Héritage hockeyistique, bis

L’autre jour, l’Oreille tendait le flambeau à ses lecteurs : il s’agissait d’expliquer la place du mot et de la chose flambeau dans l’univers du hockey montréalais. Aujourd’hui, trois compléments.

Le premier concerne une annonce publicitaire. Il a déjà été question ici des cérémonies qui ont suivi la mort de Maurice «Rocket» Richard, le plus célèbre joueur de la plus célèbre équipe de hockey en Amérique du Nord, les Canadiens de Montréal, le 27 mai 2000. Dans la Presse du 4 juin, la société pétrolière Ultramar fait paraître un hommage : la photo de Maurice Richard est accompagnée des mots «Le Rocket… champion, toujours et à jamais» (p. A7). À la main, il tient un flambeau. La mythologie a rejoint le commerce.

Maurice Richard, flambeau à la main, publicité pour Ultramar

Sur un mode nettement moins prévisible, le romancier Marc F. Gélinas met en scène le flambeau et les «bras meurtris» qui doivent le transmettre dans son roman Chien vivant (2000). Le personnage principal y est le conducteur de la surfaceuse (la Zamboni) de ce que l’on imagine être le Forum de Montréal, là où ont longtemps joué les Canadiens. Son nom? Maurice «Rocket» Tremblay.

Voilà un fan fini de l’équipe de Montréal, ici appelée «les Fabuleux» (pour les Canadiens, on dit «les Glorieux»). Il a décoré son appartement «style hockey» (p. 134). Relevant de «l’Art brico» (p. 141) et de l’«installation» (p. 127), c’est un temple aux couleurs de son équipe, le bleu, le blanc et le rouge. Il lui manque cependant un élément : Maurice va demander à Réjean P. Thériault, alias «Pic Picasso», de le lui fournir. Sur les murs de sa chambre à coucher, il fera inscrire le légendaire «Nos bras meurtris vous tendent le flambeau. À vous de le porter bien haut.» L’art naïf a rejoint la mythologie.

Récemment, un porte-couleurs des Canadiens de Montréal, Max Pacioretty, a été gravement blessé par un joueur des Bruins de Boston, Zdeno Chara. Des partisans ont décidé de manifester contre les dirigeants de Ligue nationale de hockey, accusés de tolérer la violence. Explication du site Cyberpresse.ca : «Les initiateurs de la manifestation demandent notamment au club de hockey Canadien de porter le flambeau de la lutte contre les coups à la tête et au cou et de le faire publiquement.» La mythologie a rejoint les médias. (Une fois de plus.)

 

Référence

Gélinas, Marc F., Chien vivant, Montréal, VLB éditeur, coll. «Roman», 2000, 375 p.

Faire la passe

David Desharnais, publicité, 2011

«“C’est la meilleure passe que j’ai faite.” — David Desharnais. #58 Canadiens de Montréal» : voilà la publicité que faisait paraître Boucherville Nissan dans la Presse du 15 mars (cahier Sports, p. 1).

Triple niveau de lecture pour cette annonce.

David Desharnais, le joueur de centre des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, est reconnu pour la qualité de ses passes (sur la glace). Il peut néanmoins en faire de «meilleures» que d’autres.

Faire la passe, au Québec, signifie aussi qu’on vient d’obtenir quelque chose à son propre avantage. Cet avantage est le plus souvent financier. Acheter sa voiture chez Boucherville Nissan, ce serait donc faire une (très) bonne affaire.

Une dernière chose, peut-être moins visible. Les amateurs de sport le savent : avant de jouer sur une base régulière pour les Canadiens cette année, le numéro 58 a longtemps galéré dans le monde du hockey mineur. Sur ce plan-là, promu à Montréal, il vient aussi de faire la passe.

C’est, foi d’Oreille tendue, joliment tourné.

 

[Complément du 10 mars 2022]

Grâce au magnifique site Wikia La BD de journal au Québec, l’Oreille découvre cette publicité illustrée parue dans la Presse du 18 novembre 1972. Ce n’est pas d’hier qu’on fait la passe au Québec.

Publicité pour Dulac et Frito-Lay, la Presse, 18 novembre 1972

 

[Complément du 1er août 2022]

On peut souhaiter éviter toute ambiguïté : «C’était pas à ça qu’elle se destinait, elle, l’hôtellerie, et elle avait jugé préférable de faire une passe d’argent pour mieux assir sa pratique de sage-femme» (la Bête creuse, p. 87). Il est clair, ici, que l’avantage est pécuniaire.

 

Référence

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Des lendemains qui chantent ?

En novembre 2010, la société Nissan publiait dans le journal la Presse une publicité comportant une grosse faute de langue. Elle la corrigeait le mois suivant.

Le centre sportif de l’université où pointe l’Oreille tendue accueille des enfants pendant l’été, dont ceux de ladite Oreille. On s’y servait depuis quelques années d’un billet de sortie où le verbe quitter était utilisé intransitivement (ce crime contre nature).

«Je quitte seul», formulaire, Université de Montréal, 2010

Ça ne sera plus vrai en 2011.

«Je pars seul», formulaire, Université de Montréal, 2011

Saisissons l’occasion et réjouissons-nous, et pas seulement en famille.

Le simple et le compliqué

L’Oreille tendue a eu l’occasion de le dire : certains publicitaires aiment faire inutilement compliqué.

Nouveau cas, dans la Presse du 16 février, cahier Affaires, p. 10.

Publicité des CGA, 2011

On l’aura compris : tout est dans le g qui manque à Négocier. Pour comprendre (?) cette absence, il faut aller jusqu’à la dernière ligne du texte au bas de la photo : «C’est là toute la force du G.»

Cette publicité vise un public strictement local et averti, celui qui se doute que le comptable général accrédité (CGA) n’est pas un comptable agréé (CA) : il a un G en plus; il ne doit donc pas faire le même travail. Voilà ce qu’il fallait mettre en lumière.

On pourrait imaginer démonstration plus simple.

P.-S. — Même journal, même cahier, même page, le 23 février : Diriger perd son g.

La télé vous suit

Jolie publicité pour le service de retransmission numérique de la télévision de Radio-Canada, Tou.tv.

Si le site annonce, un peu banalement, «De tout, quand vous le voulez», le message d’invitation aux utilisateurs d’iPad, iPhone et iPod Touch joue, lui, sur deux registres.

«Tout partout. Tou.TV», slogan, 2011

«Tout partout» désigne évidemment la possibilité d’avoir accès au considérable contenu de Tou.tv («tout») où que l’on soit («partout»), à condition d’avoir le bon produit Apple.

Mais tout partout est aussi une expression commune au Québec : quand quelqu’un ou quelque chose se trouve tout partout, on ne saurait le manquer. Comme Tou.tv.

P.-S. — L’expression est attestée ailleurs dans la francophonie et elle existait déjà au XVIIIe siècle, où on peut la lire chez Caylus, dans Histoire de Guillaume, cocher : «Mamselle Godiche regarde à droite, à gauche, et tout partout» (p. 26-27). Cela dit, elle reste particulièrement vivante dans le Québec d’aujourd’hui.

 

[Complément du 22 février 2019]

Exemple tiré de l’excellent Épiphanie de Myriam Beaudoin : «Elle serait notre bonheur tombé du ciel, on ne verrait pas l’héritage de sa mère tout partout gravé en elle» (p. 96).

 

Références

Beaudoin, Myriam, Épiphanie. Confession, Montréal, Leméac, 2019, 139 p.

Caylus, Histoire de Guillaume, cocher, Cadeilhan, Zulma, coll. «Dix-huit», 1993, 198 p. Présenté par Pierre Testud. Édition originale : 1787.