Onomastique estivale

Sauf erreur de l’Oreille tendue, ce devait être ici, au cours de l’entretien donné par Sébastien Fréchette, alias Biz, du groupe Loco Locass, à René Homier-Roy, dans le cadre de l’émission radiophonique la Bibliothèque de René, le 30 mai 2014.

L’animateur voulait savoir : pourquoi «Biz» ? Réponse de l’intéressé : au Québec, trois métiers supposent l’emploi d’un surnom, danseuse topless, moniteur de camp de jour et rappeur. Or Biz fait partie de la troisième catégorie.

L’Oreille prolongerait doublement cette fort pertinente remarque.

Ne faudrait-il pas ajouter à ces catégories socioprofessionnelles les motards criminels (pas criminalisés) ?

Le fils aîné de l’Oreille, à leur grand plaisir, est moniteur dans un camp de jour cet été. Malheureusement, du moins pour lui, on n’utilise pas de surnom dans ce camp. Padthaï, ce sera donc pour une autre fois.

Les joies du mariage

«On dit quoi à un francophone qui marie une anglo ?»
Yes Mccan, Dead Obies

Il y a de cela quelques décennies, l’Oreille tendue a étudié le latin. Un de ses professeurs aimait dire qu’un père pouvait marier sa fille, mais qu’il ne pouvait pas l’épouser.

Pourquoi cette précision ? Parce qu’au Québec il est courant d’entendre un verbe (marier : «Unir en célébrant le mariage», «Établir (qqn) dans l’état de mariage») pour l’autre (épouser : «Prendre pour époux, épouse; se marier avec»). Le Petit Robert note cet usage : «RÉGIONAL (Nord; Belgique, Canada) Épouser. Il l’a mariée contre l’avis de ses parents. “un jour vous allez vous établir, marier un bon gars avec une bonne terre” (J.-Y. Soucy)» (édition numérique de 2014).

Il est au moins un cas où l’usage régional a du bon. Prenons les phrases suivantes :

A man in a town married twenty women. There have been no divorces or annulments, and everyone in question is still alive and well. The man is not a bigamist, and he has broken no laws. How is this possible ? (tiré du magazine The New Yorker)

Comment les traduire ? L’ambiguïté vient de «married» (marier et épouser). Comment est-il possible de marier vingt femmes sans divorcer, sans voir de mariage annulé, sans créer aucune violence, sans être bigame et sans briser la loi ? Si on est un prêtre, ça ne pose pas de problème.

En effet, les prêtres marient. Qu’on le sache, ils n’épousent pas, du moins dans la religion catholique.

Ah ! Les jeunes !

Le discours commun le dit depuis au moins vingt-cinq siècles : «Le niveau baisse.» (C’est un peu plus compliqué que cela.) Les premiers coupables de cette constante dégénérescence seraient les jeunes (qui que soient «les jeunes»). Ce serait particulièrement le cas en matière d’écriture et de langue.

Dans la livraison du 5 avril 2014 de l’émission radiophonique Place de la toile, ci-devant diffusée sur France Culture, Élisabeth Schneider, qui a consacré une thèse à ce sujet, démonte ces idées reçues à partir d’une étude des «usages de l’écrit de lycéens» français. Elle aborde le numérique (SMS, Facebook), mais pas que.

En vrac (et en oubliant plein de choses passionnantes)…

«Les jeunes» n’ont jamais autant écrit.

«Les jeunes» ont une réflexion sur leurs modes d’écriture.

L’écriture numérique des «jeunes» influence — continuité, contamination — leur écriture papier.

L’écriture papier des «jeunes» influence — bis — leur écriture numérique.

«Les jeunes» pratiquent l’«écriture de soi».

«Les jeunes» font parfaitement la distinction entre la langue qu’ils utilisent dans les situations informelles entre eux et la langue exigée socialement, notamment par l’école. Cette remarque, fondée sur une étude du Centre national de la recherche scientifique qu’elle cite brièvement en fin d’émission (celle-ci peut-être ?), rejoint les conclusions de David Crystal (2008) et d’Anaïs Tatossian (2010).

À écouter ici.

P.-S. — «Les jeunes» se soumettent volontiers à l’«effet Cyrano» (écrire pour un autre). Rostand au goût du jour.

 

[Complément du 5 janvier 2015]

La Presse+ du 1er janvier 2015 présente les services d’«assistance à la séduction» de Guillaume Dumas du site Datective.ca : «“Tout le monde est pareil sur ces sites. Il faut savoir se démarquer. Comprendre ce qui fait rire les femmes, moi, je fais ça 40 heures par semaine, alors c’est sûr que j’ai un peu d’avance !”, poursuit cet “aspirant Cyrano” du web.»

Cyrano sur le Web

 

Références

Bernicot, J., A. Goumi, A. Bert-Erboul et O. Volckaert-Legrier, «How do Skilled and Less-Skilled Spellers Write Text Messages ? A Longitudinal Study», Journal of Computer Assisted Learning, 17 mars 2014. http://onlinelibrary.wiley.com/enhanced/doi/10.1111/jcal.12064/

Clément-Schneider, Élisabeth, «Économie scripturale des adolescents : enquête sur les usages de l’écrit de lycéens», Caen, Université de Caen, thèse de doctorat, octobre 2013, 503 p. http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00911228

Crystal, David, Txtng : The Gr8 Db8, Oxford, Oxford University Press, 2008, 256 p. Ill.

Tatossian, Anaïs, «Les procédés scripturaux des salons de clavardage (en français, en anglais et en espagnol) chez les adolescents et les adultes», Montréal, Université de Montréal, thèse de doctorat, novembre 2010, xxviii/214 p. https://doi.org/1866/6843

Tristesse de l’Oreille

L’ami @fbon, samedi dernier, est passé chez le poissonnier. L’Oreille tendue ne sait pas s’il en a rapporté du poisson, mais un tweet, ça, oui, elle en est sûre :

«de l’expression “il s’est rasé avec une biscotte” #poissonnier cadeau pour @benoitmelancon» (premier tweet).

Ne connaissant pas l’expression, l’Oreille a demandé une traduction.

Réponse :

«réponse sur ton profil !» (second tweet)

Dès lors, elle a craint le pire — et le pire s’est confirmé :

«L’expression se comprend aisément : mal rasé, avec des pousses de poils qui restent, mais aussi avec des rougeurs. Il y a en fait un transfert de métaphore : la peau des joues est comparée aussi à une biscotte rugueuse, la biscotte n’est pas simplement un mauvais rasoir» (le Petit Champignacien illustré, 29 juin 2006).

@fbon a donc à redire sur la barbe de l’Oreille. Cela l’attriste.

La crise (supposée) du «franglais» : post-scriptum

Jeudi dernier, l’Oreille tendue proposait huit commentaires (brefs) sur la crise (supposée) du «franglais». Ci-dessous, trois autres, en guise de post-scriptum.

9.

En matière de langue, les contextes — sociaux, politiques, culturels, économiques, démographiques, etc. — sont fondamentaux.

La langue de Lisa LeBlanc ou de Radio Radio n’est pas celle des Dead Obies. La situation linguistique des Acadiens n’est pas celle des Québécois.

Ce que pensaient Étienne Parent en 1830 et Hubert Aquin en 1962 risque de pas s’appliquer parfaitement à l’actualité de 2014. (Attention : euphémisme.) Sur son blogue, Mario Asselin a des propos justes sur ce type d’anachronisme dans l’argumentation de certains.

10.

Dans le débat des derniers jours, il a beaucoup été question de bilinguisme, en l’occurrence d’un seul type de bilinguisme (anglais / français). Or il se trouve que la situation linguistique québécoise, comme n’importe quelle autre situation linguistique, est faite du contact de plusieurs langues, pas uniquement de deux. Ainsi que l’a montré Rainier Grutman en 1997, c’était déjà vrai au Québec au XIXe siècle. Démographie oblige, ce l’est encore plus aujourd’hui, et tout particulièrement à Montréal. Pierre Nepveu, dans des textes de 2012 et de 2013, a souligné les enjeux, sociaux et esthétiques, de ces formes de colinguisme. La ville : lieu de toutes les langues et de leurs interactions.

11.

Les langues naissent et les langues meurent.

Il est théoriquement possible d’assister à la mort d’une langue, par exemple quand disparaît son dernier locuteur. (Ainsi que le faisait remarquer en 2013 Louis-Jean Calvet, il faut se méfier de cette métaphore de la mort des langues, mais faisons comme si.)

En revanche, la naissance d’une langue prend du temps. Les choses ne changent pas du jour au lendemain.

 

Références

Calvet, Louis-Jean, «Quelles langues parlera-t-on demain ?», dans François Gaudin (édit.), la Rumeur des mots, Rouen, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2013, p. 61-75.

Grutman, Rainier, Des langues qui résonnent. L’hétérolinguisme au XIXe siècle québécois, Montréal, Fides — CÉTUQ, coll. «Nouvelles études québécoises», 1997, 222 p.

Nepveu, Pierre, «Langue. Au-delà du français menacé», le Devoir, 22 septembre 2012.

Nepveu, Pierre, «Une apologie du risque», Liberté, 300, été 2013, p. 8-9. https://id.erudit.org/iderudit/69406ac