Autopromotion 016

C’est la cata : les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — viennent d’engager un entraîneur unilingue anglophone. L’Oreille tendue causera de cette nouvelle manifestation des liens entre culture et sport ce matin, à la télévision, à RDI matin, sur les ondes de RDI, entre 8 h 30 et 8 h 45.

En première place

Il est bon, périodiquement, de (se) rappeler que le Québec sait exceller.

Il regorge de capitales. La plus récente ?

«Québec, capitale des buveurs réguliers» (la Presse, 15 décembre 2011, cahier Affaires, p. A16).

Si le Québec est un leader, c’est qu’il s’impose à l’international.

«Pétrole. Gisement de classe mondiale à Anticosti» (le Devoir, 15 décembre 2011, p. A1 et A8).

«Cyclotourisme. Un circuit de calibre international au Québec» (la Presse, 17 août 2011, p. A7).

«Montréal est reconnu comme un leader mondial dans la normalisation logicielle» (le Devoir, 22-23 octobre 2011, p. H4).

«Transport vert. Hamad veut faire du Québec un leader mondial» (la Presse, 10 juin 2011, p. A6).

«Québec veut une filière “de classe mondiale”» (la Presse, 8 avril 2011, p. A9).

«Le Québec, champion mondial de l’union libre» (le Devoir, 13 septembre 2007, p. A1).

Que demander de plus ? Qu’il y ait moins d’analphabètes ? Il ne faut pas exagérer.

Est-ce bien nécessaire ?

Parmi les jurons québécois, il en est de forts et il en est de faibles. Dans la première catégorie, on place aujourd’hui — même si leur statut a varié dans le temps — tabarnak ou crisse. Dans la seconde, on peut penser à maudit.

Soit les quatre exemples suivants, tirés de chansons portant à des degrés divers sur le hockey, dans différents emplois grammaticaux.

«Parce que not’seule révolution
C’était celle de Maurice Richard au Forum
Dins’années cinquante
En ce temps-là j’te dis mon chum
Qu’on chantait maudit faut qu’ça change» (Claude Gauthier, 1976).

«J’aguis l’hivere
Maudit hivere
Les dents serrées, les mains gercées, les batteries à terre
J’aguis l’hiver
Maudit hivere
Chez nous l’hiver, c’comme le hockey
Y a des finales jusqu’au mois d’mai» (Dominique Michel, 1979).

«Ça pas d’maudit bon sens
Avec les femmes faudrait pouvoir scorer
Comme on score au hockey» (Robert Charlebois, 1981).

«Ma mère faisait cuire du jambon
Maudit qu’le hockey sentait bon
Quand y avait un but
[Choriste : Y avait un but]
On criait comme des perdus» (Christine Corneau, 1988).

On aurait pu croire que, contrairement aux jurons plus osés, un juron aussi insipide que celui-là aurait pu se passer de formes édulcorées; il n’en est rien.

Comme l’avait noté François Bon en 2009, mautadine existe : «De Renée-Claude Brazeau : Mautadine qu’elle donne envie d’écrire “pouet pouet” partout» (p. 5).

On voit aussi mautadit, comme sur cette photo prise à Montréal le 10 décembre 2011 :

«En mautadit !», publicité, Montréal, 2011

Question grave : est-il bien nécessaire d’euphémiser maudit ?

 

Références

Bon, François, Une Amérique lentement dessinée à la main, texte pour le cours de création littéraire FRA 1710B de l’Université de Montral le 18 novembre 2009, à partir de la Sentimenthèque de Patrick Chamoiseau, 2009, 38 p.

Charlebois, Robert, «Moi Tarzan, toi Jane», dans Heureux en amour ?, 1981, disque étiquette Conception.

Corneau, Christine, «La soirée du hockey», dans En personne, 1988, disque audionumérique, 1988, étiquette Analekta, SNP-9801 Sonophile.

Gauthier, Claude, «La valse à mon oncle», dans les Beaux Instants. Live à l’Outremont, 1976, disque 33 tours, étiquette PE 7500 Presqu’île; réédition, 1993, disque audionumérique, étiquette Transit, Interdisc distribution TRCD-9104 Transit.

Michel, Dominique, «Hiver maudit : j’hais l’hiver», 1979, disque 45 tours, étiquette ENG 4201 Disques Énergie; repris dans 28 Chansons souvenirs, 2006, disque audionumérique, étiquette Disques Mérite.

BDHQ : prolégomènes

Le hockey (H) occupe une place considérable dans la vie et la culture du Québec (Q). Les créateurs de bande dessinée (BD), locaux ou pas, s’y sont évidemment intéressés.

On a tôt mis en cases la vie de Maurice Richard, le mythe hockeyistique québécois par excellence, celui que l’on a parfois comparé à Superman. Dès 1950, aux États-Unis, le Babe Ruth Sports Comics raconte «Maurice “The Rocket” Richard. Hockey’s Battling Terror». Deux ans plus tard, toujours au sud du 49e parallèle, Bill Stern fait figurer «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard» parmi ses World’s Greatest True Sports Stories. Cette série de six planches a la particularité de montrer Richard en train de façonner mécaniquement un de ses outils de travail, son bâton.

Bill Stern, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», 1952

À la même époque, mais au Québec, Albert Chartier fait allusion à Richard dans sa série Onésime. Les aventures d’un Québécois typique, publiée dans le Bulletin des agriculteurs de 1943 à 2002. En avril 1950 et en mars 1956, Onésime le voit jouer au Forum de Montréal. Quatre mois plus tard, sa chaloupe (en panne) s’appelle «Rocket». (Il existe une version anglaise de la planche de mars 1956; elle a été reproduite en 2003 dans la revue Drawn & Quarterly, p. 127.)

Maurice Richard dessiné par Albert Chartier, mars 1956

Les albums publiés par la suite, délaissant le portrait, privilégient l’humour ou la violence, voire un mélange des deux, plus rarement l’aventure.

Arsène et (Jean-Pierre) Girerd, dans une série qui s’arrêtera au… premier numéro, choisissent le comique dans les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley (1975). On s’y tape beaucoup sur la gueule, tout en rigolant. Il y est surtout question de l’équipe des Canadiens de Montréal du début des années 1970, mais la figure de Maurice Richard est évoquée à quelques reprises. C’est le rôle notamment d’un vieux monsieur en fauteuil roulant qui, par trois fois (p. 7, p. 12, p. 34), rappelle qu’il était au Forum de Montréal le soir du 17 mars 1955, quand a éclaté ce qu’on appelle maintenant «l’émeute Maurice Richard».

Arsène et (Jean-Pierre) Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, 1975

Il y a quelques semaines, Marc Beaudet et Luc Boily ont fait paraître Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus. Eux aussi font dans l’humour, ou ce qui devrait en tenir lieu : plaisanteries scatologiques, moqueries ethniques (le méchant de service se fait passer pour Italien), lourdes allusions à l’actualité (le premier ministre du Québec, Jean Charest, est représenté en chauffeur de mafieux, «les deux mains sur le volant» [p. 9]).

Beaudet et Boily multiplient les clins d’œil à l’histoire du hockey, en rappelant soit des événements (la série Canada-Russie de 1972, p. 19), soit des noms de personnalités, célèbres ou pas, associées à ce sport (Patrick Roy, Ken Dryden, P.K. Subban, Dave Morrissette, Ralph Backstrom, les frères Stastny, Kerry Fraser, René Lecavalier). Eux aussi, ils évoquent Maurice Richard. L’illustration de la page 49 — deux joueurs se sautent dans les bras l’un de l’autre, leurs bâtons formant le V de la victoire — est une reprise d’une photo de Roger Saint-Jean. Le 16 avril 1953, au Forum, les Canadiens remportent 1 à 0 leur match contre les Bruins de Boston, et avec lui la coupe Stanley. Elmer Lach marque le but gagnant tôt au cours de la première période de prolongation, sur une passe de Richard. Roger Saint-Jean rate le but, mais sa photo de Lach et Richard s’envolant pour s’étreindre et se féliciter deviendra célèbre. Quand le quotidien le Devoir choisit huit photos «connues par la grande majorité des Québécois» et consacre à chacune un article dans sa série «Une photo en mille mots», la première retenue, les 25-26 septembre 1999, est celle de Saint-Jean (p. A1 et A14). Le 30 mai 2000 (p. A1 et A8), trois jours après la mort de Richard, le journal reproduit la même photo et le même article. (Pour la petite histoire, on rappellera que Richard avait cassé le nez de Lach en lui sautant dans les bras.)

En 1996, avec Rondel et Baton à la conquête du Saladier d’argent, un pastiche d’Astérix, André Pijet et Michel Blanchard voulaient faire rire et lancer une collection. L’échec est double.

La série «Les Canayens de Monroyal», de Achdé, avec ou sans Lapointe, en est à deux titres (2009, 2010). On y trouve nombre d’expressions de la langue populaire québécoise : agace-pissettes, sacrer son camp, quioutes. On devrait rire à la lecture des albums; cela demande de considérables efforts.

Certains, dans le récent collectif le Démon du hockey (2011), mêlent comique et violence : Richard Suicide et Denis Lord, «Gump Worsley était un plat régional patagonien» (p. 18-24); Hicham Absa, «Maudite rondelle» (p. 26-32); Philippe Girard, «Le joueur étoile» (p. 42-48). D’autres versent dans le souvenir d’enfance. Si «La classique hivernale» de Mathieu Lampron (p. 2-8) et «Le démon blond» de Claude Auchu (p. 10-16) se terminent sur une note positive, c’est moins clair pour «Devenir grand» de Zviane et Luc Bossé (p. 34-40). S’agit-il, comme si souvent dans l’actualité récente, d’un cas de pédophilie ?

Le meilleur exemple d’album exacerbant la violence du hockey est la Foire aux immortels d’Enki Bilal (1980). En 2023, à Paris, dans un monde délabré après deux guerres nucléaires et dominé par un gouvernement fasciste, un match de hockey oppose les Flèches noires de Paris aux Boulets rouges de Bratislava (p. 33-44). C’est cette dernière équipe, composée de «Tchescosoviets» (p. 41, p. 42, p. 54), qui va gagner le match. Il est vrai qu’elle compte en ses rangs un cyborg, Alcide Nikopol, dont le corps est occupé par un dieu égyptien, Horus d’Hierakonopolis. Le hockey est violent, le match, un «combat» (p. 36, p. 39). Des joueurs meurent; on indique leur nombre au tableau. L’hémoglobine coule à flots.

Enki Bilal, la Foire aux immortels, 1980

Si l’humour et la violence sont partout dans le hockey saisi par la bande dessinée, le registre de l’aventure est peu exploité. Dans Palet dégueulasse (2004), les Caribous de Montréal jouent au Forum-Pepsi-Diète, où ils gagnent la finale de la coupe Stanley / Stanlee (il y a les deux graphies) contre les Queens de San Francisco. Malgré le titre qu’ils ont retenu, Michel Dolbec et Leif Tande font peu de place au hockey, qui ne sert que d’arrière-fond aux aventures du Poulpe.

Ce n’est pas le cas de Match-poursuite de Duchateau et Denayer : dans cette histoire d’immigration clandestine, la rivalité entre les Canadiens de Montréal et les Nordiques de Québec est centrale. La résolution de l’intrigue se fera sur la glace du Forum de Montréal, quand la surfaceuse (la Zamboni) entrera en collision avec une semi-remorque affectueusement surnommée «Big Mamma II». Par ailleurs, les auteurs n’ont pas été insensibles aux jurons québécois : tabarnak, cibouère. On leur en saura gré.

La BDHQ compte donc plusieurs titres, dont certains plus intéressants que d’autres (Chartier, Zviane et Luc Bossé, Bilal, Duchateau et Denayer), mais rien encore qui emporterait l’adhésion comme, dans des registres proches mais différents, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey de Marc Robitaille (1987) ou le Match des étoiles de François Gravel (1996). On attend encore la bande dessinée sur le hockey qui n’aura recours ni à l’humour ni à la violence les plus prévisibles.

P.-S. — L’Oreille tendue n’a pas encore mis la main sur une publication récente, la Patinoire en folie (2011), de Pierre Huet; ça ne saurait tarder. De même, elle connaît l’existence d’une bande dessinée de Walt McDayter (?) et Norman Drew, «Les géants. Maurice Richard. La légende du Rocket», mais elle ne l’a jamais vue. Enfin, elle est bien sûr intéressée par tout titre qui lui aurait échappé; elle ne doute pas qu’il y en ait.

 

[Complément du 2 juin 2016]

L’Oreille tendue vient de publier un article sur ce sujet :

Melançon, Benoît, «BDHQ : bande dessinée et hockey au Québec», dans Benoît Melançon et Michel Porret (édit.), Pucks en stock. Bande dessinée et sport, Chêne-Bourg (Suisse), Georg, coll. «L’Équinoxe. Collection de sciences humaines», 2016, p. 101-117. https://doi.org/1866/28749

 

Références

Achdé & Lapointe, les Canayens de Monroyal. Saison 1. La ligue des joueurs extraordinaires, Boomerang éditeur jeunesse, 2009, 46 p. Couleur : Mel.

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 2. Hockey corral, Boomerang éditeur jeunesse, 2010, 46 p. Couleur : Mel.

«Albert Chartier. A Retrospective on the Life and Work of a Pioneer Quebecois Cartoonist», Drawn & Quarterly, 5, 2003, p. 116-191. Traduction de Helge Dascher. Calligraphie de Dirk Rehm.

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p.

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p.

Bilal, Enki, la Foire aux immortels, Paris, Dargaud, 1980, 64 p. Rééditions : Genève, Humanoïdes associés, 1990, 68 p.; Casterman, 2005, 64 p.; dans la Trilogie Nikopol, Genève, Les Humanoïdes associés, 2002, 175 p.

Chartier, Albert, Onésime. Les aventures d’un Québécois typique, Montréal, L’Aurore, coll. «Les p’tits comiks», 1, 1974, [s.p.] Ill. Présentation de l’auteur.

Collectif, le Démon du hockey, Montréal, Glénat Québec, 2011, 48 p.

Desrosiers, Éric, «Une malchance transformée en bénédiction», Le Devoir, 25-26 septembre 1999, p. A1 et A14. Repris dans le Devoir, 30 mai 2000, p. A1 et A8.

Dolbec, Michel et Leif Tande, le Poulpe. Palet dégueulasse, Montpellier, 6 pieds sous terre Éditions, coll. «Céphalopode», 12, 2004, 89 p.

Duchateau, André-Paul et Christian Denayer, les Casseurs. Match-poursuite. Une histoire du journal Tintin, Bruxelles et Paris, Éditions du Lombard, coll. «Les casseurs», 15, 1988, 48 p. Repris dans Denayer & Duchateau, les Casseurs. L’intégrale, Bruxelles, Le Lombard, 2010, vol. 5. Parution initiale dans le Journal de Tintin en 1988.

Gravel, François, le Match des étoiles, Montréal, Québec/Amérique jeunesse, coll. «Gulliver», 66, 1996, 93 p. Préface de Maurice Richard.

Huet, Pierre, la Patinoire en folie, Montréal, Les 400 coups, coll. «Strips», 2011, 62 p. Avec la participation de Patrick Moerell.

«Maurice “The Rocket” Richard. Hockey’s Battling Terror», dans Babe Ruth Sports Comics, 1, 6, février 1950, [s.p.]. Reproduite par Paul Langan dans Classic Hockey Stories. From the Golden Era of Pulp Magazines, 1930s-1950s (Chez l’Auteur, 2021, p. 219-221).

Pijet, André et Michel Blanchard, Rondel et Baton à la conquête du Saladier d’argent, Terrebonne, Éditions Mille-Îles Ltée, coll. «Les Cantons», 1996, 46 p.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142 p. Ill. Nouvelle édition : Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Stern, Bill, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», dans World’s Greatest True Sports Stories. Bill Stern’s Sports Book, hiver 1952, [s.p].

Non, ce n’est pas douteux

Soit les définitions suivantes de l’adjectif douteux : «Dont l’existence ou la réalisation n’est pas certaine»; «Dont la nature n’est pas certaine; sur quoi on s’interroge»; «Qui n’a pas ou ne semble pas avoir les qualités qu’on en attend; dont la qualité est mise en cause» (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

L’Oreille s’étonne toujours de l’entendre ou de le lire chez les commentateurs sportifs : «Sauf que le Canadien perdait 3 à 1, et que sur les trois buts accordés par Théodore, deux étaient douteux» (la Presse, 20 février 2001). Les buts ont été marqués ou pas ?

Son étonnement est semblable devant tel fait divers : «Un incendie douteux fait une victime» (la Presse, 14 août 2002). Il y a eu incendie ou pas ?

Le Devoir du 1er décembre dernier était plus troublant encore : «Décès douteux», sous-titrait-il (p. B5). Il y avait un mort ou pas ?

Rien de tout cela ne paraît douteux à l’Oreille, mais peut-être est-elle dure d’oreille.