Accouplements 60

Pierre Peuchmaurd, Fatigues, 2014, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

«ÎLE est un pronom personnel transgenre. Pour le ou la naufragé(e), la solitude sera moins cruelle», dixit Éric Chevillard (p. 57).

«Le mot le plus androgyne : ÎLE», dixit Pierre Peuchmaurd (p. 36).

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté le Désordre azerty le 28 mars 2015.

 

Références

Chevillard, Éric, le Désordre azerty, Paris, Éditions de Minuit, 2014, 201 p.

Peuchmaurd, Pierre, Fatigues. Aphorismes complets, Montréal, L’Oie de Cravan, 2014, 221 p. Avec quatre dessins de Jean Terrossian.

Histoire(s) d’accent(s)

Éric Dupont, la Fiancée américaine, 2015, couverture

Les Québécois sont très sensibles aux accents. On leur a tellement répété qu’ils en avaient un qu’ils ont parfois le réflexe de croire qu’il est possible de parler sans en avoir.

Dans la Fiancée américaine, le roman d’Éric Dupont paru en 2012, on en entend des masses. Il est vrai que le romancier est très sensible aux questions de langue (français, anglais, allemand, italien).

(Toutes les citations sont à l’édition de poche de 2015.)

L’appréciation de l’accent est affaire toute subjective.

Parfois, c’est positif. Louis Le Cheval Lamontagne trouve l’«accent américain» de Floria et Beth Ironstone «non dépourvu de charme» (p. 104). Aux États-Unis, si vous étiez un homme fort au début du XXe siècle, «un accent slave suffisait à vous faire engager dans une troupe foraine» (p. 111); cet accent «libérait […] un parfum exotique enivrant dont raffolait le public américain» (p. 116). Une professeure d’anglais, Caroline, venue de la Saskatchewan, a un «accent de champ de blé» (p. 369). Stella Thanatopoulos, elle, «avait un accent très sexy, quelque part entre l’anglais et l’italien» (p. 401); sa mère a celui de Melina Mercouri (p. 416).

Une restauratrice new-yorkaise, Donatella Donatello, aime l’accent de Solange Bérubé et Madeleine Lamontagne, deux Québécoises débarquées par hasard au Tosca’s Diner (p. 309). Quel est cet accent «étranger», venu de Rivière-du-Loup ? «De leur patelin aux lumières maritimes, les filles gardèrent leurs accents aux voyelles écourtées, leurs r bien grattés dans le fond de la gorge […]» (p. 348). Il séduit plusieurs téléspectateurs quand on l’entend à la télévision : «Dans les chaumières du Canada français, l’accent de Madeleine fut reçu comme le chant d’un ange» (p. 356).

Parfois, non : on n’apprécie pas. Un des fils de Madeleine, Michel, dès qu’il se met à parler, adopte «l’accent de l’Île-de-France», au grand déplaisir de Solange : «Mon Dieu, tout, mais pas ça, pas l’accent chiançais… […]» (p. 360; voir aussi p. 601). Son frère, Gabriel, trouve que leur mère a un accent «de plouc» (p. 594), et Solange «un accent de bûcheronne» (p. 595). Hitler aurait eu un «ridicule accent autrichien» (p. 569). Croire entendre, dans la bouche de touristes américains, «le hululement d’une chouette croisé avec le caquètement d’un canard» ne ravit personne (p. 605).

Comment qualifier l’accent ? Il peut être «fort» (p. 321), «assez fort» (p. 530) ou «très fort» (p. 762), «difficile à comprendre» (p. 322) ou «à déchiffrer» (p. 436), «charmant» (p. 473, p. 795) ou «nasillard» (p. 789), voire «particulièrement épais» (p. 824). Si l’on a des ascendants hexagonaux, on parle, évidemment, «pointu» (p. 351, p. 815, p. 871).

Il arrive que l’accent entrave les échanges. Certains trouvent l’«accent canadien» de Louis Lamontagne «souvent mystifiant» (p. 110). Pour d’autres, c’est l’«accent de la Bavière profonde» (p. 709).

Une chose est sûre : l’accent, c’est la langue incarnée. Il n’est jamais neutre d’en changer :

En entendant les enfants parler avec leur accent prussien, je me suis presque mise à pleurer. Comment vous dire ? Imaginez-vous, Kapriel [Gabriel], qu’on a fait un clone de vous à l’âge de six ans, qu’on l’a congelé et qu’on vous le présente quatorze ans plus tard par surprise. C’est l’effet que la chose me faisait. Les enfants parlaient comme je parlais avant de quitter la Prusse orientale, avec le même accent, celui d’avant Berlin, celui-là même que j’avais entendu à la gare à mon arrivée. Ces enfants, je me suis dit, ils étaient moi (p. 660-661).

Voilà ce qui arrive quand on entend l’accent «de chez nous» (p. 833).

 

Référence

Dupont, Éric, la Fiancée américaine. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2015, 877 p. Édition originale : 2012.

Accouplements 59

Pierre Peuchmaurd, Fatigues, 2014, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Chez Jean-Bernard Pouy : «Je sortis de la Marquise à 5 heures» (p. 13, incipit).

Chez Pierre Peuchmaurd : «Il sortit de la marquise à cinq heures» (p. 36).

 

Références

Peuchmaurd, Pierre, Fatigues. Aphorismes complets, Montréal, L’Oie de Cravan, 2014, 221 p. Avec quatre dessins de Jean Terrossian.

Pouy, Jean-Bernard, Suzanne et les ringards, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 184, 2000, 178 p. Édition originale : 1985.

Ali et Richard, bis

Hier, il était question ici même des rapprochements possibles entre le boxeur Mohamed Ali (né Cassius Clay, 1942-2016) et le hockeyeur québécois Maurice Richard (1921-2000). Ci-dessous, un complément iconographique.

Le magazine américain Sport d’avril 1955 comporte une photo de Maurice Richard fort différente de celles qu’on voit habituellement. Une épaule le tirant vers le sol et l’autre vers le ciel, les yeux tournés vers ce ciel, son bâton le protégeant et pointant lui aussi vers le ciel, le visage couvert d’une légère couche de sueur, ce Richard-là a tout du saint Sébastien de Luca Giordano, le peintre baroque du XVIIe siècle. Entre le Richard de Sport et «Le martyre de saint Sébastien», on peut multiplier les points communs : la position des épaules est la même, le cou est en extension dans les deux cas, les yeux sont également à la limite de la révulsion, les deux corps se détachent d’un fond noir, là où l’un a une flèche au flanc, l’autre tient son bâton.

Maurice Richard et saint Sébastien

Treize ans plus, en avril 1968, Ali fait la une du magazine Esquire. Cette photo, prise par Carl Fischer (historique ici), sur une idée de George Lois (explication ), évoque également saint Sébastien, à un moment où Ali est interdit de boxer à cause de son refus de participer à la guerre du Viêt-Nam. Sous la photo, une légende : «The Passion of Muhammad Ali.» La photo est inspirée d’un tableau de Francesco Botticini, «Saint Sébastien», qui se trouve au Metropolitan Museum de New York.

Saint Sébastient et Mohamed Ali, collage

Sébastien aurait été un soldat de l’armée romaine et il aurait vécu à la fin du IIIe siècle; il aurait été transpercé de flèches sur les ordres de l’empereur Dioclétien parce qu’il était chrétien. Comme lui, (le bon catholique) Maurice Richard et (le musulman) Mohamed Ali auraient été des martyrs.

[Ce texte reprend une analyse publiée dans les Yeux de Maurice Richard (2006).]

 

Références

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Mon quotidien est urbain

La Presse+ du jour présente des «pêcheurs urbains», un passionné d’«apiculture urbaine» et une femme «jeune, branchée et urbaine». Le même quotidien évoque un «train urbain» et une «promenade urbaine». Il présente trois «plans d’escapade» : un «Plan aventure» (aux Bergeronnes), un «Plan gourmand» (à Magog) et un «Plan urbain» (à Québec). Il publie un dossier sur «Le réveil de Montréal».

Voilà du matériel pour le blogue Vivez la vie urbaine.

P.-S. — L’Oreille tendue n’a pas la prétention d’avoir tout repéré en matière d’urbanité journalistique du jour.