Accouplements 89

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

En français, il existe une langue propre au hockey; l’Oreille tendue, en 2014, a publié un livre pour décrire cette langue de puck. Celle-ci a évidemment son équivalent en anglais. Comment y désigne-t-on les dents perdues en pratiquant le hockey ? Par le mot Chiclets, indique Andrew Podnieks, image à l’appui (la prothèse de Bobby Hull), dans A Canadian Saturday Night (p. 28-29).

La prothèse dentaire de Bobby Hull

Un dentiste d’Edmonton, d’origine ukrainienne, Alex Pavlenko, a vu là une occasion d’affaires : il vous fera une couronne aux couleurs de son équipe, en l’occurrence les Oilers.

Une couronne aux couleurs des Oilers d'Edmonton

Ça ne s’invente pas.

 

Références

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 125 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Podnieks, Andrew, A Canadian Saturday Night. Hockey and the Culture of a Country, Vancouver, Greystone Books, 2006, 135 p. Ill.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014), couverture

Mémoires du hockey

Jennifer Anderson et Jenny Ellison, Hockey, 2017, couverture

Le Musée canadien de l’histoire, le ci-devant Musée canadien des civilisations, jusqu’à ce que le gouvernement de Stephen Harper s’en mêle, en partenariat avec Pointe-à-Callière, cité d’archéologie et d’histoire de Montréal, présente jusqu’au 9 octobre 2017 l’exposition «Hockey».

Fils cadet à la traîne, l’Oreille tendue a mené un périple jusqu’à Gatineau pour la voir.

Vocation du Musée canadien de l’histoire oblige, la perspective est historique et nationale : on y couvre le hockey from coast to coast, de ses origines à aujourd’hui (une vitrine contient des articles de journaux du jour). Il est question de la naissance du hockey, sans que soient pris en compte, toutefois, les travaux les plus récents sur la question, ceux de Gidén, Houda et Martel (voir ici). On ne fait aucune découverte majeure sur un des deux sports nationaux du Canada, l’autre étant, comme chacun le sait, la crosse, mais toutes les facettes du sport sont abordées.

L’exposition, qui se visite en une heure, donne à voir des objets liés à l’histoire du hockey : patins, bâtons, rondelles, chandails, masques de gardien, jambières, trophées. Le hockey féminin est très bien mis en valeur, non pas dans des sections à part, mais sur le même pied que le hockey pratiqué par les hommes : le bâton de Manon Rhéaume se trouve à côté de celui de Ken Dryden. Des pratiques périphériques (le hockey sur luge, les équipes militaires ou religieuses, le sport chez les Premières nations et les immigrants) sont prises en compte.

Beaucoup des artefacts concernent Maurice Richard, ce qui n’est pas étonnant. Quand la famille du célèbre joueur des Canadiens de Montréal a mis en vente sa collection de souvenirs, c’est le Musée canadien des civilisations qui a acquis les pièces les plus «historiques». (L’Oreille raconte cela dans l’ouvrage qu’elle a consacré au Rocket, les Yeux de Maurice Richard.)

On honore les grands joueurs (Howie Morenz, Jacques Plante, Guy Lafleur, Wayne Gretzky, Hayley Wickenheiser, Sidney Crosby, Carey Price) aussi bien que des entraîneurs (Pat Burns, Jacques Demers — pourquoi ces deux-là ? Mystère) et des commentateurs (Foster Hewitt, René Lecavalier). Gatineau est voisine d’Ottawa : Jean-Gabriel Pageau est né dans cette ville et il joue pour son équipe, les Sénateurs; il a droit à sa place dans l’exposition, lui qui n’est pas une vedette, loin de là.

On a été sensible aux arts (entendons le mot au sens large) : chansons, films, livres, bandes dessinées, caricatures, peintures, jeux de société, matériel publicitaire, médailles, cartes de joueurs, sculptures, photographies. Des images d’archives sont présentées sur grand écran, au-dessus d’une patinoire en bois : le 500e but de Maurice Richard, le célèbre but de Bobby Orr du 10 mai 1970, un hymne national entonné par Ginette Reno, le but final de Paul Henderson durant la «Série du siècle», contre les Soviétiques, en 1972, etc. On peut entendre des annonceurs (radio, télé) du passé, voire le devenir soi-même, sur place. Les deux langues officielles sont évidemment traitées avec un importance égale.

Les anecdotes pullulent. Il est rappelé aux visiteurs que la rondelle de hockey, d’ordinaire faite de caoutchouc galvanisé, peut être remplacée par du «fumier gelé». Aucune réponse n’est cependant apportée à la question «Est-ce que le but était bon ?» (Le 28 avril 1987, Alain Côté, des Nordiques de Québec, dirigea une rondelle vers Brian Hayward, des Canadiens de Montréal. Le but fut refusé par l’arbitre Kerry Fraser. On en parle encore aujourd’hui.)

Comme c’est si souvent le cas en matière de culture populaire, les collectionneurs privés possèdent souvent des trésors absents des établissement officiels. «Hockey» a ainsi puisé dans la collection de Mike Wilson, le «plus grand amateur des Maple Leafs [de Toronto] qui soit» (tous les goûts sont dans la nature).

Le Canada est-il «le pays de prédilection du hockey» (catalogue, p. 10) ? Les concepteurs de l’exposition le croient et ne se gênent pas pour le dire.

 

[Complément du 30 avril 2017]

Un jour, tu écris que Jean-Gabriel Pageau «n’est pas une vedette, loin de là». Le lendemain, dans un match des séries éliminatoires, il marque quatre buts contre les Rangers de New York, dont le but vainqueur, au début de la seconde période de prolongation.

 

Références

Anderson, Jennifer et Jenny Ellison, Hockey, Gatineau, Musée canadien de l’histoire, coll. «Catalogue-souvenir», 18, 2017, 119 p. Ill. Préface de Jean-Marc Blais. Catalogue d’exposition. Existe aussi en anglais.

Gidén, Carl, Patrick Houda et Jean-Patrice Martel, On the Origin of Hockey, Stockholm et Chambly, Hockey Origin Publishing, 2014, xv/269 p. Ill.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Dureté de la brouette

«Brouette», dans Étienne Blanchard, Vocabulaire bilingue par l’image, 1931, p. 89

Lue dans la Presse+ du 24 avril, cette phrase, au sujet d’Alex Galchenyuk, le joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey :

Barouetté du centre à l’aile, employé au sein du quatrième trio en séries, puis à la gauche de Brian Flynn…

Barouetté, donc, de barouette, comme dans brouette. Qui est barouetté est déplacé, généralement sans ménagement. C’est, dans la mesure du possible, à éviter.

Autre sens, signalé par Pierre DesRuisseaux : «Se faire tromper, se laisser tromper, se faire renvoyer de l’un à l’autre. Se faire barouetter (de “brouette”), c’est se faire raconter toutes sortes d’histoires invraisemblables» (Trésor des expressions populaires, p. 30). Ce n’est pas mieux.

 

[Complément du 20 février 2022]

L’Oreille tendue ne s’en cache pas : elle est nulle en étymologie («Science de la filiation des mots, reconstitution de leur ascendance jusqu’à leur état le plus anciennement accessible», le Petit Robert, édition numérique de 2018).

Spontanément, elle avait rattaché barouetter à barouette. Peut-être se trompait-elle.

Signalant, sur Twitter, une occurrence de barouetter dans la Presse+ du jour, elle a reçu les deux réponses suivantes :

«Dans la campagne normande d’où je viens on serait plutôt beurouetté» (@msonnet);

«Tout comme dans la Brie champenoise !» (@perceval45)

Lisant ce beurouetté, l’Oreille a évidemment pensé au beurre et à la baratte.

Vérification faite dans le Trésor de la langue française informatisé, il existe un sens figuré du verbe baratter, proche de celui de barouetter au Québec et de beurouetter en Normandie et en Champagne.

Cela laisse une question ouverte : où est-on le plus secoué, dans une baratte ou dans une barouette ?

Tant de questions, si peu d’heures.

 

Illustration : Étienne Blanchard, Vocabulaire bilingue par l’image. Leçons de choses et rédaction. Observons mieux — Parlons mieux, Montréal, Les frères des écoles chrétiennes, coll. «Parlons mieux», 1931, 111 p., p. 89.

 

Référence

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015 (nouvelle édition revue et augmentée), 380 p.

Condiment hockeyistique du jour

Anonyme, Pot à moutarde et bock, Japon, vers 1690-vers 1730, Rijksmuseum, Amsterdam

Soit les deux phrases suivantes, l’une et l’autre trouvées sous la plume d’un journaliste sportif du quotidien montréalais la Presse+ :

«St-Louis (accroché) et Desharnais (moutarde) sont punis en même temps. Onze pieds de hockey se retrouvent au cachot» (@MAGodin).

«Price est si économe dans ses gestes que lorsqu’il fait un arrêt spectaculaire, tu sais que ce n’est pas de la moutarde. C’est nécessaire» (@MAGodin).

Quand un sportif en fait trop, quand il exagère, quand il veut en mettre plein la vue, il cède à l’attrait de la moutarde, il en met une couche inutilement. C’est parfois amusant, mais les puristes n’apprécient généralement pas. La modestie a bien meilleur goût.

 

Illustration : Anonyme, Pot à moutarde et bock, Japon, circa 1690-circa 1730, Rijksmuseum, Amsterdam

Craques foisonnantes

La Presse+, 29 septembre 2015

En français québécois, la craque est multiple, par proximité avec l’anglais crack.

Au sens de fissure, d’espace entre deux choses, de fente, de crevasse, elle apparaît dans les endroits les plus divers.

Le construit : «les craques des trottoirs» (Comme des sentinelles, p. 58).

L’anatomie humaine : «À la radio, l’invité de Christiane Charette parle d’“un décolleté de fesses”. Joli nom pour une craque de plombier. ;-)» (@Hortensia68, Twitter, 28 janvier 2010). N.B. Ce qui s’applique aux fesses, fussent-elles de plombier, s’applique aussi aux seins, voire au sexe féminin.

L’enseignement : «Son système, c’est un peu celui qu’exprime Cohen dans ce qui est en passe de devenir un cliché tant on le rabâche : there is a crack in everything, that’s how the light gets in… Catherine enseigne dans les craques du quotidien, de sa routine, dans les craques des jeux des enfants. Bref, son école va de craque en craque» (la Presse, 15 septembre 2012, p. A5).

C’est en ce sens que craque apparaît dans l’expression tomber dans une craque, qui s’utilise dans les milieux de travail pour dire que quelque chose, qui aurait dû être fait, ne l’a pas été : «au bureau, on utilise beaucoup “c’est tombé dans une craque”» (@david_turgeon).

L’adjectif né de cette craque est, évidemment, craqué, et le verbe, craquer.

Si le français de référence connaît la craque au sens de «mensonge par exagération. => hâblerie. Il nous a raconté des craques» (le Petit Robert, éd. numérique de 2014), celui du Québec considère plus volontiers les craques comme des vannes : «Remarque ou allusion désobligeante à l’adresse de qqn. => 2. pique. Lancer, envoyer, balancer une vanne, des vannes à qqn» (bis). On peut donc lâcher une craque comme on lance une vanne.

Celui qui n’a pas toute sa tête est un crackpot, voire un craquepo(t)te : «Et quelques craquepotes comme vous ont trouvé que ça suffisait pour venir jouer les héros en jurant qu’ils sont les assassins» (J’haïs le hockey, p. 88). Ces non-coupables sont manifestement fêlés.

Merci à @revi_redac pour l’illustration, tirée de la Presse+ du 29 septembre 2015.

 

Références

Barcelo, François, J’haïs le hockey. Roman, Montréal, Coups de tête, coll. «Roman noir», 2011, 111 p.

Martel, Jean-Philippe, Comme des sentinelles. Roman, Montréal, La mèche, 2012, 177 p.