S’asseoir, donc parler

L’Oreille tendue apprend qu’à la télévision il y aurait des émissions où des gens s’assoient et parlent. On les appellerait talk shows.

Certains voudraient traduire cette expression par émission-débat.

Au Québec, on voit plutôt show de chaises. Définition du Dictionnaire québécois instantané (2004) :

Émission télévisée durant laquelle des communicateurs interrogent un expert ou se mêlent au peuple. «Nous avons beau nous vanter de faire la “meilleure télévision au monde”, nous sommes génétiquement incapables de produire un show de paroles, d’idées et de chaises qui ait de l’allure» (la Presse, 30 janvier 2001). «On se croit fortiche, on ne juge pas utile de programmer le magnétoscope, pensant naïvement qu’on peut toujours veiller le vendredi soir et puis, paf ! en regardant un show de chaises, voilà que le poids des ans vous enfonce lourdement dans le divan» (le Devoir, 1er mai 2001).

Ce show de chaises est une variation sur le verbe québécois de la parole.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Bref lexique québécois de l’imbibition

Tout le monde le dit : quand il fait chaud, il faut beaucoup boire.

Il peut toutefois arriver que l’on boive trop. Au Québec, cela se dit de plusieurs façons, au-delà des expressions du français hexagonal (bourré, paf, pompette, soûl, etc.).

Le buveur qui a cédé à l’excès peut y être en boisson (l’expression paraît ancienne), rond comme une bine (cette bine n’est pas la bine), paqueté (pas comme un club), parti, chaud. Il prend une brosse.

Un degré de moins et il est chaudasse ou gorlot (autre orthographe possible : gueurlot). Gorlot, il aura la gueule de bois.

Un degré de plus et celui qui prend un coup aura arrêté de lire ce texte avant d’être arrivé à la fin.

 

[Complément du 19 août 2013]

Un article du Devoir sur le dictionnaire en ligne Usito (10-11 août 2013, p. B2) rappelle l’existence de l’expression se paqueter la fraise. Dont acte.

 

[Complément du 11 septembre 2019]

À côté de chaudasse, on trouve chaudaille, notamment dans Querelle de Roberval (2018), de Kevin Lambert (p. 70, p. 108).

 

[Complément du 11 août 2020]

Dialogue entre une Française et un Québécois, dans la Trajectoire des confettis, de Marie-Ève Thuot (2019) :

«—Louis, tu m’écoutes ? Tu t’es pris une sacrée murge, dis donc.
— Une quoi ?
— Tu t’es bourré la gueule.
— Ah… Ici on dirait se soûler la face. Ou se paqueter la fraise. Ou virer une brosse. Ou…
— Comme tu veux. Pour moi, tu t’es bourré la gueule» (p. 77).

 

[Complément du 11 janvier 2021]

À côté de pompette, chaudaille et garleau, ajout du jour : «Ti-guedaille : Expression saguenéenne et jeannoise. Se dit d’une personne chaude qui a le vin gai» (J’ai bu, p. 98).

 

[Complément du 28 janvier 2021]

Dans quelques jours commencera le Défi 28 jours sans alcool. Il ne faudra pas confondre brosse et brosse.

Publicité pour le Défi 28 jours sans alcool

 

[Complément du 30 juillet 2022]

Il est une expression que l’Oreille tendue ignorait jusqu’à la lecture de Là où je me terre, de Caroline Dawson : «Derrière nous, les yeux écarquillés par la scène qui se jouait devant lui, il y avait un monsieur, encore un peu cocktail de son verre de vino dans l’avion, qui revenait paisiblement d’un voyage d’affaires» (p. 24). Être cocktail : c’est noté.

 

[Complément du 23 août 2022]

Trois ajouts, venus du roman la Bête creuse de Christophe Bernard (2017) : à l’opposé de celui qui «tient la boisson» (p. 209), il y a celui qui est «garlot» (p. 96) ou «chaudette» (p. 473).

 

[Complément du 26 février 2023]

Chaud comment ? Réponse de Kevin Lambert dans Que notre joie demeure (2023) : «chaud comme un poêle» (p. 82).

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Dawson, Caroline, Là où je me terre. Roman, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2022, 201 p. Édition originale : 2020.

Lambert, Kevin, Querelle de Roberval. Fiction syndicale, Montréal, Héliotrope, 2018, 277 p.

Lambert, Kevin, Que notre joie demeure, Montréal, Héliotrope, 2022, 381 p.

Québec Redneck Bluegrass Project, J’ai bu, Spectacles Bonzaï et Québec Redneck Bluegrass Project, 2020, 239 p. Ill. Avec un cédérom audio.

Thuot, Marie-Ève, la Trajectoire des confettis. Roman, Montréal, Les Herbes rouges, 2019, 615 p.

Des usages différenciés de la broue

La broue peut se boire; c’est alors de la bière (la broue est, au sens premier, sa mousse).

Elle peut aussi envahir le sommet du crâne : il arrive, en effet, qu’on ait de la broue dans le toupet. Cela indique que quelqu’un en a plein les bras, qu’il est dépassé par les événements ou les sentiments.

Les coiffeuses ont de la broue dans le toupet… (la Voix de l’Est, 23 décembre 2000, p. 2).

De quoi avoir un peu de trémolo dans l’ï tréma. Pour ne pas dire de la broue dans le toupet (le Devoir, 3 juillet 2001).

Qui pète de la broue est vantard. Ce péteux de broue annonce plus qu’il ne fait.

Dans la chanson «Pissou» (1992) de Jean-Pierre Ferland, on trouve deux des sens du mot broue (et on constate que rouspète et toupet riment).

Maudit qu’on critique, maudit qu’on rouspète
La buée dans ‘es barniques, la broue dans l’toupet
Mais par en arrière on prend son trou
Des bottines en fer, des blue jeans à clous
Mais par en arrière, par en d’ssous
On est pissou
On est fiers de nous, on pète de la broue

Un spa canin montréalais s’appelle De la broue aux pattes. Ce nom laisse perplexe, linguistiquement mais pas seulement, l’Oreille tendue. (Merci à @PimpetteDunoyer.)

Où il y a de la gêne vaut mieux éviter le plaisir

Une catastrophe (humaine, écologique, économique, sociale) touche le Québec depuis samedi dernier : un train a déraillé en plein centre de la petite ville de Lac Mégantic et causé la mort de plusieurs dizaines de personnes.

Les médias s’arrachent les experts. L’Oreille tendue a été frappée hier par le fait que beaucoup de ces experts, à la fin de leur intervention, répondant aux remerciements de l’animateur, disaient «Ça me fait plaisir».

C’est moi qui vous remercie; Y a pas de quoi; Je vous en prie : oui. Mais pas Ça me fait plaisir.

L’Oreille sort

Une fois n’est pas coutume : l’Oreille tendue est allée au concert ce samedi.

Dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal, elle y a applaudi le Soweto Gospel Choir, à la Maison symphonique, la «chapelle» de l’Orchestre symphonique de Montréal, dixit André Ménard, le directeur artistique du FIJM.

Ils sont vingt sur scène, accompagnés par deux tambours et, à l’occasion, par un piano électrique et dirigés par un maître de chœur. Souvent, ils sifflent ou lancent des cris qui rappellent ceux des oiseaux. La rythmique est physique : ils tapent dans leurs mains, ils cognent le sol de leurs pieds. Ils sont ensemble depuis dix ans : la mécanique est parfaitement réglée.

La plupart du temps, les femmes sont en costumes traditionnels, dont un qui devrait, par ses couleurs, ravir les partisans des ex-Nordiques de Québec — c’est du hockey. Les hommes portent de petites vestes sans manche aux couleurs pas moins vives que celles des costumes féminins.

Leur répertoire ? Les chants de leur église, de la musique zouloue, quelques succès contemporains («Like a Bridge over Troubled Water», «Arms of an Angel»), des chansons faites pour que le public se lève et mêle sa voix à la leur («Pata Pata», «Amen», «Oh Happy Day», en rappel). Le chant domine, mais on danse aussi : des danses traditionnelles, des danses de combat, du breakdance, du gumboot.

À divers moments du spectacle, la troupe se scinde et se recompose en unités plus petites, à l’avant-scène. Il arrive alors qu’on passe du duo à la joute musicale et corporelle. L’interprétation d’une chanson par les hommes seuls est suivie de l’interprétation de la même chanson par les femmes seules («Nice try, boys»). On échange et on s’oppose, avant de toujours se réconcilier.

L’actualité étant ce qu’elle est, un sobre hommage a été rendu au «père de la nation» («the father of the nation»), Nelson Mandela, par une seule pièce, une «chanson de liberté» («a liberty song»).

L’Oreille doit se rendre à l’évidence : une voix humaine, c’est bien; des voix mêlées, leur harmonie, cela l’émeut, sans qu’elle puisse endiguer cette émotion. Le chœur, en musique, c’est la communauté de la beauté.

Nelson Mandela et le Soweto Gospel Choir

Illustration : Peter Ellis, signature de Nelson Mandela entourée de celles de membres du Soweto Gospel Choir, photo déposée sur Wikimedia Commons