introduction : «Que fait un intellectuel en temps de pandémie ? Il écoute. Il lit. Il écrit. Il enseigne dans certains cas (c’est le mien). Il essaie de donner du sens à ce qui l’entoure. Il ne peut pas se transformer du jour au lendemain en épidémiologiste, en spécialiste de médecine publique, en sociodémographe, en soignant, pour reprendre un terme à la mode — en expert, bref. Il peut faire le travail qui est le sien, son travail d’intellectuel. Il verra des choses qui l’amusent, des choses qui l’enchantent, mais aussi des choses qui l’inquiètent.»

Merci, pour leur soutien technique, à Michel Dumais, à Théo Malo Melançon et à Laurent Turcot. Merci surtout à Charles Malo Melançon pour la mise en place, le tournage et le montage. S’il arrive que la mise au point défaille, ce n’est pas sa faute à lui, mais à celle de l’appareil utilisé pour filmer la vidéo, qui, parfois, n’en faisait qu’à sa tête.

 

P.-S.—L’Oreille a sa chaîne vidéo. On y trouve aussi cette conférence.

P.-P.-S.—Vous préférez une version audio ?

Gestes barrières au XVIIIe siècle

Denis Diderot, la Religieuse, éd. de 1983, couverture

«Nos corridors sont étroits; deux personnes ont en quelques endroits de la peine à passer de front. Si j’allais et qu’une religieuse vînt à moi, ou elle retournait sur ses pas, ou elle se collait contre le mur, tenant son voile et son vêtement, de crainte qu’il ne frottât contre le mien. Si l’on avait quelque chose à recevoir de moi, je le posais à terre et on le prenait avec un linge. Si l’on avait quelque chose à me donner, on me le jetait. Si l’on avait eu le malheur de me toucher, l’on se croyait souillée […].

[…]

Je fus privée de tous les emplois. À l’église, on laissait une stalle vide à chaque côté de celle que j’occupais. J’étais seule à table au réfectoire. On ne m’y servait pas. J’étais obligée d’aller dans la cuisine demander ma portion.»

Denis Diderot, la Religieuse, préface de Henry de Montherlant, édition établie et commentée par Jacques et Anne-Marie Chouillet, Paris, Librairie générale française, coll. «Le livre de poche», 2077, 1983, 314 p., p. 82-83.

Ma vie en lapsus

Diderot, Jacques le fataliste, éd. de 1983, couverture

L’Oreille tendue, pandémie oblige, enseigne actuellement à distance (PDF) et cela ne l’enchante pas, pour toutes sortes de raisons. Parmi ces raisons, il y a le fait que l’Oreille, en classe, multiplie les lapsus. Or, à distance, il lui est impossible de corriger ses lapsus aussi rapidement qu’«en présentiel» (pour le dire en français didactique). C’est un vrai problème : elle confond allègrement la gauche et la droite, Sade et Sartre, la gaine et la graine, etc.

Pourquoi confondrait-elle la gaine et la graine ? Relisons Jacques le fataliste :

C’est la fable de la Gaine et du Coutelet. Un jour la Gaine et le Coutelet se prirent de querelle; le Coutelet dit à la Gaine : «Gaine, ma mie, vous êtes une friponne, car tous les jours, vous recevez de nouveaux coutelets… La Gaine répondit au Coutelet : Mon ami Coutelet, vous êtes un fripon, car tous les jours vous changez de gaine. — Gaine, ce n’est pas là ce que vous m’avez promis. — Coutelet, vous m’avez trompée le premier…» Ce débat s’était élevé à table; cil, qui était assis entre la Gaine et le Coutelet prit la parole et leur dit : «Vous, Gaine, et vous, Coutelet, vous fîtes bien de changer, puisque changement vous duisait, mais vous eûtes tort de vous promettre que vous ne changeriez pas. Coutelet, ne voyais-tu pas que Dieu te fit pour aller à plusieurs gaines; et toi, Gaine, pour recevoir plus d’un coutelet ? Vous regardiez comme fous certains coutelets qui faisaient vœu de se passer à forfait de gaines, et comme folles certaines gaines qui faisaient vœu de se fermer pour tout coutelet; et vous ne pensiez pas que vous étiez presque aussi fous lorsque vous juriez, toi Gaine, de t’en tenir à un seul coutelet; toi Coutelet, de t’en tenir à une seule gaine…» (éd. de 1983, p. 133-134)

Qui connaît un des sens québécois du mot graine verra qu’appeler une gaine une graine rend ce texte bien difficile à suivre. Cela arrive fréquemment aux étudiants de l’Oreille.

 

Référence

Diderot, Denis, Jacques le fataliste, Paris, Librairie générale française, coll. «Le livre de poche», 403, 1983, 377 p. Préface et commentaires de Jacques et Anne-Marie Chouillet.