Divergences transatlantiques 072

«Ne le prenez pas contre vous, mais vous êtes très mal habillé», publicité de France Culture, 22 novembre 2022

Lu hier, sur Twitter, ceci, pour annoncer une émission de France Culture : «Ne le prenez pas contre vous, mais vous êtes très mal habillé.»

Pour une oreille québécoise, une autre tournure aurait été attendue : «Ne le prenez pas personnel, mais vous êtes très mal habillé.»

Autre exemple, venu du XVIIIe siècle : Quand Jean-Jacques Rousseau a lu, dans le Fils naturel, de Diderot, la phrase «Il n’y a que le méchant qui soit seul», il l’a pris personnel. Chez Wikipédia : «Rousseau prit effectivement pour lui cette critique indirecte».

À votre service.

P.-S.—En effet, ce n’est pas la première fois que nous croisons cette expression.

 

[Complément du 14 décembre 2022]

Existe aussi une variante : «Ça colle avec sa personnalité. On peut ne pas tomber d’accord avec Roger [Federer], il ne le prend pas personnellement, il ne se démonte pas plus que ça […]» (Federer, p. 542).

L’Office québécois de la langue française ne recommande, dans ce cas, ni personnel ni personnellement.

 

Référence

Clarey, Christopher, Federer. Le maître du jeu. Biographie, Montréal, Flammarion Québec, 2022, 589 p. Traduction de Suzy Borello. Édition originale : 2021.

Laissez-les mourir, bis

Le Journal de Montréal, rubrique nécrologique, logo

L’Oreille tendue ne fréquente pas beaucoup les pages du Journal de Montréal : elle n’a guère d’atomes crochus avec les chroniqueurs de la maison.

Ça ne risque pas de changer. Pourquoi ?

Le quotidien publie des notices nécrologiques (en échange de quelques centaines de dollars). Quand, dans une notice, le client, en l’occurrence l’Oreille, écrit «X est mort», le journal remplace d’office «mort» par «décédé», sans consultation — entre autres corrections inutiles.

Vous savez quoi, le Journal de Montréal ? Mêlez-vous de vos affaires.

P.-S.—Non, mourir et décéder ne sont pas des synonymes.

P.-P.-S.—«Bis» ? Oui, «bis».

P.-P.-P.-S.—Merci à la Presse+ de respecter la volonté des familles.

C’est clair, non ?

Stéphane Larue, le Plongeur, 2016, couverture

Importé de l’anglais to clear, clairer a plus d’un sens dans le français populaire du Québec.

Pour passer tout juste, le verbe est disponible : «Le Vista fait une brusque embardée au moment où l’hydravion passant en rase-mottes claire tout juste l’antenne radio» (Autour d’Éva, p. 364); «Ils montent la marche. Florence se penche en entrant afin de clairer le petit chambranle de la porte» (Correlieu, p. 181).

Se faire congédier ? «J’étais certain que j’allais me faire clairer sur-le-champ» (le Plongeur, p. 80).

Qui gagne un salaire intéressant après impôt est réputé clairer un bon salaire.

Enfin et bref, pour tout ce qui concerne le fait d’éviter, de vider ou de dégager, clairer peut être d’un bon rendement.

À votre service.

 

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté Correlieu le 14 novembre 2002.

 

Références

Hamelin, Louis, Autour d’Éva. Roman, Montréal, Boréal, 2016, 418 p.

La Rocque, Sébastien, Correlieu. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2022, 192 p.

Larue, Stéphane, le Plongeur. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 11, 2016, 568 p.

Imbibition numérique

«Boire en wifi», photo tirée du site site de la compagnie Hendrick van der Zee, 12 mars 2015

Entendu hier, en famille et en voiture : «Bois en wifi.»

L’oreille de l’Oreille s’est tendue : elle ne connaissait pas l’expression boire en wifi.

Le Wiktionnaire, si, l’expression ayant au moins une décennie : «Boire sans contact entre le contenant et la bouche.»

Oui, cela fait partie du vocabulaire de l’imbibition.

Oui, l’Oreille s’est couchée moins niaiseuse.

 

Illustration : site de la compagnie Hendrick van der Zee, 12 mars 2015

La clinique des phrases (yyyy)

La clinique des phrases, Charles Malo Melançon, logo, 2020

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Deux phrases, tirées d’un essai québécois récent :

«À quelque part, la fatigue me motive à vivre des vies par procuration […]»;

«À quelque part, je refuse probablement le vide».

L’Oreille l’a déjà dit et répété (c’est une autre de ses guerres perdues d’avance) : quelque part n’a besoin ni de à, ni de en, bien au contraire. Ces prépositions sont parfaitement inutiles; certains diraient que leur emploi est fautif.

Donc :

«La fatigue me motive à vivre des vies par procuration […]»;

«Je refuse probablement le vide».

À votre service.

P.-S.—L’Oreille se passerait volontiers, en règle générale, de quelque part. On pourrait lui reprocher son intransigeance en ce domaine.