Subtil distinguo, bis

Soit ceci, tiré du compte Twitter d’un fidèle de l’Oreille tendue, Clarence L’inspecteur : «Ok, dudes et dudettes: Annie Clark aka #StVincent = la plus intéressante guitariste en ce moment. Son dernier album est débile.»

«Débile», dit-il ?

Évidemment pas comme dans «Qui manque de force physique, d’une manière permanente», ni dans «Sans aucune vigueur», ni dans «Imbécile, idiot» (le Petit Robert, édition numérique de 2010).

Plutôt comme dans «Très très bien» (Dictionnaire québécois instantané, p. 61). Des synonymes ? Bon à l’os ou pas à peu près.

Bref, le mot est mélioratif. C’est un peu débile, mais c’est comme ça.

 

[Complément du 10 juillet 2016]

La variante en débile paraît conserver la connotation de quantité (très très), mais sans la dimension méliorative. Exemple : «De toute façon, tu peux pas aller avec lui, t’es avec moi ! Tu me tromperais en débile si tu faisais ça» (Whitehorse, p. 40).

 

[Complément du 3 décembre 2016]

Il en est de malade comme de débile : il peut dire le très bien de la même façon que son contraire. Rafaële Germain le note dans un essai qui vient de paraître, Un présent infini :

J’ai écrit l’adjectif phénoménal, mais j’étais très tentée par formidable, qui a longtemps voulu dire terrifiant avant de devenir synonyme de extraordinaire-dans-le-sens-positif (un peu comme malade, qui semble connaitre depuis quelques années une étonnante dérive d’autant plus pernicieuse qu’il y a plusieurs gens malades qui ne doivent pas trouver ça «malade». Je m’entends souvent dire «ma-la-de» à propos d’une anecdote, d’une blague, d’un cocktail) (p. 27).

P.-S. — Ne simplifions pas les choses et pensons au cas de malade mental.

 

[Complément du 30 mars 2018]

Oui, c’est toujours bien d’être «débiles», selon ce tweet de 2018.

 

[Complément du 13 avril 2018]

Dans le Devoir du jour, dans la bouche d’Élise Gravel : «On est vraiment chanceux au Québec, nos livres jeunesse sont débiles» (p. B5).

 

Références

Cantin, Samuel, Whitehorse. Première partie, Montréal, Éditions Pow Pow, 2015, 211 p.

Germain, Rafaële, Un présent infini. Notes sur la mémoire et l’oubli, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 10, 2016, 90 p. Ill.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

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5 réponses sur “Subtil distinguo, bis”

  1. Débile, malade, écœurant, même combat. On ne s’en sort pas.

    J’avoue que mon langage est parfois un peu débile, au sens premier. Ayayaye, l’Oreille tendue me rendait déjà conscient de mes faiblesses, désormais elle me rendra « self-conscious », pour utiliser une de leurs expressions que je ne sais jamais bien traduire.

    1. Rassurez-vous, ô fidèle lecteur : l’Oreille tendue a ses bêtes noires, au premier rang desquelles figure quitter. Débile n’en fait pas partie.

      Cela dit, Twitter fournit un excellent point d’observation pour suivre la vie de la langue. Voilà pourquoi l’Oreille aime bien y prendre ses exemples — sans vouloir inhiber personne.

  2. « Twitter fournit un excellent point d’observation pour suivre la vie de la langue »

    oh si vrai… J’eus, cette semaine même, un enrichissant échange inter-Atlantique, sur deux expressions, autres synonymes de ce « débile », quoique plus difficiles à caser en 140 caractères:

    « Déchire sa race »
    « Tire en chien »

    (utilisées pour désigner diverses interprétations d’odes de Purcell)

    … sur lesquelles je vous laisse méditer

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