Ne baissons pas la garde

Lisant le Devoir du 18 janvier, l’Oreille tendue est tombée sur un article de Michel Bélair intitulé «Montée de lait hivernale» (p. B7). Elle s’est alors avisée qu’il y a longtemps qu’elle n’en avait pas fait une, de montée de lait, s’agissant de sa bête noire : l’usage absolu du verbe quitter. Pourtant, l’actualité continue à lui fournir des exemples.

Le 15 janvier, la Presse titrait «Ben Ali quitte sous la pression» (p. A7).

Le 18, le pourtant excellent Michel Désautels, à l’émission Maisonneuve de la radio de Radio-Canada, s’y mettait lui aussi. (Si même Michel Désautels, une des dernières raisons d’écouter la Première chaîne de Radio-Canada, cède à ce travers, ça augure mal.)

Toujours le 18, sur le site du Réseau des sports : «Max Pacioretty quitte en ambulance.»

Le 28 janvier, rebelote dans la Presse : «Federer quitte avec son petit bonheur» (cahier Sports, p. 5).

Par Twitter, @iericksen signale à l’Oreille que ses voisins de palier à l’Université de Montréal font comme tout le monde :

Affichette, Université de Montréal, 2011

Néanmoins, et malgré tout : con-con-continuons le com-bat !

Un monde sans frontières ?

À la radio de Radio-Canada, le 10 janvier, un expert expliquait que la nouvelle majorité républicaine aux États-Unis souhaitait favoriser l’indépendance énergétique du pays. Comment ? En construisant un pipeline pour transporter le pétrole de l’Alberta jusqu’au Texas. Le Canada ferait donc partie des États-Unis ?

Mère pressée

Découverte, dans l’émission du 16 janvier 2011 du Masque et la plume, dans la bouche d’Olivia de Lamberterie, d’une nouvelle apocope : «congé mat», pour «congé de maternité». Voilà une mère qui n’a pas de temps à perdre.

P.-S. — Profitons de l’occasion pour inaugurer une nouvelle catégorie, là, à droite, en bas, si si : «Apocop’».

Miscellanées de fin d’année

Beau cas (volontaire) d’«alternance codique» (code-switching) sous la plume de l’ami Sylvain Cormier dans le Devoir du 22 décembre 2010, s’agissant d’Emmanuelle Seigner : «Comment un disque aussi bath a pu donner lieu à un spectacle aussi poche, je me le demande encore» (p. B8). Le passage du bath au poche ravit l’Oreille tendue.

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C’est la saison qui veut ça : le médecin est de plus en plus fréquemment appelé à faire un «acte vaccinal». L’invité qui utilisait cette expression sur les ondes de la radio de Radio-Canada le 20 décembre croyait peut-être que le mot vaccin n’était pas assez noble pour être utilisé en ondes.

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Le titre suivant peut bien sûr s’expliquer : «La croissance démographique américaine est en baisse» (le Devoir, 22 décembre 2010, p. B5). Il n’en reste pas moins qu’une «croissance […] en baisse», ça étonne.

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S’agissant d’un nouveau restaurant montréalais : «La déco rétro-saxonne, elle, rappelle le Sparrow ou encore le Liverpool House, dans le quartier Saint-Henri» (la Presse, 9 décembre 2010, cahier Affaires, p. 10). «Rétro-saxonne» ?

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On connaissait déjà écoresponsable. Voici maintenant francoresponsable. Cela se trouve dans le quotidien le Soleil du 19 décembre : «L’Hôtel Château Laurier mise désormais sur le français pour se distinguer auprès de la clientèle touristique, même celle anglophone.» Dans la Vieille Capitale, parler français est désormais un signe de distinction.

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Le site FailQc comporte une rubrique «Traduction boboche», où l’on récolte des aberrations de traduction, souvent involontairement comiques. On y fait des découvertes stupéfiantes, ici par exemple.

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Le sous-marin québecquois de l’Oreille tendue attire son attention sur un aspect d’une campagne publicitaire déjà abordée au début décembre, mais qu’elle n’avait pas commenté alors. Elle avait indiqué combien lui paraissait typographiquement dangereuse l’adresse 0droguepourmoi.ca. Pour comprendre la syntaxe de la phrase qui se trouve sous cette adresse — «Renseigne-toi sur les effets de la drogue et comment tu peux dire non» —, il faut connaître la version anglaise — «Find out the effects of drugs and how you can say no». Ce zeugme syntaxique est peut-être moins spectaculaire que ce que l’on trouve chez FailQc, mais il est nettement plus pernicieux. Voilà un beau cas de ce que Gaston Miron appelait, notamment dans le Voyage en Mironie de Jean Royer, le «traduitdu» :

On naît dans cet état linguistique et l’on s’imagine que c’est ça, la langue, jusqu’au moment où l’on s’aperçoit que sa langue est faussée par la traduction, que sa langue est dominée par une autre qu’elle traduit. Ce que j’ai appelé «le traduitdu», le charabia ou «le traduitdu» (p. 112).

 

Référence

Royer, Jean, Voyage en Mironie. Une vie littéraire avec Gaston Miron, Montréal, Fides, 2004, 282 p.

Préjugé ordinaire

Le 16 décembre, dans le cadre de l’émission radiophonique Désautels de la Première chaîne de Radio-Canada, Michel Labrecque interviewait Gabriel Bran-Lopez de Fusion jeunesse, un organisme qui lutte contre le décrochage scolaire (ce fléau).

Fusion jeunesse recrute des étudiants pour des stages rémunérés dans des écoles secondaires du Québec. Interrogation de l’animateur : y a-t-il des volontaires ? Après tout, «un étudiant universitaire, des fois, déjà sa coupe est pleine, surtout s’il est en science, ou dans les domaines où il y a beaucoup d’étude à faire».

Information utile : à l’université, même les étudiants en lettres, en sciences humaines et en sciences sociales travaillent, autant que les autres. Ils ne passent pas leur temps, coiffés d’un béret, à réinventer le monde en fumant des Gitanes et en buvant du mauvais vin.