Curriculum vitæ itératif

Jean Echenoz, Vie de Gérard Fulmard, 2020, couverture

(Quand paraît un nouveau livre de Jean Echenoz, cela se célèbre. Vie de Gérard Fulmard venant de paraître, célébrons pendant quelques jours.)

On l’a vu : Gérard Fulmard est un des narrateurs de Vie de Gérard Fulmard. Mais de qui s’agit-il ? On l’apprend par touches successives.

Page 16 : «Revenons à moi qui me nomme Fulmard, me prénomme Gérard et suis né le 13 mai 1974 à Gisors (Eure). Taille : 1,68 m. Poids : 89 kg. Couleur des yeux : marron. Profession : steward. Domicilié rue Erlanger, Paris XVIe, où je vis seul.»

Pages 16-17 : «cette profession de steward, je ne l’exerce plus. Mon vrai statut actuel est celui de demandeur d’emploi en passe de se reconvertir, mais je vais développer ce point.»

Page 19 : «Mais pourquoi, direz-vous, ne suis-je donc plus steward, pourquoi n’exercé-je plus une si enviable profession ? Eh bien, sans évoquer le handicap de mon surpoids toujours mal vu dans le milieu aérien, disons que je l’ai pratiquée pendant six ans avant d’être licencié pour faute. Je ne tiens pas à m’étendre sur cette faute, si ce n’est qu’elle m’a valu une peine avec sursis assortie d’une obligation de soins.»

Page 175 : «Arrêtez-moi si je me trompe mais vos empreintes avaient été relevées, me semble-t-il au moment de votre histoire sur le vol Paris-Zurich, non ? Je pense qu’ils ont dû les conserver dans leurs fichiers. Il a encore souri. J’ai marqué le coup.»

Page 177 : «Il m’est revenu qu’en effet, dans un moment de faiblesse, prenant Bardot pour un praticien normal tenu par le secret professionnel, je m’étais assez déballonné à propos de ce vol pour Zurich, de ses conséquences douloureuses ayant abouti à mon renvoi ainsi qu’à l’inscription de mon nom sur une liste noire.»

Page 211 : «Puis ils avaient eu beau me déchoir de mes droits civiques après l’histoire du Paris-Zurich, ils m’avaient quand même laissé mon permis de conduire.»

Ce sera tout. Merci de votre intérêt.

 

Référence

Echenoz, Jean, Vie de Gérard Fulmard. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2020, 235 p.

Portrait psychotique du jour

 

Jean Echenoz, Vie de Gérard Fulmard, 2020, couverture

(Quand paraît un nouveau livre de Jean Echenoz, cela se célèbre. Vie de Gérard Fulmard venant de paraître, célébrons pendant quelques jours.)

«Francis Delahouère, assistant de Joël Chanelle : aspect sphéroïdal voisin de celui-ci mais en version effilochée, imprécise, mal rangée. Sa cravate dépasse derrière le col de sa chemise, ses cheveux sont rétifs et ses vêtements, même neufs, paraissent élimés aux extrémités, il ressemble au portrait de Chanelle exécuté par un enfant psychotique.»

Jean Echenoz, Vie de Gérard Fulmard. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2020, 235 p., p. 65-66.

L’art du portrait de surface

Philip Roth, American Pastoral, 1997, couverture

«I was impressed, as the meal wore on, by how assured he seemed of everything commonplace he said, and how everything he said was suffused by his good nature. I kept waiting for him to lay bare something more than his pointed unobjectionableness, but all that rose to the surface was more surface. What he has instead of a being, I thought, is blandness — the guy’s radiant with it. He has devised for himself an incognito, and the incognito has become him.»

Philip Roth, American Pastoral, New York, Vintage Books, 1997, 423 p., p. 23.

L’art du portrait presque anachronique

Jean-Philippe Toussaint, la Clé USB, 2019, couverture

«John Stavropoulos, physique d’acteur, avec sa sempiternelle gabardine beige et ses cheveux blonds ondulés qui tiraient sur le roux, avait un physique démodé et presque anachronique. Il portait de fines moustaches, relevées aux extrémités, qu’il devait enduire de gel pour façonner souplement entre ses doigts le tranchant effilé des crocs. Les lèvres boursouflées, le teint pâle et le visage hautain, il avait une allure de monarque espagnol peint par Vélasquez, avec cette morgue molle dans le menton, cette lassitude boudeuse, distante, aristocratique, cette rouerie un peu éteinte. Parfois, quand il vous regardait fixement de ses yeux globuleux, on pouvait craindre qu’il n’allât tenter de vous hypnotiser sur le sofa. Puis, ses traits se relâchaient, et il vous adressait un sourire enjôleur qui faisait fondre l’expression de dureté qui recouvrait ses traits quelques instants plus tôt.»

Jean-Philippe Toussaint, la Clé USB. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2019, 190 p., p. 37.

Deux portraits maternels

Lula Carballo, Créatures du hasard, 2018, couverture, 2018, couverture

1. Portrait de mère en machine à sous

«À son retour, ma mère porte son masque de clown triste. Dans ses yeux, les rouleaux s’arrêtent sur des symboles dépareillés. La chance ne lui sourit jamais» (p. 41).

2. Portait de mère en monstre

«Ses chandails sont déformés par les pinces à linge qu’elle y accroche. Le panier à lessive posé à ses pieds, elle prend les pinces et les met dans sa bouche. Ma mère est un monstre sympathique avec des dents en bois» (p. 61).

Lula Carballo, Créatures du hasard. Récit, Montréal, Cheval d’août, 2018, 144 p. Ill.