Les mots pour dire qu’on le dit

Dans les médias, à une époque encore récente, il fallait, avant de parler, dire Écoutez. L’autre devait prêter l’oreille. Il y avait apparence de dialogue.

Les temps changent.

On commence maintenant avec Je vous dirais que, on insiste avec Ce que je suis en train de vous dire et on s’assure de ne rien laisser au hasard avec Vous comprendrez que / Il faut comprendre que / Vous devez comprendre que.

Il importe moins de dire quelque chose que de dire que l’on est en train de dire quelque chose, et que ce quelque chose devrait se passer d’interprétation. De la «communication» comme monologue.

P.-S. — Dire se retrouve donc dans une situation semblable à celle de parler.

(Merci à @smartineau40 et à @Hortensia68 d’avoir prêté leur oreille à l’Oreille.)

La mort de la conversation
La mort de la conversation, Montréal, octobre 2012

Affliction de l’Oreille

Cités, no 23, 2005, «Le Québec, une autre Amérique», couverture

Lire ceci dans le Devoir du 26 septembre 2012 : «Québec ne se lancera pas dans les fusions-défusions» (p. A5). Et ressentir du chagrin.

Il faut savoir que «la saga des fusions-défusions» a beaucoup occupé les médias québécois il y a quelques années. En voici une définition tirée d’un texte publié par l’Oreille tendue en 2005 :

Psychodrame qui secoue la politique municipale à Montréal, dans la vieille capitale (Québec), dans le 450 et dans les régions. Il y avait des villes autonomes; on les fusionna, ce qui aurait dû entraîner un fort courant d’adhésion; devenues simples arrondissements ou secteurs de mégavilles, elles furent rapidement menacées de défusion, au grand désespoir des profusionnistes; quelqu’un proposa alors de parler de démembrement; on en arriva finalement à une consultation sur la réorganisation municipale, la décentralisation et la déconcentration; à la suite de référendums, quelques villes furent démembrées et d’autres restèrent fusionnées; il est possible qu’un jour toutes soient reconstituées en agglomérations. Ce n’est pas sans créer un brin de confusion.

On le voit : les fusions-défusions, à défaut de faire l’unanimité politique, faisaient le bonheur des observateurs de la langue. On aurait aimé en profiter encore. Il faudra plutôt en vivre le deuil.

P.-S. — Outre les mots énumérés ci-dessus, il y eut aussi, entre autres créations lexicales, défusionner, défusionniste, défusionnel, défusionnisme, dédéfusion.

 

Référence

Melançon, Benoît, «La glande grammaticale suivi d’un Petit lexique (surtout) montréalais», Cités. Philosophie. Politique. Histoire, 23, 2005, p. 233-241. https://doi.org/10.3917/cite.023.0233; https://doi.org/10.3917/cite.023.0238

Une préposition vous manque, et tout est dépeuplé

L’Oreille tendue a eu l’occasion, à quelques reprises, de causer apocope (il y a une catégorie pour ça).

Plus rarement, elle a parlé ellipse, ici ou .

Au rayon de l’économie linguistique, un nouveau (?) phénomène vient d’attirer son attention : la disparition de la préposition avec dans partager avec, à moins qu’il ne s’agisse d’une réduction de faire partager en partager.

Deux exemples venus de Twitter (il y en a plein d’autres sur Google).

«Je vous partage ma recette de cupcakes en cornets. Super facile à faire et les enfants adoreront (Les adultes aussi…)» (@ElleMlaMode).

«Apprendre une langue étrangère en ligne & Pascale Buissière nous partage ses sites favoris» (@julielaferriere).

Un mot suffira : non.

 

[Complément du 11 juin 2013]

Dans la Presse de ce matin : «“Ce que j’aime dans cette pièce, c’est la liberté laissée aux acteurs”, a partagé Normand Chouinard au sujet de la pièce Un homme, deux patrons, qu’il met en scène» (cahier Arts, p. 3).

Encore sur Twitter : «Jean-Pierre Bergeron, notre ancien agent de dével., nous partage son opinion sur le dossier du Marché Richelieu : http://www.soreltracy.com/liter/2012/oct/27o.html» (@GA_VieuxSorel).

C’est toujours non.