«Se vouloir», encore

L’Oreille tendue a des relations difficultueuses avec le verbe réfléchi se vouloir. Elle en parlait déjà, il y a jadis naguère, ici.

Quand elle lit, dans le Devoir des 22-23 septembre, en titre, page C7, «Le Sporting KC se voudra une difficile commande pour l’Impact», elle se dit que ces relations ne vont pas s’améliorer.

De Stockholm à Montréal

L’Oreille le disait hier : la fin de semaine dernière, la Ligue nationale de hockey a mis ses joueurs en lock-out.

Certains ont déjà accusé les uns (les propriétaires) ou les autres (les joueurs), voire les deux, de «prendre en otage» les partisans.

Cela pose un problème.

Habituellement, quand on les prend, les otages ne sont pas sympathiques à ceux qui les prennent. S’il leur arrive de le devenir, on parle du syndrome de Stockholm. Celui-ci, selon Wikipédia, «désigne la propension des otages partageant longtemps la vie de leurs geôliers à développer une empathie, voire une sympathie, ou une contagion émotionnelle avec ces derniers».

Au hockey, la situation est bien différente : en temps normal, les otages (les partisans) partagent, en quelque sorte, «la vie de leurs geôliers» (joueurs et propriétaires) et, souvent, sympathisent avec eux. Ils ne les privent de leur empathie et de leur émotion qu’au moment des conflits de travail.

Pour résumer : d’une part, des personnes qui ne sont pas sympathiques à leurs kidnappeurs, mais qui, une fois enlevées, le deviennent et le restent; de l’autre, des personnes sympathiques à leurs ravisseurs, qui s’en éloignent pendant la «prise d’otage», pour s’en rapprocher une fois le conflit terminé (si le passé est garant de l’avenir).

Comment appeler cette étrange attitude ? Le syndrome de l’aréna ? Le syndrome de Montréal ?

Langue de lock-out

La Ligue nationale de hockey a mis ses joueurs en lock-out. Comment dire les conséquences de cela ?

Il y a le registre biblique : «Avec le lock-out vient l’exode» (Métro, 17 septembre 2012, p. 1).

Un partisan, interrogé dans un vox-pop, préférait la culture grecque : «Tragique. Ouin. Tragique » (merci à @OursAvecNous).

En matière littéraire, on peut faire appel à George Orwell : «Le lock-out de Big Brother

L’Oreille tendue ne sait pas si René Homier-Roy est fin psychologue, mais, le 17 septembre, à son émission radiophonique, C’est bien meilleur le matin, l’animateur disait du lock-out qu’il était un «psychodrame».

Il était prévisible qu’apparaissent de mauvais jeux de mots propres au sport concerné. La Presse : «La saison sur la glace» (17 septembre 2012, cahier Sports, p. 1).

Le lock-out pourrait pourtant avoir du bon : «Sans lock-out, le renvoi de Louis Leblanc à Hamilton aurait été la source d’une guerre civile autour du Centre Bell et dans les tribunes téléphoniques» (la Presse, 18 septembre 2012, cahier Sports, p. 3). Heureusement, on aura évité cette «guerre civile».

On pourrait donc «Survivre au lock-out de la LNH» (la Presse, 19 septembre, cahier Arts, p. 1).

Le lock-out a six jours. La saison ne devait commencer qu’au début octobre. Ça sera long longtemps.

P.-S. — Une chose est sûre : comme le faisait remarquer @PimpetteDunoyer sur Twitter, si le conflit dure quelques jours, ce sera une «saga».

Festival (orange)

On le sait : rien de tel que les festivals pour rassembler les Québécois. Il y en a de toutes sortes dans la Belle Province, à l’année longue.

La chose est tellement populaire que le mot qui la désigne a migré de ses usages circonscrits (le Festival du cochon de Sainte-Perpétue, par exemple) vers un emploi plus extensif. Deux exemples.

Au football (le canadien ou l’américain, pas le soccer), quand l’arbitre jette (trop) souvent son mouchoir (orange) — c’est le signe qu’une infraction a été commise —, on parle, du moins dans l’environnement sportif de l’aîné de l’Oreille tendue, de «festival du mouchoir».

À la radio de Radio-Canada, le 18 septembre, une mairesse d’arrondissement montréalais(e) se plaignait de la difficulté de circuler à Montréal. Ce serait la faute au «festival des cônes orange».

Des festivals ? Il y en a pour tous les goûts.

Restauration italienne + cônes orange = corruption ?

Une langue morte ?

Jean-François Cottier, Profession latiniste, 2008, couverture

Le 16 septembre, à l’émission Dessine-moi un dimanche de la radio de Radio-Canada, à laquelle l’Oreille collabore à l’occasion, on a pu entendre parler d’arguments ad populum et d’arguments ad misericordiam. Plus tôt cette année, il y avait été question de reductio ad Hitlerum et de reductio ad Prattum.

Le docteur Duguay du roman Arvida de Samuel Archibald «aimait saupoudrer du latin un peu partout dans ses phrases», par exemple felis concolor couguar (2011, p. 57). Six des chants poétiques de Toute l’œuvre incomplète de François Hébert comportent des mots dans cette langue : «C’est du latin, ici point incongru» (2010, p. 142).

Nulla dies sine linea, affirme un personnage de Vie et mort d’Anne-Sophie Bonenfant de François Blais (2009, p. 237). Dans Tiroir no 24 de Michael Delisle, c’est Ave Maria gratia plena qui remonte du passé (2010, p. 21). Hope, dans Tarmac de Nicolas Dickner, souffre d’amenorrhoea mysteriosa, «une “inexplicable absence de menstruation”» (2009, p. 98). Un personnage du Ciel de Bay City de Catherine Mavrikakis hurle, «en polonais et en latin, une variante de vade retro Satanas» (2008, p. 77).

L’Oreille tendue elle-même ne dédaigne pas, à l’occasion, de montrer son intérêt pour les langues anciennes. Aux Presses de l’Université de Montréal, elle a fondé une collection appelée «Socius» et elle a publié, de Jean-François Cottier, un petit ouvrage intitulé Profession latiniste. Il lui est aussi arrivé, à Dessine-moi un dimanche, de s’emmêler les pinceaux en essayant de montrer sa connaissance de certaines phrases usuelles dans la langue de Cicéron.

Dans la langue de tous les jours, du moins au Québec, la popularité de versus ne se dément pas.

Pourquoi aborder cette question aujourd’hui ? Parce que le Devoir des 15-16 septembre faisait paraître un cahier spécial «Éducation. Écoles privées». Publicité de l’Académie Sainte-Thérèse : «L’éducation totale. Quo non ascendet» (p. G3). Publicité du Collège de Montréal : «Programme de concentration artistique artis magia» (p. G10).

Qui a dit que le latin était une langue morte ?

P.-S. — À une époque, il y avait même du latin aux murs du vestiaire des Canadiens de Montréal (c’est du hockey). Ça ne paraît plus être le cas.

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Cottier, Jean-François, Profession latiniste, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Profession», 2008, 66 p. Ill.

Delisle, Michael, Tiroir no 24, Montréal, Boréal, 2010, 126 p.

Dickner, Nicolas, Tarmac, Québec, Alto, 2009, 271 p. Ill.

Hébert, François, Toute l’œuvre incomplète, Montréal, l’Hexagone, coll. «Écritures», 2010, 154 p.

Mavrikakis, Catherine, le Ciel de Bay City, Montréal, Héliotrope, 2008, 291 p.