Subtil distinguo, ter

Quand le Devoir se trompe, le journal publie un «Rectificatif» : «Une erreur s’est glissée le vendredi 1er février en page B 9 dans la légende la photo accompagnant le texte sur Israël. La photo montrait la statue d’un soldat israélien (et non un véritable militaire) sur le terrain d’un poste de l’armée israélienne du mont Bental, sur le plateau du Golan» (4 février 2013, p. A8).

Quand la Presse se trompe, le journal publie une «Précision» sur un «malentendu» : «Dans un article publié le 26 janvier 2013 sur le site web lapresse.ca, nous avons erronément indiqué que Me Anne-France Goldwater, l’avocate de la requérante dans l’affaire de “Lola et Éric”, avait identifié “Éric” lors d’une entrevue diffusée sur les ondes du 98,5 FM et qu’elle s’exposait à des accusations d’outrage au tribunal. Or, il s’avère que Me Goldwater n’a jamais identifié “Éric” lors de cette entrevue et qu’elle n’a donc commis aucune infraction de nature juridique ou déontologique. Nous sommes désolés de ce malentendu» (31 janvier 2013, p. A2).

Ce n’est pas du tout la même chose : celui qui «rectifie» s’est trompé («erreur»), alors que celui qui «précise» s’est trompé («erronément»).

(L’Oreille tendue remercie un de ses fidèles lecteurs, Colibrius, d’avoir attiré son attention sur cette fine distinction.)

 

[Complément du 7 février 2013]

L’amateur de «rectificatifs» / «précisions» se doit de connaître le Tumblr Errratum (avec trois r) de @xkr.

 

[Complément du 21 août 2015]

Ceci, dans la Presse+ du jour :

La Presse+, 21 août 2015, rectificatif

 

Y aurait-il un changement de vocabulaire à la Presse ? Y reconnaîtrait-on (enfin) qu’on peut se tromper (à l’occasion) ?

 

[Complément du 26 août 2015]

Cela aura duré cinq jours.

La Presse+, 26 août 2015

Autopromotion 055

D. T. Max, Every Love Story Is a Ghost Story, 2012, couverture

L’Oreille tendue sera aujourd’hui, de 13 h à 14 h, à l’émission Plus on est de fous, plus on lit ! de la radio de Radio-Canada pour parler de David Foster Wallace et notamment de la biographie que lui consacre D.T. Max (2012).

Rediffusion ce soir entre 20 h et 21 h.

Peut-être aura-t-elle l’occasion de parler du bikini DFW, du coussin DFW, des t-shirts DFW, des tatouages DFW, de la présence de DFW dans les Simpsons ou, plus sérieusement, du rapport entre Aaron Swartz et DFW. Ce n’est pas sûr.

Pour en savoir plus (en anglais)…

Un blogue sur Infinite Jest

Une entrevue avec D.T. Max

Plusieurs articles de D.T. Max sur David Foster Wallace dans The New Yorker

La liste de discussion Wallace-l

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien ici.

 

[Complément du 6 février 2013]

Par quel titre aborder l’œuvre de David Foster Wallace ? L’Oreille tendue confesse un faible pour Consider the Lobster and Other Essays (2005).

 

Référence

Max, D.T., Every Love Story Is a Ghost Story. A Life of David Foster Wallace, New York, Viking, 2012, 309 p.

La dame et le bonhomme

Le Québec ne manque pas de «grandes dames». En ville : «“Une grande dame de Montréal.” Hélène Desmarais fréquente les conseils» (le Devoir, 17 novembre 2010, p. C3). À l’école : «Elle était la grande dame de la laïcité scolaire […]» (le Devoir, 9 janvier 2013, p. A2). Dans la danse : «Décès d’une grande dame de la danse d’ici» (le Devoir, 1er novembre 2011, p. B8). Sur la scène : «Céline Dion, une grande dame» (la Presse, 5 décembre 2003).

Un fidèle lecteur de l’Oreille tendue, @GPinsonM19, lui fait remarquer que le commentateur sportif Richard Garneau, mort dimanche dernier, est souvent présenté dans les médias ces jours-ci comme un «bonhomme» ou un «grand bonhomme» (l’homme était en effet de grande taille). Exemples : «Un grand bonhomme que j’ai déjà eu sur mon plateau» (Josée Blanchette); «ce grand bonhomme à la figure angélique» (rds.ca); «Richard était un grand bonhomme» (François Godbout).

Interrogation : le bonhomme serait-il à l’homme ce qu’est la dame à la femme ?

Saguenayisme (de bon aloi ?)

Soit le tweet suivant de @MadameChos : «My god qu’ils sont giguons. #parvenus http://fb.me/1XFHAx4Ou.»

Soit cet extrait d’une chanson d’Alecka :

Coudon
Ben voyons don
Heille creton
C’est don ben bon
Heille creton
Dans l’fond
Bougon gigon
Ou bedon

Deux choses rassemblent @MadameChos et Alecka : un mot («giguons», «gigon»); une filiation régionale, le Saguenay—Lac-Saint-Jean. Conclusion provisoire ? Voilà un régionalisme.

Que signifie-t-il ? Le mot est évidemment péjoratif : si @MadameChos l’emploie pour parler de Beyoncé et Jay-Z (et de leur bébé), ce n’est pas à leur avantage («#parvenus»).

Que disent de ce mot les dictionnaires que l’Oreille tendue a sous la main ? Rien, du moins, dans Franqus. Dictionnaire de la langue française. Le français vu du Québec, le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, la Base de données lexicographiques panfrancophones, le Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français […], le Dictionnaire de la langue québécoise.

En revanche, le Supplément 1981 du dictionnaire de Léandre Bergeron a ceci, à «jigon, onne» : «adj. ou n. — Malpropre. Mal habillé. Ex. : Est jigonne tous les jours excepté le dimanche, celle-là. Être jigon ou faire le jigon. — Jouer des coups de cochon» (p. 113).

Dernier élément d’information : dans une famille dont un des membres est d’origine du Saguenay—Lac-Saint-Jean, on a déjà confié à l’Oreille que nono pouvait servir de synonyme à gigon.

Bref, avouons-le : l’Oreille a besoin d’aide, tant pour pour la graphie («giguon», «gigon», «jigon») que pour le sens («nono», «malpropre», «fourbe») de ce mot.

 

[Complément du 22 janvier 2013]

Définition d’une Jeannoise : «quelqu’un aux manières frustes, voire grossières», confirmée par une Saguenéenne.

Une autre confirmation, d’une autre Saguenéenne : «mal élevé, un peu “colon”».

Trois remarques encore de @clerc2000. Une première définition rejoint celles que l’on trouve ci-dessous : «s’apparente à l’expression colon (sans classe, malpoli, malpropre). lien avec la gigue peut-être…». Une deuxième s’accorde avec celle de Léandre Bergeron : «On peut aussi dire elle s’habille en gigon (comme la chienne de J)». En revanche, @clerc2000 ne voit pas de lien avec nono.

Merci Twitter.

 

[Complément du 23 mai 2014]

Plus fort que le gigon ? Le «power gigon» (la Déesse des mouches à feu, p. 84).

 

[Complément du 11 juin 2018]

Aux étymologies évoquées dans les commentaires ci-dessous, ajoutons celle-ci, lue aujourd’hui sur Twitter : «L’origine que j’ai entendue le plus souvent du mot gigon était que ce mot était utilisé pour ridiculiser les gens qui restaient à Rivière-du-Moulin (quartier de Chicoutimi qui était un village), qui étaient très pauvres et qui giguaient beaucoup comme activité sociale…»

 

[Complément du 7 octobre 2018]

Parmi les exemples d’expressions saguenéennes retenus par Jean-Sébastien Girard dans sa chronique «Voyager en Jeannorama» de l’émission La soirée est (encore) jeune du 6 octobre 2018, celui-ci est postélectoral : «As-tu vu la gigonne avec sa tuque qui vient d’être élue, Jean-Philippe ?»

 

[Complément du 27 septembre 2020]

Si l’on en croit la base de données Eureka, le mot est peu utilisé à l’écrit. Au cours des douze derniers mois, au Québec, ni jigon, ni jiguon, ni giguon n’y apparaissent. Gigon n’y est recensé que trois fois.

Le Wiktionnaire offre des exemples et une série de synonymes de gigon : cave, épais, imbécile, innocent, taouin / tawouin, tarla, troufion, zezon.

Toujours sous la forme gigon, le mot apparaît dans un ouvrage récent, la Langue de Charlevoix et du Saguenay—Lac-Saint-Jean (2020).

 

[Complément du 28 septembre 2020]

Hier soir, à l’émission radiophonique La soirée est (encore) jeune, l’Oreille tendue est allée dire quelques mots au sujet des jigons / gigons. C’est ici, à compter de la neuvième minute.

 

Références

Alecka, «Choukran», Alecka, 2011, étiquette Spectra musique.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Pettersen, Geneviève, la Déesse des mouches à feu. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 2014, 203 p.

Verreault, Claude et Claude Simard, la Langue de Charlevoix et du Saguenay—Lac-Saint-Jean : un français qui a du caractère, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Langue française en Amérique du Nord», 2020, 168 p.