Planter est piner

Claude Raymond, Frenchie, 2022, couverture

Avant de devenir joueur de baseball professionnel, puis commentateur dans les médias, le Québécois Claude Raymond, «vers 10 ou 12 ans», a été «planteur au bowling».

Le boulot du planteur consistait à replacer manuellement les quilles après chaque carreau. Les salons de quilles engageaient souvent des jeunes parce qu’il fallait être agile : sauter dans le puits, replacer les quilles puis sortir rapidement du puits avant que la prochaine boule soit lancée (chapitre «Le petit joueur de balle de Saint-Jean», Frenchie).

Dans sa jeunesse — c’était il y a plusieurs lustres —, l’Oreille tendue a aussi croisé des pineurs. Ils ne faisaient pas autre chose que Claude Raymond.

P.-S.—On ne confondra pas, bien sûr, le verbe piner avec le verbe piner.

 

Référence

Raymond, Claude, avec Marc Robitaille, Frenchie. L’histoire de Claude Raymond. Récit biographique, Montréal, Hurtubise, 2022. Ill. Préface d’Yvan Dubois. Édition numérique.

Le zeugme du dimanche matin et de Giuliano Da Empoli

Giuliano Da Empoli, le Mage du Kremlin, 2022, couverture

«Ce n’est pas que le petit salon ou la salle à manger fussent meublés de façon luxueuse, mais un sentiment de tranquille prospérité, complètement étranger à l’époque, flottait dans l’air, avec un parfum de thé provenant du samovar toujours allumé.»

Giuliano Da Empoli, le Mage du Kremlin. Roman, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2022, 279 p., p. 37.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Langue de balle. Quatrième manche

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(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Quatrième texte d’une série.)

À chaque présence (au bâton), le frappeur, qu’il soit droitier, gaucher ou ambidextre, quitte le cercle d’attente, il s’éloigne du préposé au bâton et il s’installe dans la boîte ou le rectangle des frappeurs. À quoi pense-t-il ? (Il est aussi, bien sûr, des frappeuses. On peut imaginer qu’elles vivent les mêmes interrogations.)

Qu’il y ait ou non des hommes sur les buts — ce sont des coureurs en position de marquer —, le frappeur souhaite le plus souvent faire contact avec la balle et la mettre en jeu. Il n’a pas nécessairement besoin de se casser la tête, de frapper d’aplomb ou sur le nez. Simplement étirer les bras ou frapper du bout du bâton fait parfois l’affaire pour placer la balle en lieu sûr.

Le frappeur peut frapper la balle en l’air : retroussée ou soulevée, elle partira en flèche ou donnera lieu à un ballon ou à une chandelle. Il vaut mieux qu’elle tombe dans l’allée ou à l’entre-champ que dans le gant du voltigeur. S’il l’envoie au sol, c’est un roulant; la proposition d’Étienne Blanchard, un lapin, n’a pas été entendue, pas plus que celle de la Société du parler français, un coup rasant. Si le roulant, avec ou sans yeux, perce l’avant-champ, c’est bien.

Dans les airs ou au sol, cela pourrait valoir au frappeur un simple (dans quelques cas, à l’avant-champ), un double, un triple ou un circuit. Tout ça dans un même match ? Cela s’appelle un carrousel.

Il existe plusieurs formes de la longue balle (le circuit). D’un seul élan, d’une seule claque, d’une seule cogne, d’une seule frappe, le frappeur peut changer le cours d’un match. Quand les buts sont remplis — qu’il y a trois hommes sur les buts —, c’est un grand chelem (l’Oreille tendue se souvient d’en avoir frappé un, au champ opposé, il y a un demi-siècle). Personne ? Le circuit est en solo. (Il n’y a pas d’expression spéciale pour le circuit avec deux ou trois coureurs sur les sentiers.)

Le circuit est le plus souvent frappé derrière la clôture, ce qui peut mener à une description comme celle-ci : «Puis [Gibson] dévisse une garnotte dans les gradins du champ droit» (le Devoir, 19 janvier 2016, p. B6). En 1988, Kirk Gibson a frappé avec beaucoup de puissance (il l’a «dévissé») le non moins puissant tir du lanceur adverse (sa «garnotte»). On dit que, dans certains stades, la balle voyage bien (c’est le cas en altitude, bref à Denver, au Colorado); cela favorise les frappeurs de puissance. Peu importe les conditions atmosphériques : il est bon de la sortir du stade. «Bonsoir, elle est partie !» aime s’égosiller un commentateur québécois.

Le circuit à l’intérieur du terrain, qui est généralement l’œuvre d’un marchand de vitesse, est rare. Dans The Great American Novel, Philip Roth en évoque un, un «inside-the-mouth grand-slam home run», qu’il est difficile d’oublier (éd. de 1980, p. 120).

En bon coéquipier, le frappeur peut se sacrifier, de deux façons. Dans les deux cas, il faut que les coureurs avancent d’un but, voire viennent marquer.

Il peut tenter un amorti ou un amorti surprise, soit le long de la ligne du premier (but), soit le long de la ligne du troisième (bis); vers le lanceur, ce n’est pas recommandé. Tout le monde ne maîtrise malheureusement pas cette technique. Ce coup retenu, quand il est déposé sans être complètement retenu, peut se transformer en coup filé, histoire de prendre la défensive à contre-pied.

Le ballon sacrifice est moins spectaculaire, mais pas moins efficace. Il s’agit d’envoyer la balle suffisamment loin du marbre — pas besoin d’aller à la clôture, mais c’est ce qu’il y a de plus simple : un long ballon est souvent bénéfique.

Si le frappeur ne touche pas à la balle, d’autres possibilités s’offrent à lui pour rejoindre les sentiers : être atteint par un lancer, soutirer un but sur balles, également nommée passe gratuite. Il existe même un cas où une balle passée sur une troisième prise lui donne l’occasion de foncer vers le premier but; c’est assez peu courant (sans jeu de mots).

Si le lancer ne lui convient pas, le frappeur peut retenir son élan — pas d’élan complet, donc, ni même de demi-élan — ou se contenter de protéger le marbre. Cette dernière pratique mène à une fausse balle : certaines sont expédiées dans les estrades, d’autres bondissent hors ligne. Ce n’est pas optimal, mais ça évite — ou reporte — un retrait.

Une chose est sûre : la patience ou la discipline au bâton est toujours bénéfique. Il faut savoir attendre son tir. On espère du frappeur qu’il produise des points, quand ce n’est pas le point victorieux. Il est responsable de pousser ses coéquipiers au marbre; il ne doit pas les laisser sur les buts ou mettre fin à une manche. Être trois en quatre flatte l’ego, mais ce n’est pas ce qu’on attend : des points, c’est mieux. Dans le meilleur des mondes possibles, le frappeur répartit ses coups aux trois champs. Il sait quand frapper derrière le coureur et quand étirer un simple en double (ou un double en triple). Il doit éviter de tomber ou de sombrer dans une léthargie; si, par malheur, cela lui arrive, il doit pouvoir la secouer ou en sortir.

Tous les frappeurs ne sont pas égaux. La position de chacun dans l’ordre ou l’alignement ou le rôle des frappeurs est révélatrice : on attend plus d’un quatrième frappeur que d’un neuvième. Se situer dans le haut, le milieu ou le bas de la formation n’a pas la même valeur. Le frappeur d’urgence ou frappeur substitut ou frappeur auxiliaire ou frappeur suppléant prend la place d’un coéquipier. Le frappeur désigné remplace celui qu’on suppose incapable de frapper, le lanceur. (Il y a des exceptions.) Certains ont une excellente moyenne au bâton; d’autres, pas.

Le frappeur veut frapper. Le lanceur veut l’en empêcher. Celui-ci essaie de jouer de finesse. Il peut forcer son adversaire à aller à la pêche sur un mauvais tir, à fendre l’air (s’élancer dans le vide, passer dans le beurre). S’il voit qu’il a un trou dans son élan, il peut essayer d’exploiter cette faiblesse et de le déjouer. S’il parvient à le menotter, il peut en résulter un bâton fracassé. Le retrait sur trois prises est son meilleur ami. C’est plus facile s’il est en avance sur le frappeur que s’il est en retard; voilà pourquoi il importe d’éviter les comptes complets (trois balles, deux prises). Forcer un frappeur à se compromettre dans un double jeu (ou double retrait), ce n’est pas mal non plus.

On le voit : avoir un bon œil ne suffit pas pour réussir au bâton.

 

Références

Melançon, Benoît, Langue de puck. Abécédaire du hockey, Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p. Préface de Jean Dion. Illustrations de Julien Del Busso.

Roth, Philip, The Great American Novel, New York, Farrar, Straus & Giroux, 1980, 382 p. Édition originale : 1973.

Les zeugmes du dimanche matin et de Serge Bouchard

Bernard Arcand et Serge Bouchard, Du pâté chinois, du baseball, et autres lieux communs, 1995, couverture

«Je me souviens d’un porte-avions américain baptisé L’Entreprise. Imaginez : entrer dans tous les salons de la Terre en déclarant tout simplement : “Je suis le commandant de L’Entreprise.” Cela vous refait une image, à vous qui n’êtes qu’une image. Virer de bord dans l’Atlantique demande de la circonspection, des analyses et des millions, sans parler des contextes et des autorisations» (p. 134).

«Mais c’est un rêve, un pauvre rêve. La vie sur les rafiots sera toujours la vie sur les rafiots. Elle est vraie, peut-être, mais elle est difficile, très précaire et parfois même insupportable. Drake, Cook et La Pérouse, sont tous morts assez jeunes, dans la misère et dans l’eau froide» (p. 135).

Serge Bouchard, dans Bernard Arcand et Serge Bouchard, «Le commandant», dans Du pâté chinois, du baseball, et autres lieux communs, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 1995, 226 p., p. 131-146.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Benjamin Hoffmann

Benjamin Hoffmann, l’Île de la Sentinelle, 2022, couverture

«Je tombe sur un chemin. Une piste étroite qui serpente dans la jungle, avec, ici et là, des empreintes de pas encore fraîches. Je me souviens de Portman et Pandit qui parlaient de ces lignes de communication dans la forêt, reliant les villages à la côte et les villages entre eux. J’hésite à prendre ce sentier. Parmi les arbres je suis moins visible — mais plus bruyant et moins rapide aussi. Il me reste une heure et demie. J’hésite quand j’entends, si confuse qu’elle retentit peut-être dans mon imagination troublée, une sorte de clameur, lointaine. Immobile, je tends l’oreille et oui, depuis la côte les échos de voix puissantes me parviennent.»

Benjamin Hoffmann, l’Île de la Sentinelle. Roman, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2022, 376 p., p. 327.