Affaire de registre

La Presse+, 6 janvier 2014

Soit la phrase suivante : «On ne chantera jamais assez les louanges de la grande patinoire internationale de hockey qui accroît la fluidité du jeu et en accélère le rythme, où l’on n’est pas sans cesse en train de se colletailler et d’avoir maille à partir dans les coins» (le Devoir, 17 février 2014, p. A1).

Qui, au Québec, se colletaille (verbe toujours réfléchi) est aux prises avec quelqu’un ou quelque chose. Selon toute vraisemblance, ce mot, attesté depuis le XIXe siècle, vient de se colleter.

En matière de préposition, se colletailler se construit avec avec, avec à («Après s’être colletaillées […] à une économie chancelante», écrivait la Presse+ le 6 janvier 2014) ou avec sur (le dictionnaire en ligne Usito donne l’exemple suivant : «Québec et Ottawa se colletaillent sur la réforme du Sénat», le Devoir, 2007).

Le verbe s’emploie itou absolument («l’on n’est pas sans cesse en train de se colletailler»).

Ou il ne s’emploie pas, du moins dans certains registres. Tout le monde n’a pas à se colletailler avec lui.

Esquisse de déchiffrement matinal

Martin Robitaille, les Déliaisons, 2008, couverture

Soit la phrase suivante, tirée du roman les Déliaisons (2008) de Martin Robitaille : «Ils ont tous l’air de vrais mongols à batterie, devant ce petit concierge qui leur met ça dans leur pipe» (p. 90).

Elle peut poser, à l’œil inexpérimenté, quelques problèmes. Indiquons-en trois.

Qu’est-ce qu’un mongol à batterie, voire un vrai mongol à batterie ? Ce mongol n’est pas un Mongol; il n’a rien à voir avec la Mongolie. En revanche, il a un rapport avec le mongolien (le trisomique) sans en être un. C’est un être bête, mais d’une bêtise particulière : il serait doté de batterie — on pourrait aussi écrire batteries —, bref de pile(s). Ce mongol aurait une puissance particulière.

Que veut dire mettre ça dans [sa] pipe ? Au Québec, qui dit à son interlocuteur de mettre ça dans sa pipe souhaite lui en boucher un coin.

Les deux expressions sont également populaires. On peut dès lors comprendre pourquoi la première est mise en italiques. Mais pourquoi la seconde ne l’est-elle pas ?

Tant de questions profondes, si peu de temps.

P.-S. — Mongol peut aussi être un adjectif. Voir, par exemple, Dixie (2013) de William S. Messier : «Le monde est mongol, le monde hurle toutes sortes d’affaires» (p. 20); «la conduite mongole de Rodrigue n’aide pas» (p. 90). Pas de batterie(s), toutefois, chez lui.

P.-P.-S. — Selon Léandre Bergeron (1981), mongole, nom et adjectif, prendrait toujours un e final (p. 122) : un mongole, une mongole, il est mongole, elle est mongole. Tous les goûts sont dans la nature.

 

[Complément du 16 juin 2015]

Un chroniqueur de la radio de Radio-Canada vient de remettre à la mode le mot mongol et il le regrette. Dimanche dernier (le 14 juin), Jean-Sébastien Girard a déclaré ce qui suit durant l’émission La soirée est encore jeune : «Donc c’est une très belle scène [du film Bach et Bottine, 1986] où on voit la ville de Québec, donc à cause de cette scène-là on a longtemps pensé que Québec était pas une ville de mongols.» Les habitants de la ville n’ont pas apprécié, ni son maire, Régis Labeaume, qui a répondu d’une formule : «mongol toi-même, tsé».

L’Oreille en profite pour ajouter deux occurrences du mot à sa collection.

L’une venue d’Internet : «Des passages de texte de chacune des histoires y sont présentés, accompagnés d’images et d’animations à saveur “mongole”» (Sympatico, janvier-février 2002).

L’autre, du roman Numéro six d’Hervé Bouchard (2014) : «Et les autres, je ne les connaissais pas, mais c’était facile de voir qu’ils étaient du même bois, je me voyais au milieu d’une belle bande de mongols, des perdants qui ne souffraient d’aucune maladie sinon celle d’être à l’envers du sport […]» (p. 94).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Bouchard, Hervé, Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 80, 2014, 170 p.

Messier, William S., Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p. Ill.

Robitaille, Martin, les Déliaisons. Roman, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2008, 240 p.

Langue de campagne (26)

Quatre déclarations électorales :

«C’est bien connu, la technologie est la locomotive de la nouvelle économie, mais le capital humain en est incontestablement la force motrice»;

le candidat et son parti «s’engagent à […] renouveler la gouvernance du développement économique de [X] pour catalyser les efforts de tous les intervenants et créer des synergies importantes»;

«Le bien-être des citoyens de [X] sera au centre de la démarche qui se voudra inclusive de toutes les composantes de la communauté»;

«La qualité de la gouvernance économique des villes-régions est un facteur clé de leur compétitivité. La capacité de la ville à orienter son développement stratégiquement, à travailler pro-activement pour concrétiser des opportunités économiques et à livrer des services de qualité compte parmi les compétences clés des villes agissantes.»

Est-ce tiré des textes de la campagne électorale actuelle ? Non : cela vient du programme électoral de l’équipe de Gérald Tremblay à la mairie de Montréal en 2001.

Plus ça change, moins c’est pas pareil, en quelque répétitive sorte.