Rajeunir (en quelque sorte) à Québec

Colloque, notes, Québec, 12 avril 2013

Peut-être est-ce dû à son grand âge : l’Oreille tendue prend de moins en moins d’intérêt aux colloques universitaires, elle qui les a beaucoup fréquentés à une époque.

Elle s’est amusée, il y a quelques années, à croquer des «Scènes de la vie de colloque» (PDF). Elle ne cherche plus aujourd’hui à se donner l’occasion d’en ajouter de nouvelles.

Cela ne revient pas à dire qu’elle a cessé de discuter avec ses collègues. Ce qui a changé, ce sont les formes de cette discussion. L’Oreille utilise beaucoup le numérique à cette fin. Elle vient aussi de découvrir une nouvelle forme d’échange scientifique.

Le 12 avril, elle avait été invitée — merci René Audet et Milad Doueihi — à intervenir dans le cadre de «Transmettre ou expérimenter ? Journée d’atelier sur l’enseignement de la culture numérique». (Renseignements ici.)

Dès le titre, il était clair qu’il ne s’agissait pas d’un colloque. Le programme était volontairement imprécis : il y aurait deux «tables rondes», des «discussions en sous-groupes» et des «plénières», sur (au moins) «deux sujets possibles». La constitution des «sous-groupes» devait changer au fil de la journée, histoire que les participants, venus de disciplines diverses, se mêlent les uns aux autres. Le matériel nécessaire ? Un écran, un calepin de notes collaboratif en ligne (voir ici), des nappes en papier et des crayons feutres (voir la photo ci-dessus), des post-its (qui n’ont pas servi), Twitter (les tweets échangés ce jour-là ont été rassemblés depuis dans un fichier Word), des rallonges (il y avait beaucoup d’ordinateurs et de tablettes à alimenter).

L’objectif des organisateurs était simple : la «mise en commun d’idées, d’expériences et de références». En ce qui concerne l’Oreille, cet objectif a été parfaitement atteint.

Comment désigner cela ? On parle, en français, de BarCamp ou de non-conférence; en anglais, d’unconference ou de THATCampThe Humanities And Technology Camp»).

Peu importe le terme retenu : la formule marche.

P.-S. — Samuel Goyet, dans son compte rendu de la journée, partage la satisfaction de l’Oreille

 

[Complément du 4 mai 2015]

Pourquoi se désintéresser des formes traditionnelles du colloque en sciences humaines ? Christy Wampole résume parfaitement ce que pense l’Oreille dans «The Conference Manifesto».

 

Référence

Melançon, Benoît, «Scènes de la vie de colloque (extraits)», le Pied (journal de l’Association des étudiants du Département des littérature de langue française de l’Université de Montréal), 4, 29 février 2008, p. 12-13. Repris dans la Vie et l’œuvre du professeur P. Sotie, Montréal, À l’enseigne de l’Oreille tendue, 2022, p. 43-48. https://doi.org/1866/13167

Les zeugmes du dimanche matin, des Papous et des illusions

Des papous dans la tête

Aux Papous dans la tête, sur France Culture, on aime les zeugmes (exemples du 22 janvier 2012, du 15 avril 2012, du 10 juin 2012, du 25 novembre 2012, du 16 décembre 2012 et du 31 mars 2013).

Deux occurrences récentes, l’une parlée, l’autre chantée.

Durant l’émission du 31 mars 2013, Pascal Fioretto parle de la «perte de ses clefs et de ses illusions».

Dans celle du 7 avril, Guy Ciancia chante «En voiture Arthur» de François Caradec :

C’est dans un trou à Charleville
Qu’il a perdu ses illusions
Ses tifs, ses yeux, ses agobilles
On peut dire qu’il a pas eu d’fion

N.B. Qui est ce «il» ? Rimbaud, bien sûr.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Double découverte thanatolexicale

Arnaldur Indridason, Étranges rivages, 2013, couverture

«Il existait un terme médical pour qualifier cette peur d’être enterré vivant : on parlait de taphéphobie. Le retour à un état de conscience après avoir été déclaré mort s’appelait Syndrome de Lazare.»

Arnaldur Indridason, Étranges rivages, traduction d’Éric Boury, Paris, Métailié, coll. «Métailié noir. Bibliothèque nordique», 2013, 298 p., p. 217. Édition originale : 2010.

Tiguidou n’est point ketchup

Fromage Tiguidou !

 

C’est dimanche et vous tombez sur ceci dans Twitter :

«vient grâce au @Vinvinteur et à @SolangeTeParle d’apprendre un joli nouveau mot québécois : c’est tiguidou ! http://fr.wiktionary.org/wiki/%C3%AAtre_tiguidou :-)» (@cgenin).

Vous voyez passer la réponse suivante :

«@cgenin difficile de vivre sans :)» (@reneaudet).

Vous sentant d’humeur légère, vous ajoutez votre grain de sel :

«@cgenin @Vinvinteur @SolangeTeParle @reneaudet “Tiguidou” = “ketchup”. Ex. : si une “affaire” est “tiguidou”, elle peut aussi être “ketchup”» (@benoitmelancon).

Patatras ! Vous venez de lancer un débat sémantique.

On vous interroge :

«@benoitmelancon “ketchup” : n’y a-t-il pas l’idée que l’affaire est conclue, alors que “tiguidou” est plutôt une approbation ?» (@reneaudet).

Vous précisez votre «pensée» (le mot est un peu fort) :

«@reneaudet D’accord pour l’idée de conclusion liée à “ketchup”, mais, dans les deux cas, il y a satisfaction que la chose soit (bien) faite» (@benoitmelancon).

On précise la sienne :

«@benoitmelancon alors il y a un spectre, de la satisfaction à l’accomplissement : tiguidou — l’affaire est ketchup — les carottes sont cuites» (@reneaudet).

Vous étiez deux, et voilà que vous êtes trois :

«@benoitmelancon @reneaudet ketchup ne se voit guère que dans la locution “l’affaire est ketchup”, non ? tiguidou est plus versatile» (@david_turgeon).

Récapitulons.

Ketchup et tiguidou s’entendent dans la langue familière au Québec.

Le premier n’est attesté, dans le sens qui nous occupe, que dans l’expression l’affaire est ketchup (bien vu, @david_turgeon). Il accompagne la conclusion heureuse d’une activité.

Exemple. L’Oreille tendue, remettant électroniquement à son éditeur les épreuves corrigées d’un de ses livres, concluait son courriel par cette formule, car elle considérait que tout était au point. L’emploi de ladite formule marqua durablement l’éditeur.

Le second a des utilisations plus variées (juste, @reneaudet).

Wiktionary donne quatre synonymes : «Bien aller, être parfait, être réglé, être d’accord.» Le Petit Robert ne dit pas autre chose : «Très bien, parfait» (édition numérique de 2010). En ce sens, tout peut être tiguidou, pas seulement l’affaire.

Exemples. «C’est tiguidou.» (Équivalent, selon Léandre Bergeron, en 1980 : «Tout est bien correct» [p. 486]).

Pour certains, tiguidou est une forme de salutation; il clôt un échange sur une note positive.

À propos de son étymologie, on se déchire : «De l’anglais jig (“gigue”), et do (“faire”)», affirme Wiktionary; de l’anglais «tickety-boo» ou de l’hindi «Tickee babu», ose le WordReference; Herb McLeod croit aussi à une origine anglaise, mais son choix va à «tic-a-de-do». Le Petit Robert est prudent sur ce plan («origine inconnue»), mais malheureusement pas en matière de datation (le mot est apparu bien avant 1976).

L’affaire est-elle maintenant ketchup, @cgenin ? On se la souhaite tiguidou.

P.-S. — Léandre Bergeron, avec cette imagination qui n’est (heureusement) qu’à lui, atteste l’expression «Tiguidou right trou s’a bine», dont le sens serait «Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes» (1980, p. 486). Voilà qui aurait bien désarçonné Voltaire.

P.-P.-S. — Un des cheddars de la Fromagerie La Chaudière s’appelle le Tiguidou.

 

[Complément du 15 juillet 2013]

On voit aussi diguidou.

 

[Complément du 5 août 2014]

Après le fromage, les confitures, mais sans u. (Merci à @remolino pour le lien.)

La confiturerie Tiguidou

 

[Complément du 4 juin 2015]

Les universitaires, on l’a vu, n’hésitent pas à utiliser le terme. Nouvel exemple, chez Jonathan Livernois, dans la revue Liberté en 2015 : «Le passage de la tradition à la modernité en a taraudé plus d’un — à commencer par Fernand Dumont —, mais nous sommes devenus des experts dans l’air [dans l’art ?] de faire semblant que c’est tiguidou» (p. 38).

 

[Complément du 14 février 2016]

Sur Twitter, @revi_redac, signale l’existence d’une autre origine, fournie par le logiciel Antidote :

L’étymologie de tiguidou selon le logiciel Antidote

Dans le dictionnaire en ligne Usito, on a recueilli ce mot «familier» («Parfait, très bien») et une définition pour l’illustrer (chez Jacques Ferron en 1969). Son étymologie ? De «ziguidou [dans le Trésor de la langue française au Québec]; formation onomatopéique».

Le mystère s’épaissit.

 

[Complément du 26 mai 2016]

L’affaire peut être ketchup. Elle peut aussi être chocolat, ainsi que l’atteste ce titre tiré de la Presse+ du jour.

«L’affaire est chocolat», la Presse+, 26 mai 2016

[Complément du 11 octobre 2016]

Pour vendre du vin (espagnol) aux Québécois, pourquoi ne pas utiliser un mot qu’ils affectionnent ? (Publicité tirée de la Presse+ du 8 octobre 2016.)

Publicité pour un vin espagnol, la Presse+, 8 octobre 2016

 

 

[Complément du 27 décembre 2017]

Le quotidien numérique montréalais la Presse+ a un quiz linguistique dans sa livraison du jour, «Des expressions colorées». Ci-dessous, la réponse à la huitième question. (On notera que l’Oreille tendue a eu la bonne réponse, et du premier coup.)

«Des expressions colorées», quiz, la Presse+, 27 décembre 2017

 

[Complément du 17 avril 2024]

Publicité vue dans le métro de Montréal pour de la mayonnaise : «Pour les fans du Bleu Blanc Rouge, / L’affaire est mayo.» Elle est incompréhensible pour qui ne connaît pas l’expression «L’affaire est ketchup».

P.-S.—«Bleu Blanc Rouge» ? Les Canadiens de Montréal (c’est du hockey).

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Livernois, Jonathan, «Une mythologie québécoise», Liberté, 308, été 2015, p. 35-38. https://id.erudit.org/iderudit/77944ac

Extrême : le point

Printemps oblige, l’Oreille tendue a la fibre ménagère. Après avoir mis de l’ordre dans sa liste de à saveur, elle s’attaque aujourd’hui à extrême, son «perroquet d’or» en 2012.

Elle s’impose cependant une contrainte : de sa besace, elle ne tirera que ce qui concerne la culture.

Cela donne…

«La télé de demain : plus trash, plus voyeuse et plus extrême» (la Presse, 9 avril 2013, cahier Arts, p. 3).

N.B. Ce «plus extrême» laisse rêveur.

«Roman limite, roman extrême» (le Devoir, 16-17 mars 2013, p. F3).

«Folklore extrême sous les flocons» (la Presse, 28 février 2013, cahier Arts, p. 3).

«Dany Laferrière, né en Haïti mais témoin extrême d’un Québec et d’un monde en mutation» (le Devoir, 12-13 janvier 2013, p. F5).

Musique «pop extrême» (le Devoir, 26 octobre 2012, p. B5).

«Huit camps pour de la poésie en mode extrême : Un banc de méduses phosphorescentes ? Des œufs d’Aliens qui n’att… http://bit.ly/OkoElw» (@Gehenne1, 23 juillet 2012).

«une création de cirque extrême» (le Devoir, 13 juillet 2012, p. B2).

«Théâtre extrême» (la Presse, 19 mai 2012, cahier Arts, p. 18).

«l’émission de potinage extrême TMZ» (le Devoir, 13 février 2012, p. A8).

Son corps extrême, roman de Régine Detambel (2011).

«Rock extrême» (la Presse, 13 juin 2011, cahier Arts et spectacles, p. 5).

«De l’intime jusqu’à la peinture extrême» (le Devoir, 31 décembre 2010, p. E3).

«version extrême du Hank d’origine» (le Devoir, 8 octobre 2010, p. B5).

«expérience d’art extrême» (le Devoir, 20-21 juin 2009, p. F3, publicité).

«Denise Boucher, femme extrême» (la Presse, 8 avril 2007, cahier Lectures, p. 9).

«Zapping extrême» (la Presse, 25 septembre 2006, cahier Technaute, p. 8).

Que reste-t-il qui ne soit pas extrême ?