Accouplements 210

Frédéric Lenormand, Ne tirez pas sur le philosophe !, 2017, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Dans Candide, son conte de 1759, Voltaire se moque de Leibniz. Quand le personnage de Pangloss parle du «meilleur des mondes possibles», c’est le nom du philosophe allemand qu’il faut entendre.

Dans son roman Ne tirez pas sur le philosophe !, Frédéric Lenormand suppose un chien à un de ses personnages. Son nom ? Leibniz.

Mathieu Bock-Côté est un omnicommentateur québécois formé en sociologie. Selon Wikipédia, il est «favorable à l’indépendance du Québec et défend des positions nationalistes, libérales et conservatrices».

Les concepteurs de l’émission de radio À la semaine prochaine lui supposent un chien. Son nom ? Duplessis.

Dans le premier cas, le nom marquerait la distance. Dans le second, la proximité.

Ce sera tout en matière de bestiaire imaginaire pour aujourd’hui.

 

Référence

Lenormand, Frédéric, Ne tirez pas sur le philosophe ! Roman, Paris, JC Lattès, série «Voltaire mène l’enquête», 2017, 280 p., chapitre sixième. Édition numérique.

Accouplements 209

Jean-François Nadeau, Bourgault, 2007, couverture

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

«Ce qui vient au monde pour ne rien troubler
ne mérite ni égards ni patience.»
René Char

L’Oreille tendue ne s’en cache pas : elle n’aime pas les biographies. Par obligation professionnelle, elle en lit — sur la littérature, sur le sport, sur le numérique, sur la musique, sur le cinéma —, mais ce n’est pas du tout sa tasse de thé. C’est comme ça.

Cela étant, elle est sortie ravie de la biographie de Pierre Bourgault qu’a publiée Jean-François Nadeau en 2007. Pourquoi ? Entre autres raisons, parce que Nadeau ne fait preuve d’aucune complaisance envers son sujet. Bourgault était un «homme d’exception» (p. 533), certes, mais il ne manquait pas de défauts. Il s’agissait de le dire, en évitant tant le portrait à charge que le panégyrique. Mission accomplie.

Pourquoi vous raconter cela aujourd’hui ?

En épigraphe au dix-huitième chapitre, Nadeau met deux vers de René Char : «La lucidité est la blessure / la plus rapprochée du soleil» (p. 491).

Or, tout juste après la lecture de Bourgault, l’Oreille s’est mise à celle de l’abécédaire mémoriel Où de vivants piliers, de Régis Debray. Extrait ? «D’où vient qu’une citation de Char en épigraphe d’un ouvrage, en guise d’exorcisme, tire toujours vers le haut.»

 

Références

Debray, Régis, Où de vivants piliers, Paris, Gallimard, coll. «La part des autres», 2023, 192 p. Édition numérique.

Nadeau, Jean-François, Bourgault, Montréal, Lux éditeur, coll. «Histoire politique», 2007, 606 p. Ill.

Lire avec ses oreilles

Akos Verboczy, la Maison de mon père, 2023, couverture

L’Oreille tendue a déjà évoqué un article de Roger Chartier paru en 1990, «Loisir et sociabilité : lire à haute voix dans l’Europe moderne». L’auteur y déplorait la rareté des représentations (textuelles, iconographiques) des scènes de lecture dans les archives occidentales, surtout pour le XVIIIe siècle. En l’absence de ces représentations, il est difficile de faire l’historique de l’imaginaire de la lecture à travers les âges.

Ajoutons une pièce au dossier de Chartier, mais pour le XXe siècle. Cela se trouve dans un roman récent d’Akos Verboczy, la Maison de mon père :

La Matáv, la compagnie de téléphonie nationale [de Hongrie] qui n’était pourtant pas réputée pour offrir des solutions, proposait un service sur mesure pour répondre à mon caprice d’enfant : la lecture de contes par téléphone. Chaque soir, elle diffusait une histoire préenregistrée : des classiques des frères Grimm et de Perrault, des trucs nordiques ou, le plus souvent, une histoire du folklore d’Europe centrale avec ses braves gaillards en quête d’amour et de fortune. Je n’en demandais pas tant. Andréa n’avait qu’à composer le numéro et me tendre le combiné pour avoir la paix pendant quinze minutes avant de me mettre au lit. Et voilà encore un dossier réglé en un tour de main par cette mère suppléante. Une fois pour toutes. Ou presque (p. 161-162).

Pourquoi «presque» ? «Une défectuosité technique, dont la Matáv avait le secret, avait transformé le service de contes pour enfants en ligne de fête» (p. 162) : cela ne dura que quelques jours, mais c’est une autre histoire, qui n’a plus rien à voir avec la lecture assistée.

P.-S.—En effet : quand l’Oreille a évoqué la lecture à haute voix, c’était dans un contexte un tantinet moins chaste.

 

Références

Chartier, Roger, «Loisir et sociabilité : lire à haute voix dans l’Europe moderne», Littératures classiques, 12, janvier 1990, p. 127-147. https://doi.org/10.3406/licla.1990.1238

Verboczy, Akos, la Maison de mon père. Roman, Montréal, Boréal, 2023, 327 p.

L’oreille tendue de… Simenon

Simenon, les Sœurs Lacroix, édition néerlandaise, couverture

«Quant à tante Poldine, il n’était pas difficile de savoir à quoi elle s’occupait : elle faisait des comptes ! Elle était assise devant des piles de calepins noirs, à couverture de toile cirée et aux pages couvertes de chiffres au crayon. Au milieu du bureau, elle avait posé sa montre et, à sept heures exactement, elle se lèverait, entrouvrirait la porte, tendrait l’oreille, attendant le coup de sonnette qui devait annoncer le dîner et qui avait parfois quelques secondes de retard.»

Georges Simenon, les Sœurs Lacroix, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 175-271, p. 181. Édition originale : 1938.

Les zeugmes du dimanche matin et de Simenon

Simenon, les Trois Crimes de mes amis, 1938, couverture

«Il y a quelques semaines, loin de Liège et de notre jeunesse, la police de Nantes était avisée par une lettre anonyme que des faits étranges se passaient dans une cave» (p. 34).

«Et je m’achetai un chapeau melon. Je n’avais jamais porté de chapeau melon, mais je considérais que cela s’harmonisait avec ma nouvelle dignité et avec mes guêtres» (p. 41).

«Enivré de printemps et de gloire, je vivais une grisante période d’ongles propres, de cosmétique et de guêtres gris souris» (p. 42).

Georges Simenon, les Trois Crimes de mes amis, dans Tout Simenon 21, Paris et Montréal, Presses de la Cité et Libre expression, coll. «Omnibus», 1992, p. 7-88. Édition originale : 1938.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)