Gilles Duceppe rappeur ?

À la suite du débat des chefs du 13 avril — il s’agit de politique fédérale canadienne —, l’Oreille tendue s’est penchée sur la langue parlée par les principaux chefs de parti canadiens (c’est ici).

C’était avant de découvrir une publicité électorale quasi chantée, celle du chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe. Elle existe en version courte (pour la radio) et en version longue (en vidéo, sous le titre «Pour qu’on nous entende parler Québec !»).

L’Oreille se tend triplement à son écoute.

 

On sent Gilles Duceppe juste sur le point de se mettre à rapper, à suivre vraiment la musique, à jouer de la voix (pour attirer les voix, à coup de «huit millions»). Va-t-il continuer à psalmodier ? Va-t-il au contraire se laisser entraîner par le rythme ? Va-t-il céder au plaisir des rimes ? Elles sont nombreuses, à défaut d’être riches : «Y a des fois où t’avances / T’avances»; «Pourquoi est-ce qu’on fait tout ça ? / Pourquoi je fais tout ça ?»; «Laissez pas les autres occuper toute la place / Laissez-les pas décider à vot’ place»; «Parlez, textez, écrivez, puis surtout, utilisez votre voix, allez voter». Sur la bande vidéo, il ne franchit pas le pas; à la radio, presque.

On ne connaîtra donc pas ses talents d’interprète. On pourra, en revanche, mettre en doute ses capacités en géopolitique. «Ils vont nous entendre parler Québec jusqu’au Canada», dit-il, sur les deux supports. Pourquoi n’a-t-on pas prévenu l’Oreille tendue que l’indépendance la souveraineté du Québec était déjà faite et que la province ne faisait plus partie du Canada ? Ce doit bien être le cas si l’on peut distinguer aussi clairement la partie du tout.

«À la fin de la journée», dit le crypto-rappeur, sur fond de neige fondante. Comme dans ce «At the end of the day» si prisé des anglophones, eux qui forment le «nous» de «nous entendre» ? Cet emprunt serait bien ironique.

Question d’accord

Avec ou sans les Canadiens de Montréal, les séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey sont l’occasion de réfléchir à la langue parlée au Québec — pas celle du joueurnaliste Benoît Brunet ni celle des joueurs eux-mêmes, mais celle des publicitaires.

À ce message télévisé, par exemple, dont le texte apparaît à l’écran pendant la diffusion des matchs :

Rafraîchissantes dans les deux sens de la patinoire.
Les dépanneurs Ultramar.
On vous en donne plus.

Question de l’Oreille tendue, peut-être exagérément naïve : avec quoi «Rafraîchissantes» s’accorde-t-il ?

Pourquoi faire simple ?

La société aérienne WestJet offre des sièges à tarif réduit pour ses destinations canadiennes. Son slogan ? «Voyagez en solde canadien» (la Presse, 19 avril 2011, p. A13). Il s’agit donc d’un «solde canadien» en «sol canadien». On pourrait imaginer moins alambiqué.

De la difficulté de dire l’autre

Se dire, et dire l’autre auprès de soi, sont parfois des choses difficiles.

L’Oreille tendue a déjà noté que la catégorie Blanc a une étrange extension au Québec, puisqu’elle désigne n’importe quel non-autochtone.

Au fil des ans, les francophones qui vivent dans la Belle Province ont changé d’étiquette identitaire, ce qui a eu pour conséquence de modifier aussi celle des anglophones.

Les communautés qui ne sont pas de souche posent aussi des problèmes d’identification. Deux exemples. Sur Twitter, le 13 avril, on débat du débat. Cela donne, entre autres choses : «Pas encore vu une seule question de jeunes. Et pas beaucoup d’ethnies» (@PascalHenrard). Un marchand de voitures, cité dans la Presse du 9 avril, raconte la visite (promotionnelle) d’un joueur des Canadiens de Montréal dans son commerce : «La foule de P.K. [Subban] était un peu plus jeune et comprenait une plus grande portion d’ethnies» (cahier Sports, p. 6).

Entendons «proportion» plutôt que «portion» — ce qui évitera de se demander ce qu’est une «portion d’ethnies» — et concentrons-nous une seconde sur «ethnies» utilisé comme substantif pour désigner, non pas un «Ensemble d’individus que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisation, notamment la communauté de langue et de culture» (le Petit Robert, édition numérique de 2010), mais des personnes jugées différentes de soi.

Dans la rubrique «ethnie, ethnique» de notre Dictionnaire québécois instantané, nous proposions en 2004 la définition et les exemples suivants :

Façon polie de désigner les autres (de peau ou de culture). Toi, Théo, t’es-tu une ethnie ? «Le balconnet broderie ethnique» est en vente chez Simons (publicité). «Pour en finir avec le vote ethnique» (le Devoir, 20-21 janvier 2001). «L’industrie s’éloigne du conservatisme pour courtiser ethnies et [baby-]boomers» (la Presse, 7 août 2002). «Marketing ethnique» (la Presse, 11 juin 2003). «Les ethnies secouées» (le Soleil, 14 novembre 2003).

Nous évoquions quelques (quasi-)synonymes : allophones, communautés culturelles, minorités visibles. Nous précisions que l’antonyme d’ethnies est gens d’ici ou pure laine.

Les choses ne paraissent pas avoir bougé des masses depuis 2004. Elles ne sont pourtant pas plus simples.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

La méfiance (linguistique) ne règne (peut-être) pas assez

Le Petit Robert (édition numérique de 2010) parle de «Mot critiqué». Jean-Loup Chiflet se fâche : ce mot «tarabiscoté» est importé de «la perfide Albion» (p. 110). Pour Renaud Camus, il fait partie des «grands mots pompeux, complaisants et mal formés» qui relèvent «du méchant sabir des officines et des bureaux» (p. 344). Le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française est plus nuancé, mais il reste prudent : ce verbe «signifie globalement “trouver une solution à” un problème, une situation, une question. C’est une forme passée dans l’usage et attestée dans les dictionnaires, mais critiquée ou marquée comme familière. Elle semble mieux acceptée dans les ouvrages linguistiques québécois.» La Mission Old Brewery, qui vient en aide aux itinérants montréalais (les sans-abri), n’a pas ces états d’âme :

Publicité de la mission Old Brewery, 2011

Certains hésitent moins que d’autres devant le verbe solutionner.

 

Références

Camus, Renaud, Répertoire des délicatesses du français contemporain. Charmes et difficultés de la langue du jour, Paris, Points, coll. «Points. Le goût des mots», P2102, 2009, 371 p. Édition originale : 2000.

Chiflet, Jean-Loup, 99 mots et expressions à foutre à la poubelle, Paris, Seuil, coll. «Points. Le goût des mots», Hors série, inédit, P 2268, 2009, 122 p. Dessins de Pascal Le Brun.