Du sport et de la culture politique

«Maîtres chez nous», slogan électoral, 1962

Pendant les élections de 1962, Jean Lesage, le chef du Parti libéral du Québec et le premier ministre de la province, prononce un discours célèbre, dans lequel il utilise l’expression «Maîtres chez nous». Cette expression en est venue à incarner ce qu’on appelle aujourd’hui la Révolution tranquille.

Première page du cahier Sports de la Presse du 22 février, à la suite d’une (autre) défaite des Canadiens de Montréal — c’est du hockey : «Maîtrisés chez nous.»

À la Presse, on connaît ses classiques politiques.

De Twitter comme observatoire linguistique

Parmi les nombreux usages de Twitter, celui-ci : se faire rappeler que la langue, et notamment la populaire, a bougé, bouge et continue de bouger.

Pour la seule journée d’hier…

Comment appeler la région qui entoure Montréal, et ses habitants ? Le(s) 450, comme dans «L’appel du 450».

Qu’est-ce qui est plus facile que le facile ? Le «fullfaf».

D’où vient cette expression ? De full, bien sûr : «J’aime full ta photo d’araignée-sorcière.»

On peut facilement utiliser full avec songé (qui a l’apparence, et parfois seulement l’apparence, de la profondeur) : «La politisation de la police au Québec. Version songée […] et version qui fesse.» Pour fesser (frapper fort), full risquerait d’être pléonastique.

Vous en avez marre de tout ça ? Gare à la montée de lait : «Ma loooongue montée de lait devant le bal des hypocrites SPVM/SQ/Dutil\DPCP.»

Vous vous mettez à utiliser des gros mots ? «[O]sti d’église à marde #gomezEtCHquigagne.»

Vous voulez détruire des formules religieuses ? «Je me permets de scraper la 1ere partie au nom de mon athéisme et de mon rationalisme post-Lumières.»

Vous refusez de rester figé dans le passé ? «[J]’allais pas rester staulée en d’anciennes époques?!»

Ce serait le signe que vous vous énarvez : «Le yoga, la méditation, l’“énergie”, la détente, la relaxation, toutes ces choses, ça m’énarve.»

Pour vous calmer, écoutez une toune. Vous serez en bonne compagnie : «j’aimais la toune, mais j’aime bien le clip !»; «Toujours hâte à la toune de @AndreRoy36 au @5a7RDS du jeudi»; «Ai entendu la toune de StarAc dans le taxi.»

Ou enfourchez votre vélo pour une ride : «Idyllique ride #veloboulot.»

Ou souvenez-vous de vos premier béguins : «Bianca de #USPP fut un de mes premiers kik d’adolescence.»

Ou riez : «Relire ce tweet. Être crampée.»

Ou soyez ému par un beau but, au risque de passer pour une mauviette : «Viens de voir le but de #Gomez. Traitez-moi de moumoune, mais l’accolade virile qui a suivi n’était pas sans beauté.»

Ou roulez un patin à quelqu’un que vous trouvez mignon : «tu pourras frencher Woody mon p’tit coco cute d’amour si t’es douce avec tes mains pis toute.»

Ça vous changera, du moins dans les médias, de ces articles hargneux que sont les jobs de bras : «Tanné de lire des articles de jobs de bras.»

Ou des publicités nulles : «Une pub poche avec Mr Shamwow à Télé-Québec.»

Est-ce que l’article suivant relève de cette catégorie ? «Francine Pelletier reprend sa plume ! heureuse nouvelle ! Cœur de pitoune http://huff.to/ysnUiF.» Vous pouvez y aller voir.

P.-S. — Sur Twitter, il y a même de la place pour les puristes : «On emploie généralement l’adjectif “second” quand il n’y a que deux éléments. Sinon on dira plutôt “deuxième”.»

La reine et la guidoune

Char allégorique, Fête de la Saint-Jean-Baptiste

Comme Quebecor avant elle (mais cela va peut-être changer), la chaîne de supermarchés Metro vient de tomber l’accent aigu.

Dans le cadre de son assemblée annuelle, le 31 janvier, cette disparition a été déplorée par l’inénarrable Yves Michaud, le fondateur du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (le MÉDAC, avec accent) et l’arrière-belle-mère du Parti québécois (merci à @Lectodome pour ce surnom parfait).

Comment a-t-il formulé sa demande ? «Respectez donc sa majesté la langue française» (le Devoir, 1er février 2012 p. B2).

Réponse de Pierre H. Lessard, président du conseil d’administration de Metro : «À nos yeux, [Metro], ce n’est pas un mot français ni anglais, c’est une marque de commerce.»

Au lieu de dire n’importe quoi, il aurait pu citer André Belleau : «La vérité, c’est que les langues sont des guidounes et non des reines» (éd. de 1986, p. 118).

Le «Robin des banques» aurait peut-être été désarçonné.

P.-S. — L’Oreille tendue se cite. Elle a déjà utilisé, il y a jadis naguère, le titre de son texte d’aujourd’hui. C’était en 1991 et c’est ici.

 

[Complément du 25 mars 2019]

Reine et guidoune : la formule retentit dans l’espace public québécois ces jours-ci. L’Oreille l’a utilisée dans le documentaire I speak français diffusé la semaine dernière. La réalisatrice du film, Karina Marceau, l’a citée dans son blogue du Journal de Montréal le 21 mars. Sous la plume de Jenny Salgado, dans la Presse+ du 24, on lisait «Reine ou guidoune, shake it, mama, you doing good, entre ceux qui t’défendent et ceux qui à toi te livrent». On ne se plaindra pas de cette éphémère popularité.

 

Références

Belleau, André, «Langue et nationalisme», Liberté, 146 (25, 2), avril 1983, p. 2-9; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Y a-t-il un intellectuel dans la salle ? Essais, Montréal, Primeur, coll. «L’échiquier», 1984, p. 88-92; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1986, p. 115-123; repris, sous le titre «Langue et nationalisme», dans Francis Gingras (édit.), Miroir du français. Éléments pour une histoire culturelle de la langue française, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Espace littéraire», 2014 (troisième édition), p. 425-429; repris, sous le titre «Pour un unilinguisme antinationaliste», dans Surprendre les voix. Essais, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 286, 2016, p. 113-121. https://id.erudit.org/iderudit/30467ac

Melançon, Benoît, «Le statut de la langue populaire dans l’œuvre d’André Belleau ou La reine et la guidoune», Études françaises, 27, 1, printemps 1991, p. 121-132. https://doi.org/1866/28657

Le jovialisme en mutation ?

On connaissait déjà jovialisme et jovialiste.

En 2004, dans leur Dictionnaire québécois instantané, l’Oreille tendue et Pierre Popovic, à jovialisme, jovialiste, écrivaient ceci :

Variante québécoise de l’épicurisme, prêchée par le «philosophe» André Moreau. Prend une extension de plus en plus large. «La vision “jovialiste” de Landry consterne Parizeau» (le Devoir, 9 juin 2000). «La nouvelle proposition libérale : du “jovialisme constitutionnel”, selon Facal» (la Presse, 18 janvier 2001). «Véritable boursouflure d’orgueil, le jovialiste beurre tellement épais […]» (le Devoir, 16-17 juin 2001).

On était donc passé d’une conception du jovialisme comme revendication du plaisir à un sens proche de déni de la réalité. Autre exemple, qui confirme ce glissement : «À la moindre indication que les prévisions financières de Loto-Québec sont jovialistes, le projet du bassin Peel devrait être abandonné» (la Presse, 23 février 2006, p. A22).

On découvre maintenant néo-jovialisme et néo-jovialiste.

Dans la Presse du 27 janvier, Alain Dubuc s’en prend à un récent ouvrage de Jean-François Lisée, Comment mettre la droite K.-O. en 15 arguments. Le titre de son article ? «Les méfaits du néo-jovialisme» (p. A19). Que reproche (notamment) Dubuc à Lisée ? «Cela a entraîné mon collègue dans une croisade néo-jovialiste dont ce pamphlet est l’aboutissement.»

Voilà qui fait naître une question : néo par rapport à quoi ? À Moreau ? Au sens dérivé des mots jovialisme et jovialiste ? En sommes-nous à la première ou à la deuxième mutation ?

Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : on n’arrête pas le progrès.

 

Références

Lisée, Jean-François, Comment mettre la droite K.-O. en 15 arguments, Montréal, Stanké, 2012, 150 p. Ill.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Force de caractère entrepreneuriale

Il est beaucoup question ces jours-ci, dans les médias québécois, de résilience. On applique ce terme surtout à Pauline Marois, la chef du Parti québécois et sa nouvelle «dame de béton», qui traverse la tête haute une zone de turbulence causée par divers membres de sa famille politique, dont au moins une belle-mère.

En effet, résilience, mot venu du vocabulaire de la physique, désigne maintenant la «Capacité à vivre, à se développer, en surmontant les chocs traumatiques, l’adversité» (le Petit Robert, édition numérique de 2010). Il relève donc de la psychologie.

Voilà pourquoi on peut s’étonner devant pareille publicité :

«Vers l’entreprise résiliente», publicité, 2012

Mais doit-on s’étonner ? La capacité de récupération de la langue vivante par la publicité est infinie.