Planter est piner

Claude Raymond, Frenchie, 2022, couverture

Avant de devenir joueur de baseball professionnel, puis commentateur dans les médias, le Québécois Claude Raymond, «vers 10 ou 12 ans», a été «planteur au bowling».

Le boulot du planteur consistait à replacer manuellement les quilles après chaque carreau. Les salons de quilles engageaient souvent des jeunes parce qu’il fallait être agile : sauter dans le puits, replacer les quilles puis sortir rapidement du puits avant que la prochaine boule soit lancée (chapitre «Le petit joueur de balle de Saint-Jean», Frenchie).

Dans sa jeunesse — c’était il y a plusieurs lustres —, l’Oreille tendue a aussi croisé des pineurs. Ils ne faisaient pas autre chose que Claude Raymond.

P.-S.—On ne confondra pas, bien sûr, le verbe piner avec le verbe piner.

 

Référence

Raymond, Claude, avec Marc Robitaille, Frenchie. L’histoire de Claude Raymond. Récit biographique, Montréal, Hurtubise, 2022. Ill. Préface d’Yvan Dubois. Édition numérique.

Langue de balle. Quatrième manche

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(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Quatrième texte d’une série.)

À chaque présence (au bâton), le frappeur, qu’il soit droitier, gaucher ou ambidextre, quitte le cercle d’attente, il s’éloigne du préposé au bâton et il s’installe dans la boîte ou le rectangle des frappeurs. À quoi pense-t-il ? (Il est aussi, bien sûr, des frappeuses. On peut imaginer qu’elles vivent les mêmes interrogations.)

Qu’il y ait ou non des hommes sur les buts — ce sont des coureurs en position de marquer —, le frappeur souhaite le plus souvent faire contact avec la balle et la mettre en jeu. Il n’a pas nécessairement besoin de se casser la tête, de frapper d’aplomb ou sur le nez. Simplement étirer les bras ou frapper du bout du bâton fait parfois l’affaire pour placer la balle en lieu sûr.

Le frappeur peut frapper la balle en l’air : retroussée ou soulevée, elle partira en flèche ou donnera lieu à un ballon ou à une chandelle. Il vaut mieux qu’elle tombe dans l’allée ou à l’entre-champ que dans le gant du voltigeur. S’il l’envoie au sol, c’est un roulant; la proposition d’Étienne Blanchard, un lapin, n’a pas été entendue, pas plus que celle de la Société du parler français, un coup rasant. Si le roulant, avec ou sans yeux, perce l’avant-champ, c’est bien.

Dans les airs ou au sol, cela pourrait valoir au frappeur un simple (dans quelques cas, à l’avant-champ), un double, un triple ou un circuit. Tout ça dans un même match ? Cela s’appelle un carrousel.

Il existe plusieurs formes de la longue balle (le circuit). D’un seul élan, d’une seule claque, d’une seule cogne, d’une seule frappe, le frappeur peut changer le cours d’un match. Quand les buts sont remplis — qu’il y a trois hommes sur les buts —, c’est un grand chelem (l’Oreille tendue se souvient d’en avoir frappé un, au champ opposé, il y a un demi-siècle). Personne ? Le circuit est en solo. (Il n’y a pas d’expression spéciale pour le circuit avec deux ou trois coureurs sur les sentiers.)

Le circuit est le plus souvent frappé derrière la clôture, ce qui peut mener à une description comme celle-ci : «Puis [Gibson] dévisse une garnotte dans les gradins du champ droit» (le Devoir, 19 janvier 2016, p. B6). En 1988, Kirk Gibson a frappé avec beaucoup de puissance (il l’a «dévissé») le non moins puissant tir du lanceur adverse (sa «garnotte»). On dit que, dans certains stades, la balle voyage bien (c’est le cas en altitude, bref à Denver, au Colorado); cela favorise les frappeurs de puissance. Peu importe les conditions atmosphériques : il est bon de la sortir du stade. «Bonsoir, elle est partie !» aime s’égosiller un commentateur québécois.

Le circuit à l’intérieur du terrain, qui est généralement l’œuvre d’un marchand de vitesse, est rare. Dans The Great American Novel, Philip Roth en évoque un, un «inside-the-mouth grand-slam home run», qu’il est difficile d’oublier (éd. de 1980, p. 120).

En bon coéquipier, le frappeur peut se sacrifier, de deux façons. Dans les deux cas, il faut que les coureurs avancent d’un but, voire viennent marquer.

Il peut tenter un amorti ou un amorti surprise, soit le long de la ligne du premier (but), soit le long de la ligne du troisième (bis); vers le lanceur, ce n’est pas recommandé. Tout le monde ne maîtrise malheureusement pas cette technique. Ce coup retenu, quand il est déposé sans être complètement retenu, peut se transformer en coup filé, histoire de prendre la défensive à contre-pied.

Le ballon sacrifice est moins spectaculaire, mais pas moins efficace. Il s’agit d’envoyer la balle suffisamment loin du marbre — pas besoin d’aller à la clôture, mais c’est ce qu’il y a de plus simple : un long ballon est souvent bénéfique.

Si le frappeur ne touche pas à la balle, d’autres possibilités s’offrent à lui pour rejoindre les sentiers : être atteint par un lancer, soutirer un but sur balles, également nommée passe gratuite. Il existe même un cas où une balle passée sur une troisième prise lui donne l’occasion de foncer vers le premier but; c’est assez peu courant (sans jeu de mots).

Si le lancer ne lui convient pas, le frappeur peut retenir son élan — pas d’élan complet, donc, ni même de demi-élan — ou se contenter de protéger le marbre. Cette dernière pratique mène à une fausse balle : certaines sont expédiées dans les estrades, d’autres bondissent hors ligne. Ce n’est pas optimal, mais ça évite — ou reporte — un retrait.

Une chose est sûre : la patience ou la discipline au bâton est toujours bénéfique. Il faut savoir attendre son tir. On espère du frappeur qu’il produise des points, quand ce n’est pas le point victorieux. Il est responsable de pousser ses coéquipiers au marbre; il ne doit pas les laisser sur les buts ou mettre fin à une manche. Être trois en quatre flatte l’ego, mais ce n’est pas ce qu’on attend : des points, c’est mieux. Dans le meilleur des mondes possibles, le frappeur répartit ses coups aux trois champs. Il sait quand frapper derrière le coureur et quand étirer un simple en double (ou un double en triple). Il doit éviter de tomber ou de sombrer dans une léthargie; si, par malheur, cela lui arrive, il doit pouvoir la secouer ou en sortir.

Tous les frappeurs ne sont pas égaux. La position de chacun dans l’ordre ou l’alignement ou le rôle des frappeurs est révélatrice : on attend plus d’un quatrième frappeur que d’un neuvième. Se situer dans le haut, le milieu ou le bas de la formation n’a pas la même valeur. Le frappeur d’urgence ou frappeur substitut ou frappeur auxiliaire ou frappeur suppléant prend la place d’un coéquipier. Le frappeur désigné remplace celui qu’on suppose incapable de frapper, le lanceur. (Il y a des exceptions.) Certains ont une excellente moyenne au bâton; d’autres, pas.

Le frappeur veut frapper. Le lanceur veut l’en empêcher. Celui-ci essaie de jouer de finesse. Il peut forcer son adversaire à aller à la pêche sur un mauvais tir, à fendre l’air (s’élancer dans le vide, passer dans le beurre). S’il voit qu’il a un trou dans son élan, il peut essayer d’exploiter cette faiblesse et de le déjouer. S’il parvient à le menotter, il peut en résulter un bâton fracassé. Le retrait sur trois prises est son meilleur ami. C’est plus facile s’il est en avance sur le frappeur que s’il est en retard; voilà pourquoi il importe d’éviter les comptes complets (trois balles, deux prises). Forcer un frappeur à se compromettre dans un double jeu (ou double retrait), ce n’est pas mal non plus.

On le voit : avoir un bon œil ne suffit pas pour réussir au bâton.

 

Références

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Roth, Philip, The Great American Novel, New York, Farrar, Straus & Giroux, 1980, 382 p. Édition originale : 1973.

Langue de balle. Troisième manche

Jacques Poulin, Chat sauvage, 1998, couverture

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Troisième texte d’une série.)

 

«Une vingtaine de pages plus loin, toutefois, il fut de nouveau question de baseball. Une petite phrase me fit sursauter :

C’était la prise quatre.

J’étais atterré. Comme des millions d’amateurs de sport en Amérique, je savais très bien que le nombre de prises, au baseball, était limité à trois. Je refermai le roman, éteignis la veilleuse et me remis à la fenêtre. Le regard perdu dans la nuit, je me mis à penser aux nombreux traducteurs qui vivaient en France, de l’autre côté de l’Atlantique, et qui traduisaient des romans américains. Ils avaient toute ma sympathie, car je savais à quel point leur métier était difficile, et l’envie me vint de leur écrire une lettre.

Je voulais leur dire qu’il y avait au Québec, depuis peut-être un siècle, un grand nombre de gens qui pratiquaient le baseball et le football américain, et qu’ils le faisaient en français. Un français qui avec les années était devenu élégant et précis, grâce au travail de traduction accompli par les commentateurs sportifs de la radio et de la télé. C’est pourquoi je leur donnais un conseil, à titre de collègue : lorsqu’ils devaient traduire un roman américain contenant des passages sur le baseball ou le football, ils avaient intérêt à consulter un des nombreux Québécois qui vivaient à Paris ou ailleurs en France. Si cette démarche ne leur convenait pas, ils n’avaient qu’à donner un coup de fil à la Délégation du Québec : même la téléphoniste était en mesure de leur indiquer les traductions exactes. Pour ma part, j’étais disposé à réviser leurs textes tout à fait gratuitement, pour être enfin débarrassé des inepties qui encombraient la version française des romans américains.»

Jacques Poulin, Chat sauvage. Roman, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 1998, 188 p., p. 115-116.

Langue de balle. Deuxième manche

Serge Bouchard, les Yeux tristes de mon camion, éd. de 2017, couverture

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Deuxième texte d’une série.)

 

«J’aime le baseball depuis toujours, comme on aime l’idée de courir sur les sentiers, de se tenir debout dans le champ ou de rentrer sain et sauf à la maison. Les expressions françaises qui décrivent le jeu sont franchement belles. Il arrive que les sentiers sont déserts, que le voltigeur fasse une longue course qui l’oblige à reculer, dos à la clôture, qu’il regarde aller la balle du simple fait qu’elle est partie; il arrive que le frappeur frappe une chandelle dans le champ intérieur ou une flèche dans le champ droit, que la défensive soit mystifiée par une balle qui a des yeux, par une balle qui tombe, par une autre qui voyage, que le frappeur fende l’air, s’élance dans le vide, qu’il soit supris par un bâton fracassé, qu’il soit menotté par un lanceur dominant, retiré par un gant doré, avant de sombrer dans une longue léthargie qu’il devra un jour ou l’autre secouer.»

Serge Bouchard, les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p., p. 46. Édition originale : 2016.

Langue de balle. Première manche

Jackie Robinson tentant de voler le marbre, 18 mai 1952 (Photographie par Nat Fein)

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Premier texte d’une série.)

 

«La langue des sports est une langue vivante.
Dans le Québec, c’est une langue véritablement française.»
Michel Normandin, 1957

Le terrain de baseball est parfois appelé losange. Au champ intérieur, on trouve trois buts (bases, en France), le premier, le deuxième et le troisième; il n’y a pas de quatrième. Le frappeur (le batteur, en Hexagonie) part en effet du marbre et souhaite y revenir, histoire de marquer un point. Sa mission est d’atteindre les sentiers, de les parcourir, puis de croiser le marbre.

Parmi les nombreuses façons de passer d’un but à l’autre, sauf pour aller du marbre au premier, il y a le vol de but : le coureur essaie de passer d’un but à l’autre tout seul, comme un grand, sans attendre qu’un de ses coéquipiers frappe la balle ou que l’équipe adverse fasse une erreur. Les meilleurs voleurs de but, ces marchands de vitesse, n’attendent pas qu’on leur demande de commettre un larcin; maîtres de leur destinée, ils ont le feu vert; à eux d’être en course et de s’élancer vers le but quand bon leur semble. Certains ne sont pas doués dans les autres phases du jeu; on ne les utilise que comme coureurs suppléants.

Qui vole debout accomplit un petit miracle : il n’y a pas eu de relai pour tenter de le retirer; il est sauf sans effort particulier. Le plus souvent, le coureur glisse au but; certains préfèrent y aller d’un plongeon, tête première.

On l’imagine facilement : ni les lanceurs ni les receveurs n’apprécient qu’on vole contre eux. Ils ont des stratégies pour se défendre.

Le lanceur peut, plutôt que de lancer au marbre, lancer vers les coussins (oui, ce sont les buts) : dans le meilleur des cas, le coureur sera surpris, pris à contrepied et retiré; dans les autres, ça l’obligera à être plus prudent, par exemple en prenant un plus petit écart avec le but. Si l’artilleur abuse de ces lancers ou s’il multiplie les feintes, il sera hué : c’est un chicken. S’il merde, on parle de geste illégal ou de feinte illégale : ce crime fait avancer le coureur, voire les coureurs; on a obtenu ce qu’on voulait à peu de frais.

Le receveur, surtout s’il a un bras puissant, essaie d’épingler le coureur. Histoire de se donner un avantage, il peut commander un tir à l’extérieur : n’étant pas embêté par le frappeur, il pourra dégainer plus rapidement et décocher son lancer plus efficacement.

Tout n’est pas noir ou blanc au baseball. On peut être retiré en tentative de vol. On peut réussir. Mais il arrive que le coureur se retrouve pris en souricière : ni sauf, ni retiré, il se démène pour retourner au but où il se trouvait ou pour avancer au suivant, pendant que l’équipe adverse veut l’en empêcher. Cela peut être assez excitant.

L’est aussi le double vol, quand deux larcins ont lieu en même temps. Un triple vol ? Ce n’est pas impossible, mais il ne faut pas exagérer non plus.

Le plus beau jeu au baseball, et un des plus rares ? Voler le marbre. Jackie Robinson, représenté ci-dessus, y excellait. Ce n’est qu’une raison parmi d’autres de l’admirer.

P.-S.—Pour une approche historique, on va par là.

P.-P.-S.—Saisissons l’occasion pour la créer : une rubrique «Langue de balle» existe désormais.

 

Références

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Normandin, Michel, «La langue des sports», Vie française, 12, 1-2, septembre-octobre 1957, p. 34-46.